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Critiques de Marcel Proust (1047)
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Contre Sainte-Beuve

Ce sont les commentaires de Babeliotes à propos d'une de mes critiques relative à un tome de « A la recherche du Temps perdu » qui m'ont amené à lire le Contre Sainte-Beuve de Proust.

Je suis heureux d'avoir fait la lecture de cet ensemble de feuillets qui furent écrits en 1908, rassemblés bien après la mort de l'auteur et publiés en 1954.



Un ouvrage extraordinaire dans lequel on y découvre un Proust critique d'une acuité exceptionnelle, tout autant que l'on découvre ce que l'on peut considérer comme des esquisses de « La Recherche » mêlées à des notes plus personnelles et intimes.

Proust y développe aussi dans la préface, dans la conclusion et dans le chapitre qui donne son nom au livre, sa conception de l'oeuvre littéraire et du métier d'écrivain. Ce sont des notions que l'on retrouvera en partie dans le Temps retrouvé.



Dans la préface, Proust insiste sur la nécessité pour la création littéraire de laisser entrer en soi la sensation plutôt que de tout faire reposer sur l'intelligence: «Chaque jour, j'accorde moins de prix à l'intelligence ». C'est à dire, dans une oeuvre qui accorde tant de place au Temps, que ce ne sont pas le raisonnement, la réflexion, qui nous permettent de ressusciter le temps passé, qui est le chemin vers la vérité de l ‘art, mais le fait de laisser la place en soi disponible à la sensation, à l'instinct. Et de prendre quelques exemples, dont il est amusant de trouver là ce qui sera développé et magnifié dans La Recherche. Ainsi de cette biscotte trempée dans une tasse de thé qui deviendra la sensuelle et célèbre madeleine.

Le chapitre qui constitue la conclusion développe une idée sur laquelle Proust reviendra moins dans La Recherche; c'est que l'écrivain doit extraire au plus profond de lui-même la matière à écrire, sans se préoccuper de ce qu'en penseront les autres, et surtout sans copier la manière des autres, et éviter les poncifs, ce qu'il reproche à Romain Rolland (mais qui se souvient encore de cet auteur, pourtant Prix Nobel de littérature?)

Le chapitre Contre Sainte-Beuve démonte la méthode de celui-ci, qui, à l'exemple des scientifiques de l'époque qui étudiaient le comportement animal, prétendait qu'il fallait tout connaître de la vie d'un auteur, ses origines, le contexte familial, la vie sociale, les relations mondaines, pour comprendre son oeuvre. Proust s'insurge contre cette méthode, car selon lui, « un livre est le produit d'un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices… ».

Et, au delà de cette critique de la méthode, Proust se livre à une attaque acerbe de l'homme, de sa vanité, de ses compromissions, de son comportement d' « auteur de salon ».

Et ce ressentiment contre l'homme reprend de plus belle dans son article sur Baudelaire dont Sainte-Beuve a méconnu le génie, le traitant, avec condescendance, de « gentil garçon ». Et Proust s'attriste de ce que ce géant de la poésie ait pu s'abaisser pour obtenir les faveurs et le soutien de l'influent Sainte-Beuve, sans succès d'ailleurs, puisque ce dernier ne soutiendra pas sa candidature à l'Académie Française. Mais l'article sur Baudelaire est surtout passionnant par l'analyse qui est faite des poèmes: entre autres, le rôle des couleurs, la structure des vers, le thème du Mal et l'idée impossible de rédemption, etc…

Et cette profondeur de l'analyse se retrouve aussi dans les impressionnants chapitres consacrés à Balzac et à Nerval. Il faut lire ces textes et la perspicacité de l'auteur à saisir l'essentiel De Balzac (sa vulgarité, sa tendance à utiliser des poncifs, mais son génie de l'utilisation des personnages récurrents et sa profondeur psychologique).

Dans l'article sur Gérard de Nerval, l'analyse des Filles du feu et plus particulièrement de Sylvie, est magnifique, car Proust y saisit l'importance du flou de la description, de la part de rêve, des correspondances avec les poèmes des Chimères….Pour qui aime Nerval, c'est à lire, absolument.





Les autres chapitres du recueil sont des textes qui, pour majeure partie, peuvent être considérés comme des esquisses de ce que l'on trouvera dans A la recherche du Temps perdu: Sommeils, Journées, La comtesse, La race maudite, Noms de personnes. Mais il y a aussi des joyaux comme le rayon de Soleil sur le balcon, une merveilleuse description, ou Retour à Guermantes, dans lequel Proust évoque de façon très émouvante un souvenir d'enfance impliquant son frère Robert et sa chère Maman ( ah, comme il l'a toujours aimé sa Maman, à qui il s'adresse d'ailleurs dans nombre de ses articles de critique).



En conclusion, un livre au contenu hétérogène, mais ce n'est pas du fait de l'auteur, et qui m'a permis de mieux cerner le projet littéraire de Proust, de le découvrir en critique d'une extraordinaire profondeur, et d'y lire des textes d'une merveilleuse poésie.

Bref, un livre qui complète bien « La Recherche », sans être comparable bien entendu à ce «monument littéraire ».
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Je viens de me réveiller d'une longue sieste, à peine entrecoupée par le vol d'une mouche, l'heure sonnée au clocher de Saint-Hilaire, le tintement de la petite cuillère dans la tasse de thé,



Je viens de vivre quelques heures voluptueuses laissées à la rêverie, aux souvenirs lointains de l'enfance, celle passée à Combray.

Aaaaaah ! Qu'il est difficile ensuite de se tirer de cette torpeur et essayer d'écrire un petit billet sur ce roman.





Et bien voici une jolie peinture de la bourgeoisie provinciale, classe sociale qui, à l'instar de la société indienne, voit le monde à travers des castes avec lesquelles on ne se mélange pas.

Les actes de la vie quotidienne et familiale y sont largement codifiés : baiser du soir aux enfants, heure des repas, promenade du dimanche, lecture du dimanche (reconnue amusement les autres jours).



