Rencontre littéraire animée par Jacques De Decker avec Marc Rombaut pour son ouvrage "Chelsea Romance", le 14 novembre 2014.
David Diop (1927-1961) "Les Vautours"
En ce temps-là
A coups de gueule de civilisation
A coups d'eau bénite sur les fronts domestiqués
Les vautours construisaient à l'ombre de leurs serres
Le sanglant monument de l'ère tutélaire
J.-B. TATI-LOUTARD
Dans l'exercice quotidien du cœur et de l'esprit, ce qu'on finit par apercevoir avec stupéfaction, c'est la nudité de l'homme. La poésie devient alors sa plus noble vêture.
La nuit s’est battue toute la nuit contre la nuit.
Au lever du jour, la terre avait le visage
de ses transes nocturnes. Il lui a fallu tuer
tant de fantômes qu’elle s’étonna de la joie
sereine de l’aube. Tout prenait forme,
couleur, goût, odeur de bonheur, d’amour,
de jour. Une respiration nouvelle
s’emparait d’elle, une aspiration
à être.
MONTE LE CRI
Monte le cri du dernier coupable, passant au rire
démesuré. Diviser le sang, offrir ses dents, sa mé-
moire, à la douce amertume, au tendre bourreau.
Parfois sous la peau on sent la corde qui soutient
le souffle. Découvrir l’improbable rêve qui secoue
l’arbre avant sa mort.
APPARTENIR
Appartenir. La rose verte, ouverte, terreuse,
mémoire d’un autre nom, offerte et désirée, parmi
les pierres qui rampent, éclate, enivrée, parfumée
des dernières salves du soleil. Délire des yeux
penchés sur les désordres des corps. La lumière
trahit l’image, le chant dessert la nuit.
Nul lieu ― sinon le mien ― ne retient des mots
leur immémorial visage. Leurs cheveux fous recou-
vrent ma bouche. Je crie leur présence, leur durée,
leur transpiration face à la poussière des miroirs.
Effacée, l’encre transpose le doute.
UN HOMME
Un homme se déshabille, s’arrange avec sa nuit.
Sa bouche est un fleuve engorgé, ses yeux sont
un silence noir. Il recueille l’absence d’une main
sur ses os dérisoires.
Si tu viens par l’autre bout du miroir, ramasse
les morceaux de verre tombés de mon visage.