Des longueurs bien sûr, monsieur Proust a le goût du détail, des détails, de la sensibilité voire de la sensiblerie parfois, mais aussi beaucoup d'humour. J'ai adoré le choix des cadeaux de la grand-mère qui doivent avoir vécu au point quelquefois de tomber en ruines. J'ai apprécié la sournoiserie de monsieur Legrandin et ses circonvolutions langagières afin de ne pas avouer qu'il avait de la famille à Balbec et donc ne pas recevoir ses voisins lors de leur séjour balnéaire



C'est drôle, à la lecture des souvenirs de monsieur Proust, plusieurs films me sont venus à l'esprit. D'abord "un dimanche à la campagne" (de Bertrand Tavernier) pour sa peinture du dimanche quand tout est calme et que l'on reçoit la famille selon un rite bien établi, ensuite "les enfants du marais" (de Jean Becker) dans lequel Amedée alias André Dussolier, surpris par la vie qu'il ne côtoie pas vraiment, répète : quelle aventure ! Celui-ci m'est venu à l'esprit quand le samedi, le repas est avancé d'une heure et que la famille est perturbée par ce changement. Quelle aventure !



C'est charmant, raffiné avec cependant une petite odeur de naphtaline. Enfin, me voilà réconciliée avec monsieur Proust, que j'avais quitté bien fâchée lors de mes années lycée. Une belle parenthèse dans mes lectures...

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A la recherche du temps perdu, tome 4 : Sod..

Et voilà j'ai fini le quatrième tome de La Recherche. Le plus sulfureux probablement. Le titre est clair. Les premières pages encore plus éclairantes. Mais ces premières pages qui racontent une rencontre entre le comte, si imbu de sa personne, et Jupien, le tailleur de l'hôtel de Guermantes, ces pages sont, à elles seules, un monument de littérature érotique dans tous le sens noble du terme.



Et pas dans le sens que J. Teulé utilise dans Héloïse, ouille. Car tout est suggéré, délicat, ... Cette métaphore du bourdon et de l'orchidée est tout simplement extraordinaire. Car Proust doit être prudent en abordant cette question.



Sachant que Proust est homosexuel, sa position est délicate. Ses personnages n'assument pas leur homosexualité. Ainsi Charlus, qui est tellement fier de ses origines, se cache pour être l'amant de Jupien, de Morel et d'autres encore. La question de la religion juive est régulièrement citée avec l'affaire Dreyfus et pour montrer l'hypocrisie des différents mondes que côtoie le narrateur. Et c’est sans doute cette hypocrisie que dénonce M Proust avec son personnage de Charlus. De même comme le narrateur s’affiche clairement comme hétérosexuel, il revendique une position de « non snob », qui est clairement aux antipodes de M. Proust. Un narrateur, sorte d’antithèse, de l’auteur sur certains aspects ?



Un article : https://books.openedition.org/cdf/11825?lang=fr est particulièrement intéressant pour l’identité de M Proust sur les questions de l’homosexualité et de l’antisémitisme. Je vous le conseille.



Mais s’il est question de Sodome, il est également question de Gomorrhe et dans ce texte, l’homosexualité féminine est beaucoup plus rare et n'est que le fait de quelques allusions. C'est plus sur le mode d'accusation, une façon pour les femmes concernées d'échapper à la main mise masculine.



Enfin Sodome et Gomorrhe, ce n'est pas que la partie homosexuelle, juive mais également des réminiscences de sa grand-mère, le retour dans le salon de Mme Verdurin où le narrateur fait se rencontre la noblesse et la bourgeoisie car en Province, est acceptable ce qui ne le serait pas à Paris. Et on découvre à cette occasion la topologie des lieux normands. Comme un rappel des liens familiaux des nobles qui m'a lassé dans le tome précédent. Ici ces information linguistiques et géographiques étaient comme une litanie de pierres semée lors de ces incessants voyages en train sur la côte Normande.



J'ai ainsi appris que "holm" voulait dire ile / ilot...



Enfin je vous partage une question, somme toute dérisoire. Je m'interroge sur une image utilisée dans ce volume. " A cause de cette idée très Guermantes qu'il faut qu'un homme fasse quelque chose, qu'on ne vaut que par son talent, et que la noblesse ou l'argent sont simplement le zéro qui multiplie une valeur..." cette phrase me paraît étrange. Dans le sens où pour les Guermantes la noblesse est une notion essentielle (même s’ils clament le contraire) or si l'on multiplie par 0... on obtient 0. Cette image n’est-elle pas le contraire de ce que souhaitait dire l’auteur. Qu’en ont pensé les amateurs de Proust ?



Bref un volume où il se passe beaucoup de choses et où le style de Proust est merveilleux, flamboyant, bien.





















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Trois notes sur le ''pays mystérieux'' de Gus..

Musée Gustave Moreau- Paris 75009-Mercredi 16 février 2022



Découvert ce minuscule texte en allant redécouvrir le Musée Gustave Moreau, pour profiter,en plus,d'une très belle exposition temporaire sur les Illustrations que le peintre a réalisées des Fables de la Fontaine ".(se terminant le 28 février)



..En jetant un oeil à la mini- boutique...je suis tombée sur cette publication.



Notes que Proust a rédigées après sa première visite au Musée de l'artiste.Il découvrit la maison de Gustave Moreau (destinée à devenir son musée) vraisemblablement en octobre 1898,quelques mois après la mort du peintre (18 avril)



Ces lignes sont restées inédites du vivant de l' écrivain. Elles furent publiées la première fois en1954 par Bernard de Fallois,dans les Nouveaux Mélanges à la suite de Contre Sainte- Beuve (Gallimard)



"Sa maison est à moitié église, à moitié maison du prêtre. Maintenant l'homme est mort, il ne reste plus que ce qui a pu se dégager du divin qui était en lui.Par une brusque métamorphose, la maison est devenue un musée avant même d'être ainsi aménagée." (p.20)

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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Dans une première partie, le narrateur revit son enfance : l'heure angoissée du coucher, dans la chambre que lui réservaient ses grands-parents dans leur demeure de Combray ; la découverte des sens (les odeurs, les couleurs...) et des premiers émois des amours d'enfance, au cours de balades autour du village ; la vie bourgeoisie provinciale avide de reconnaissance et intolérante...

La seconde partie, bien plus courte, est centrée sur M. Swann, déjà rencontré dans la première partie, mais présenté ici dans sa vie mondaine parisienne, dans une bourgeoisie bien-pensante mais qui jouit de s'encanailler par procuration...



Au risque de paraître iconoclaste, je confesserai que la lecture de ce premier tome m'a ennuyé. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi, mais je sais que ce n'est pas gagné...

D'abord, l'écriture est datée. Certes, cela complique la lecture, mais n'est normalement pas rédhibitoire. Sauf que comparée aux textes des presque contemporains que sont Hugo, Balzac ou Zola, l'écriture de Proust me paraît aujourd'hui tellement... ringarde ?

Ensuite, on a le droit d'avoir une écriture contemplative, et même auto-contemplative ; mais pour passer quel message ? J'avoue que je cherche encore...

Enfin, sauter des coqs à l'âne d'une première partie (des angoisses du coucher à la santé de la vieille tante, de la servilité des domestiques aux balades campagnardes, des amitiés de façade aux premiers amours d'enfance, etc.), à la vie mondaine de Swann dans une seconde, où est la cohérence ?

Oui, je sais. Ceux qui aiment vont me dire que pour apprécier il faut aller au bout des 7 tomes. Encore faut-il en avoir l'envie... Et, pour moi, ce premier tome ne la donne pas, ou ne la donne plus... Trop daté, trop décalé ? Mais je vais persévérer, au moins jusqu'au tome 2 !
Lien : http://michelgiraud.fr/2020/..
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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..

Voici venu le temps des rêves et des désirs, des lentes manoeuvres et des amitiés utiles pouvant entrouvrir la porte du paradis où règnent les Guermantes. Voici, enfin, un regard, un salut et un sourire tombé un soir d'opéra pour enflammer le coeur et l'esprit du jeune homme. Le voici, à forces d'intrigues subtiles, élu entre mille, invité à côtoyer les « Immortels », et le voilà finalement, un soir terrible où toutes ses illusions se brisent sur des souliers noirs qui auraient dû être rouges et se fracassent sur un « grand et cher ami » qui ne pourra accompagner la duchesse en Sicile, au printemps prochain, parce que … « ma chère amie, c'est que je serai mort depuis plusieurs mois», et parce que cet ami Swann connaissant la valeur de ces amitiés, «savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d'un ami et qu'il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. »

C'est le roman des Illusions Perdues mais aussi du chagrin que lui cause la longue maladie de sa grand'mère et de sa mort, de l'irruption dans la vie sociale de l'Affaire Dreyfus, de l'aveuglement de l'amour (Saint-Loup est le pendant de Swann) mais aussi de Françoise, la cuisinière-gouvernante qui parle parfois comme La Bruyère, ce qui donne toujours lieu à des passages aussi drôles que réjouissants.

On y trouve des pages fascinantes sur l'utilisation du téléphone qui, si vous y prenez gare, vous feront envisager les appels à vos êtres chers sous un angle nouveau. Et toujours ces formules aussi inattendues que brillantes comme quand « s'avance le sommelier, aussi poussiéreux que ses bouteilles, bancroche et ébloui comme si, venant de la cave, il s'était tordu le pied avant de remonter au jour. »

Les pages sur la maladie de sa grand'mère chérie sont admirables ; elles n'épargnent pas les médecins dont les diagnostics aussi contradictoires que péremptoires ne parviennent pas, consultation terminée et verdict implacable posé (« votre grand'mère est perdue ») à masquer qu'ils ont d'autres chats à fouetter (« vous savez que je dîne chez le ministre du Commerce »). L'évolution de la maladie, les phases d'espoir succédant aux phases de découragement, tout cela parlera à qui l'a traversé, tout comme la solitude qui s'empare de celui qui a vraiment du chagrin : « Ce n'est pas que le duc de Guermantes fût mal élevé, au contraire. Mais il était de ces hommes incapables de se mettre à la place des autres, de ces hommes ressemblant en cela à la plupart des médecins et aux croque-morts, et qui, après avoir pris une figure de circonstance et dit : «Ce sont des instants très pénibles », vous avoir au besoin embrassé et conseillé le repos, ne considèrent plus une agonie ou un enterrement que comme une réunion mondaine plus ou moins restreinte où, avec une jovialité comprimée un moment, ils cherchent des yeux la personne à qui ils peuvent parler de leurs petites affaires … »

Mais que dire de cet adieu magnifique à cette grand'mère qui semble avoir tellement compté ? Rien, juste le lire et sentir l'émotion vous gagner :

« Maintenant (ses cheveux) étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d'où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d'années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espérance, d'un rêve de bonheur, même d'une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand'mère. Sur ce lit funèbre, la mort comme le sculpteur du Moyen Age, l'avait couchée sous l'apparence d'une jeune fille. »

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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Ouf!!! A le lire et à le finir, c'est comme si on s'exerçait à avaler un océan à partir d'un tout petit verre, quand on y commence la lecture, on se pose, tout de suite, après quelques pages, la question de savoir comment le lire ce livre, de même manière, on s'imagine que l'auteur s'est demandé comment l'écrire ce livre, comment créer des formes, des tableaux, des mini dialogues dans les pensées, comment annoter les descriptions, pénétrer les détails...oufff, il faut forcement un souffle, il faut forcement pénétrer l'âme de l'auteur pour pouvoir parvenir à lire ce livre, enfin, je me le dis, puis je me suis rendu compte que tout n'est que musique dans ce livre, en fait, il faut trouver sa musicalité, c'est ce que j'ai fait, puis j'ai senti une balade qui se créait dans ma tête, comme si je me baladais avec ce livre en main dans les différents endroits de Combray, que je m’arrêtais à un moment devant une certaine architecture ou devant un endroit particulier de la nature, parfois je me surprenais en train de sauter à des endroits un peu accidentés, j'essayais d'apercevoir à travers des fenêtres, des haies des différents personnages que nous dénote ce roman, je me surprenais en train d'épier les caprices de Françoise avec sa Souveraine Mme Octave, les visites simultanées d'Eulalie et de Mr le curé à la tante, les promenades effectuées à travers les deux sorties de la maison du narrateur, tantôt du coté de Meseglise ou du coté simplement de swann ou tantôt du coté des Guermantes...on observe chaque famille avec ses caprices, les Vinteuil, les Swann, les Verdurin, Mr legrandin, les Guermantes... on s'y plonge, on s'y plonge, on s'y plonge...puis c'est la fin de ce premier tome et quand on relève la tête on se dit simplement waouhhh...quelle finesse dans la description d'une enfance, et tout va avec, les caprices, le silence en soi pour une observation plus approfondie de l'entourage et de l'environnement



C'est carrément un voyage..au départ, on n'a du mal à s'y mettre mais une fois trouver le rythme ou la respiration qu'il faut à cette lecture, on s'y plait forcement!!!
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Contre Sainte-Beuve

Sous ce titre a été rassemblé un ensemble hétéroclite de papiers dont l’un d'eux concerne bel et bien directement et explicitement Sainte-Beuve, mais, même dans ce chapitre, il s’agit moins d’une critique de Sainte-Beuve que d’une volonté de se positionner et d’exister en affirmant l’impulsion purement subjective qui hantera toujours l’auteur d’À la recherche du temps perdu.

Aussi, la critique attendue (car laissée à entendre par le titre) n’impose rien objectivement au lecteur, mais révèle plutôt quelques traits encore mal définis d’une conviction intérieure immédiate.

D’autre part, on retrouve plusieurs passages qui vont être repris dans À la recherche du temps perdu et qu’il me semble qu’il vaut mieux aller lire là-bas, à moins d’être un expert de Proust ou d’aimer l’érudition pour elle-même.
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Vivante prière contre l'oubli



Le temps est carnivore : il dévore tout sur son passage. C'est pourquoi chaque souvenir vécu en compagnie d'un être cher, se trouve consigné avec une encre d'or dans le grand livre de l'humanité. Ainsi, tant qu'un souffle vital nous anime, notre mémoire préserve de la disparition ceux que nous aimons de toute notre âme.



Ce deuxième tome d'"À la recherche du temps perdu" porte en lui la douce lumière du matin. "À l'ombre des jeunes filles en fleurs" chante la découverte de la beauté du monde, dans tous ses moindres détails. Chaque mot qui en porte témoignage est comme une pierre précieuse arrachée à la terre noire et qui resplendit enfin sous le soleil vainqueur de la nuit.



Si, comme l'écrit Proust, les huîtres sont « de petits bénitiers de pierre », alors peut-être que nous autres humains, lointains rejetons du grand océan, sommes une vivante prière contre l'oubli.



© Thibault Marconnet

Le 15 avril 2024
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Influençable et indécis, tel m’apparaît ce narrateur adolescent que l’on retrouve dans la première partie de ce tome. Que ce soit son appréciation des écrits de Bergotte ou sur la déception qu’il ait éprouvée en regardant la prestation de la Berma dans Phèdre, ses opinions changent passablement suite aux remarques que lui font son père, Norpois ou Bergotte lui-même. Quant à ses atermoiements, qui s’étirent dangereusement, face à Gilberte, on ne peut qu’en déduire que le jeune est encore au stade d’apprentissages et de découvertes. En même temps commencent à émerger ici des considérations et théories sur l’art et l’amour. Même si cette partie ne m’a pas complètement convaincu, j’y ai quand même trouvé plus d’intérêt que dans tout le premier tome de cette recherche.



Par contre le séjour à Balbec m’a beaucoup plu. Arrive une flopée de personnages qui auront une place importante pour la suite des choses : St-Loup, Charlus, Elstir, les jeunes filles, dont, bien sûr, Albertine elle-même. Le narrateur, confronté à de nouvelles expériences, y réfléchit beaucoup et longuement, en dégage des leçons et en tire des théories, en autres sur l’amour et l’amitié. Les itérations entre le côté social et les moments d’introspection équilibrent bien le texte. Au fil des pages, on se fait aussi de plus en plus à cette écriture si déroutante au départ de cette œuvre. La personnalité du narrateur se forge graduellement, mais on sent encore beaucoup de tâtonnements quant aux attitudes à adopter, de variations entre ses différents états d’âme et de confusion sur ses goûts, que ce soit en matière d’art ou de jeunes filles. Certains passages, notamment dans la description des jeunes filles, m’ont ébloui, d’autres m’ont grandement fait réfléchir et la plupart m’ont demandé un effort de lecture certain. Mais, l’écriture atypique, les élans philosophiques et les appréciations esthétiques valent amplement l’espèce d’acharnement que j’y investis. Guermantes pour bientôt.
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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

J’ai lu les deux premiers tomes de "À la recherche du temps perdu" un été, alors que j’étais lycéenne. J’étais fière de lire Proust, ça me paraissait une sorte de rite de passage à l’âge adulte. Du premier tome j’avais gardé le souvenir, certes pas d’un suspense haletant, mais plutôt d’une lecture qui prend son temps - parfaite pour l’été dans un transat à l’ombre.

Le deuxième tome j’avoue l’avoir lu en diagonale, c’était un peu trop pour moi à l’époque.

La lecture commune proposée par 4bis me paraissait donc une excellente occasion d’y revenir ; voire de poursuivre avec les tomes suivants ?

Bah non, tiens, finalement.

Alors d’emblée, j’aime beaucoup mieux quand Proust parle des choses que des gens : la description de l’église de Balbec couverte de lierre, la réminiscence évoquée par un bouquet d’arbres au cours d’une promenade, c’est magistral. Dans l’ascenseur en fin de journée, "à chaque étage une lueur d’or reflétée sur le tapis annonçait le coucher du soleil et la fenêtre des cabinets." Splendide, non ?

Mais quand il parle des gens…

Tout ce qui suit n’est que mon ressenti d’humble lectrice de 2023, je le précise à l’avance pour ne pas être enquiquinée par les vrais amateurs de littérature pour lesquels "faut replacer dans le contexte."

Quand il parle de lui, d’abord : c’est quoi ce type qui va au bordel et picole tant que tant, mais exprime les sentiments d’un enfant (il s’endort "dans les larmes" si Grand-Mère n’est pas venue lui faire son bisou du soir), voire d’un pré-ado de 12 ans quand il joue d’une fille contre une autre ?

Pourtant il écrit drôlement bien, Marcel ; aucun frotteur du métro, sûrement, ne s’exprime aussi joliment : "Je tâchais de l’attirer, elle résistait (…) je la tenais serrée entre mes jambes comme un arbuste après lequel j’aurais voulu grimper (…) et, au milieu de la gymnastique que je faisais (…) je répandis, comme quelques gouttes de sueur arrachées par l’effort, mon plaisir auquel je ne pus pas même m’attarder le temps d’en connaître le goût."

Aucun ministre de l’Intérieur ne saurait décrire aussi finement les femmes : "Même dans le bas peuple (…) la femme, plus sensible, plus fine, plus oisive, a la curiosité de certaines délicatesses."

Aucun Bernard Arnault ou autre ultrariche, sûrement, ne dépeint aussi élégamment sa domesticité : "le regard intelligent et bon d’un chien à qui on sait pourtant que sont étrangères toutes les conceptions des hommes".

(Bon, probablement aussi qu’aucun fêtard s’envolant pour Dubaï n’a un médecin qui lui aurait "conseillé de prendre au moment du départ un peu trop de bière ou de cognac, afin d’être dans cet état qu’il appelait "euphorie", où le système nerveux est momentanément moins vulnérable".)

Concluons : à mes yeux c’est plutôt un long essai sur la perception et la mémoire, destiné à des pairs érudits, mais mis en forme de roman - sinon personne ne l’aurait lu ?

Et puis surtout, la haute société qu’il décrit ne me donne qu’une envie : défiler le poing levé en brandissant un drapeau rouge. (Ce livre pourrait être un magnifique outil de la révolution prolétarienne, voyez Lady L. de Romain Gary.) Écrivant à la même époque, John Galsworthy ou Thomas Mann étaient autrement plus critiques, plus percutants, et avec plus de finesse à mon goût.

Une dernière citation ? Un éclair de lucidité : "Une grande question sociale, de savoir si la paroi de verre [de la salle à manger de l’hôtel] protégera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger." (Pour les personnes qui aiment bien replacer dans le contexte, "Mangeons les riches" date du 18ème et c’est de Jean-Jacques Rousseau.)

Merci aux collègues de la lecture commune, 4bis, AnnaCan, Berni_29, Cathe, Djdri25, gromit33, H-mb, HundredDreams, MisssLaure, mylena et Patlancien (ainsi qu’à NicolaK pour les biscuits… !)
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

Merveille des merveilles.



Voici le premier tome d'"A la recherche du temps perdu" chef d’œuvre de Marcel Proust.



Mon premier contact avec Marcel Proust a été au lycée. Lors d'un cours de philosophie nous avions étudié l'incipit de "Du côté de chez Swann". Je me souviens avoir été impressionnée par ce dernier. Je n'avais jamais rien lu d'aussi beau auparavant. Toutefois, la longueur de ses phrases-paragraphes m'avaient refroidie et démotivée à lire l’œuvre.



C'est bien des années plus tard, à l'occasion du centenaire de sa mort en 2022, que je me suis donnée pour défi de lire le premier tome de "la recherche". J'ai retrouvé la beauté des mots, ainsi que les phrases-paragraphes, voire pages.



J'ai eu du mal au début à lire Proust. Les phrases "glissaient" et j'avais du mal à saisir le sens de ce que je venais de lire. Je me suis peu à peu rendue compte qu'il ne fallait pas lire une cinquantaine de pages d'une traite, mais qu'il fallait prendre le temps de lire et d'apprécier cette œuvre. Je me suis donc adaptée au temps propre de Proust. Ma lecture est devenue fleuve et a pris un an. Je picorais de temps en temps quelques pages et les appréciait d'autant plus.



J'ai non seulement ressenti le désespoir du narrateur dans "Combray", mais aussi apprécié l'évocation de ses souvenirs d'enfance, notamment la fameuse madeleine. J'ai suivi avec grand plaisir la passion pour Odette de Swann, puis sa jalousie dans "Un amour de Swann". Enfin, j'ai souri face aux premiers émois du narrateur dans "Noms de pays: le nom".



Bref, il existe quelques œuvres qui marqueront à vie le lecteur. "Du côté de chez Swann" fait indéniablement partie de ces dernières.
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A la recherche du temps perdu, tome 6 : Alb..

Dans ce foisonnant roman à suspense, digne de figurer dans les meilleures ventes de thriller, nous partons à la recherche d'une certaine Albertine, qui est en réalité un transsexuel du nom de Joseph, Jojo pour les intimes. Jojo a mis les adjas après avoir monté un coup foireux, un hold-up qui a tourné au massacre après avoir ameuté tous les flics du quartier. Jojo se rhabille en gonzesse illico presto et dégage en loucedé comme un vulgaire cave, profitant du dawa qu'on mis les keufs. Il torpille quelques larfeuilles bien garnis au passage, en visant les clients les plus rupins. Le voila plein aux as, assez pour aller se planquer chez une duchesse de Pigalle, La Guermantes, qu'on l'appelle. Jojo claque son pognon, mais discretos, rapport à la maison Poulaga qui le cherche toujours. Il reprend le turbin et fait un numéro dans un chouette cabaret, Le Swann, avec sa copine Odette, qui fait des galipettes. Jojo, devenu Albertine pour mieux se planquer, décide de séduire le prince von Faffenheim-Munsterburg-Weiningen, un gars de la haute qui vient la voir tous les soirs et boit du champagne dans ses bottines taille 46. Un aristo grave siphonné mais pété de thunes. Un soir il l'emmène dans sa Rolls pour lui faire découvrir sa collection de papillons z'à vapeur. Et c'est alors que le Prince comprend que Jojo n'est pas une princesse, à la vue de son gros calibre dissimulé sous ses frous frous. Le Prince en est tout chaviré, et, la traitant de fieffée coquine, l'enlève dans ses bras musclés pour la conduire au château de ses ancêtres. Albertine disparait pour toujours de la scène du grand banditisme pour devenir la Princesse von Faffenburg-Wennigheim-Burgmunster-de-mes-Deuss, prisonnière de sa folle passion pour les crinolines et les chapeaux à voilettes.

Une bien belle romance écrite dans un style fluide comme j'en rafffffollle.
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Sur la lecture

J'approche de plus en plus du moment fatidique où cette fois, ce sera la bonne, je m'attaquerai au 1er tome d'A La Recherche du Temps Perdu. Ce n'est pas tellement le titre qui fait peur : Du côté de chez Swann, ça ressemblerait plus à une petite invitation sympa pour passer un dimanche après-midi, non ? En fait c'est plutôt son auteur qui donne la chair de poule : Marcel Proust et ses phrases à rallonge ! Tellement longues et avec tellement de digressions qui faut s'y reprendre à plusieurs fois pour se rappeler quel était le sujet de la phrase.



Bref.



Commencer par un essai, que j'avais lu en plus il y a à peu près 10ans, sans bien tout saisir d'ailleurs, s'annonçait comme une étape "raisonnable".

Alors, oui, il y a des phrases dont seul Proust a le secret. Je me demande d'ailleurs comment il faisait pour ne pas se perdre dans sa propre prose dans la digression est une règle plus qu'une exception à celle-ci.

Pourtant, il nous parle d'un sujet que les Babeliotes connaissent bien : la lecture ! Et oui, mais là encore, Proust n'échappe pas à ce qu'il est et à l'éducation qu'il a eu.



Derrière son point de vue très petit bourgeois intellectuel, on sent bien les frustrations du petit garçon malade qui devait rester enfermé et était limité dans ses déplacements. Ce qui l'a sans doute beaucoup frustré.

Pour Marcel Proust, la lecture est une démarche purement intellectuelle qui s'inscrit profondément dans le Temps, à la manière des monuments anciens. Les récits qui nous restent du passé abolissent donc les limites du temps du fait qu'il nous donne accès à ce qui n'est plus et ne se dit plus. Un instant d'éternité… Ainsi, pour l'auteur, la lecture en elle-même est presque secondaire et ne vaut que par le souvenir des lieux qu'elle nous laisse : que ce soit le lieu où nous, lecteurs, nous trouvions ou le lieu où se déroule le récit.

Un tel jugement l'amène à être très dur vis-à-vis des contemporains, ou d'auteurs classiques comme Alfred de Musset, par exemple.



La seule part d'émotionnel que Proust concède à la lecture, c'est le moment où il compare celle-ci à une "amitié sans contrainte" où l'autre (étant un objet) ne peut se vexer de notre opinion ou d'être délaissé.

Une esthétisation très intellectuelle quand même !



Certes, cet essai n'est pas complètement inintéressant, mais je ne partage pas vraiment le point de Marcel Proust, ce qui a rendu cette lecture un peu laborieuse.

Pas moyen de faire aimer la lecture aux jeunes générations avec de tels arguments ! Mieux vaut se tourner vers les Britanniques pour cela, avec Ruskin que Proust critique très vivement dans son essai d'ailleurs, ou plus récemment, Neil Gaiman.



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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..

Ce troisième tome est dans les toutes grandes lignes celui de l’entrée du narrateur dans les salons de la noblesse parisienne, et plus particulièrement dans ceux des Guermantes, famille aux innombrables ramifications, de vieille noblesse française.



Marcel Proust nous dépeint un portrait piquant, sans concession mais sans jugement de cette noblesse superficielle, snob, narquoise, méprisante envers la bourgeoisie, les artistes et ses pairs, elle se dit moderne mais reste accrochée aux traditions séculaires. Tout cela sur fond d’affaire Dreyfus qui alimente les conversations dans ce troisième volume.



Lors d’un certain dîner, j’étais en perdition parmi tout ce monde fréquentant ou invité dans ces salons, des noms illustres à ceux créés de toute pièce, de ceux dont l’arbre généalogique remonte à François Ier à ceux qui n’ont pas d’ascendance illustre : c’était vertigineux, ce tourbillon de noms et de liens entre eux m’a un peu lassée, heureusement les conversations et les mots de la Duchesse de Guermantes me gardaient en éveil.



L’art de la dérision et de l’autodérision est à son acmé, l’humour est fin et délicieux. Par ailleurs, dans la maladie, la disparition, le deuil, la gravité de ces moments est décrite avec une sensibilité extraordinaire et nous procure beaucoup d’émotions.



Il y a de magnifiques « épisodes » contemplatifs dans lesquels on se laisse bercer par le talent incommensurable de Proust.



Au travers d’une écriture sublime, inclassable, d’un œil perçant, de rêveries créatives, il nous dit tellement de choses qui font écho en nous aujourd’hui, qu’il fait donc de ce côté de Guermantes (et de la Recherche) un roman intemporel.

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A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le ..

J’ai fini il y a quelque temps la lecture du septième et dernier tome de A la recherche du temps perdu, Le temps retrouvé. J’ai trouvé ce texte prodigieux, magique, et à sa lecture, j’ai, je pense, mieux saisi la complexité et les implications de toute l’œuvre. Mais dans le même temps ce dernier tome m’a inspiré tant d’impressions et réflexions que j’ai eu beaucoup de difficultés à rassembler mes idées et à le commenter.

Et d’ailleurs, pour moi, impossible de tout dire et de tout décrypter dans ce dernier tome de la Recherche, tant ce que j’y ai trouvé, et qui souvent fait écho aux autres tomes, me paraît riche.



Le temps retrouvé est une œuvre posthume de Proust (comme le sont La prisonnière et Albertine disparue) publiée en 1927 grâce à son frère Robert Proust. Mais, à la différence des tomes 5 et 6, on sait que ce tome 7, Proust l’explique dans sa correspondance, a été ébauché en même temps que le premier. Sans doute parce qu’il donne les clés de sa conception de la littérature et plus généralement de l’art, et que toute l’œuvre gigantesque de « A la recherche du temps perdu », cette cathédrale de la littérature, est un développement de la conception du temps et de la mémoire exposée dans ce dernier tome.



Le récit débute par un séjour du narrateur à Tansonville, dans la demeure de son ami Robert de Saint-Loup et de son épouse et ancienne amie Gilberte. Cette entrée en matière, avec ce lieu, tout proche de Combray, avec l’éveil du narrateur dans sa chambre, avec les discussions avec Gilberte, reprend à la fois le thème de Combray de Le côté de chez Swann, et le leitmotiv de la chambre du narrateur, que l’on retrouve dans tous les tomes de l’œuvre, soit au début du roman, soit en cours de roman. Le narrateur se trouve confirmé par Gilberte dans l’infidélité et l’homosexualité d’Albertine.

Puis, le narrateur découvre un extrait du Journal de Goncourt, qui lui rappelle son incapacité à écrire une œuvre. En fait, ce pastiche savoureux se moque du réalisme en littérature, de ce que ne doit pas être une œuvre littéraire. Il anticipe sur la « révélation » faite au narrateur de ce que doit être une œuvre romanesque, et d’où elle tire à substance.

Le récit est alors consacré à ce Paris du temps qui passe pendant la première guerre mondiale, un Paris où revient le narrateur après deux séjours dans une maison de repos, un Paris où il y a les « embusqués », parmi lesquels les infâmes Verdurin, et les « courageux », tels ces Larivière qui font preuve de solidarité avec leur famille. Proust nous donne une description sans complaisance de la vie parisienne, de ces soldats qui reviennent du front et qui sont en total décalage avec les parisiens, des rumeurs diverses qui parcourent la ville, des bombardements quasi quotidiens (de 1918) par les Gothas-G, ces dirigeables allemands.

Dans ce Paris, le narrateur va aussi découvrir, avec tristesse, la déchéance du baron de Charlus qui s’adonne, dans un hôtel tenu par Jupien, à des pratiques sadomasochistes, un épisode, qui répond dans un jeu de correspondances, à Sodome et Gomorrhe; puis il va apprendre la mort au front de son ami Saint-Loup.



On retrouve le narrateur des années après la guerre, malade et revenu d’un autre séjour dans une maison de santé. Il se rend à une matinée organisée par le Prince de Guermantes, qui a épousé la richissime veuve Verdurin, sans doute une allusion symbolique à modifications des rapports sociaux induite par la guerre, à cette « prise de pouvoir » de la bourgeoisie fortunée sur l’aristocratie.

Tout d’un coup, la marche sur les pavés disjoints de l’Hotel de Guermantes ressuscite chez la narrateur la félicité d’un retour dans le passé, à un moment de son séjour à Venise avec sa mère. Et c’est la « Révélation » magique, et c’est tout un passage extraordinaire consacré à la mémoire involontaire qui permet de retrouver le passé, avec tous ses exemples, la petite Madeleine, le bruit de la petite cuiller et la nappe empesée, le livre François le Champi de Georges Sand, et d’autres encore.

Et le narrateur de nous expliquer que l’intelligence, le raisonnement sont impuissants à cette connaissance de ce Temps sans début ni fin, ce temps de notre moi, que seul l’art permet, pour paraphraser Klee, « non pas de reproduire le réel, mais de rendre réel », et seul l’art, l’œuvre littéraire, l’œuvre musicale, permettent de rendre compte de la vraie réalité, de ce phénomène purement mental qui est le rapport entre nos sensations et nos souvenirs, et qui nous rend hors du temps.

Pages prodigieuses dans lesquels par un renversement de perpective, alors que l’on arrive à la fin du roman, le narrateur nous expose sa « vocation », nous explique qu’il a enfin trouvé la raison d’entreprendre son projet d’écriture romanesque.



Mais le Temps c’est aussi ce fleuve qui mène à la vieillesse, et c’est ce que va découvrir le narrateur dans ce célèbre « Bal de têtes », où toutes les têtes et les corps des invités sont métamorphosés à des degrés divers par les années qui ont passé. Mais aussi, le Temps change les rapports mondains, plonge certaines ou certains dans l’oubli, mène à la mort, modifie, ou pas, les comportements des humains. Certains se bonifient, d’autres qui étaient des salauds dans leur jeunesse sont restés des salauds dans leur vieillesse. Proust se livre là à une analyse pénétrante et cruelle de l’œuvre du Temps, en décrivant, dans une sorte de final de revue, tous les changements des Charlus, Odette, Oriane, Gilberte, le Duc de Guermantes et tant d’autres.



Les dernières pages, absolument bouleversantes, sont consacrées au projet d’une œuvre qui donnerait une forme au Temps, et à l’espoir que la mort ne viendra pas arrêter cette entreprise. Alors que surgit, dans une sensation de vertige et d’effroi, le souvenir soudain de la sonnette dans le jardin d’enfance de Combray, le roman s’achève sur cette phrase qui résume le projet de l’œuvre, et que je reproduis « in extenso »:

« Aussi, si elle (la force) m’était laissée assez longtemps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps ».



Difficile pour moi d’en dire plus dans ce commentaire, tant cette œuvre est riche et je découvre au fur et à mesure de nouvelles perpectives, par exemple sur les effets de symétrie dans l’œuvre, sur les motifs récurrents analogues aux leitmotivs de Wagner que Proust appréciait, etc…D’ailleurs, par curiosité, je me suis livré à une recherche sur Internet des ouvrages et articles sur « A la recherche du Temps perdu » et sur Proust en général. Dans cette analyse qui n’est sans doute pas exhaustive, que de documents l’on peut trouver et dans des domaines aussi divers que la psychanalyse, la linguistique, la musicologie, la peinture, l’histoire, etc, preuve s’il en est de la richesse de cette œuvre.



Il y a bien longtemps, il m’avait semblé que j’avais trouvé dans Guerre et Paix de Tolstoï, le roman « complet » abordant une multitudes de thèmes: la place des humains dans l’Histoire et leur folie destructrice, l’amour, la passion et la haine, la recherche spirituelle, la compassion, et beaucoup d’autres choses.

Je sais maintenant qu’il y a aussi, dans un tout autre registre, À la recherche du Temps perdu, comme médiateur romanesque de l’exploration de la réalité humaine.



Deux remarques d’humeur pour finir.

La première concerne la Préface de « Le Temps retrouvé », celle de l’édition de Folio classique, écrite par Pierre-Louis Rey et Brian Rogers. Souvent, je me méfie des préfaces, du 4ème de couverture, qui donnent une vue biaisée du livre que je vais lire et je préfère me faire une opinion sans avoir lu ces documents. Cette Préface confirme mon opinion. Je l’ai trouvée froide, sèche, s’attachant sans empathie à la genèse de l’œuvre, et à son incomplétude. Je conçois que dans une préface, le préfacier ne doit pas forcément montrer qu’il apprécie l’œuvre, et peut avoir pour but d’en faire une analyse « objective ». Mais là, non, cela m’a fait penser à la dissection d’un corps par un anatomiste qui oublierait que le corps qu’il dissèque a vécu, aimé et souffert. J’ai trouvé depuis sur internet une introduction passionnante, malheureusement incomplète, de Bernard Brun, dont j’ai appris qu’il était chercheur au CNRS, enseignant à l’ENS, récemment décédé de la Covid. Cette édition existe en librairie au format poche.

La deuxième est une réplique à ce que j’ai lu ici et là sur les lectrices et lecteurs de Proust. Selon certains journalistes ou même Babeliotes, celles et ceux qui ont lu toute « La Recherche » se considéreraient comme des élus, des happy few, on pourrait presque les comparer aux membres de la coterie Verdurin; et même pire, avoir lu ce roman est moqué comme une sorte de challenge sportif. Je sais qu’il y a des « proustolâtres » comme des « rimbaldolatres », mais je pense que je n’en fais pas partie. On peut aussi concevoir, ne trouvez vous pas, qu’une œuvre littéraire, roman ou poésie, puisse, surtout quand, comme moi, on atteint un certain âge, être essentielle pour votre vie.



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A la recherche du temps perdu, tome 2 : A l..

Un jeune homme, très snob, parle de son auteur préféré Bergotte, ainsi que de sa déception lorsqu’il va pour la première fois au théâtre entendre la Berma.

Il commence à s’intéresser à des jeunes filles qui ont pour prénoms Gilberte, Albertine, Andrée, Rosemonde. Il tombe amoureux d’Albertine.

C’est une lecture très exigeante, qu’il est difficile de reprendre et d’arrêter.

Les phrases sont longues, mais nécessaires pour traduire la finesse des pensées du protagoniste. Il faut alors prendre son temps, lire lentement et savourer chaque image pour laisser les émotions venir.
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A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du ..

C’est bien ce dont je me souvenais. Proust m’ennuie profondément.

Désolée pour les amateurs, voire les inconditionnels.

Cette lecture confirme mon souvenir. Des phrases interminables pour raconter pas grand-chose.

Swann passe du désir à la jalousie , puis à l’ennui pour Odette, femme de peu de cervelle.

De dîners en soirées mondaines, c’est l’analyse psychologique d’une société oisive et superficielle.

D’aucuns admirent ce style ampoulé et tarabiscoté, ces phrases de parfois une page, où l’on ne sait plus de quoi on parle, ces conversations futiles….

Personnellement, je n’y ai pas trouvé de plaisir.

J’espère que Mickaël Uras me pardonnera.

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À la recherche du temps perdu - Intégrale

La critique doit « dire autre chose que l’œuvre ne dit pas » (Tzvetan Todorov).

L'essentiel ici, est donc de mettre en relief la signature du livre pour mieux dégager des thèmes-forts et des idées structurales afin de percevoir l’œuvre dans toute son étendue !



Tout d'abord, il serait une erreur de lire « A la recherche du temps perdu » en confondant écrivain et narrateur. Bien au contraire, le roman qui est bâti autour de la structure du double « je », évoque à la fois héros et narrateur. C'est lui qui ordonne l’œuvre selon un mouvement dialectique : le désir de révélation est toujours déçu par l'expérience du réel, et cet échec impose l’œuvre d'art comme seul moyen de salut !

Si l'on y trouve, ensuite, une satire de la société mondaine, l'analyse minutieuse de la passion et de la jalousie annonce les amours douloureuses du héros. En fait, la description des salons ne renvoie pas seulement au thème de la mondanité s'opposant à la création. Elle révèle aussi l'épaisseur du temps perdu et réponds, par ailleurs, à un but dogmatique qui vise à établir les lois psychologiques et morales.

Cette somme romanesque accorde, de surcroît,(comme nous l'avons dit plus haut) une grande importance au thème de la création : « A la recherche du temps perdu » souligne fortement l'idée selon laquelle le fonctionnement mondain se situe à l'opposé du fonctionnement artistique !

Le créateur n'est pas, comme chez Honoré de Balzac par exemple, un Dieu omniscient.

Le narrateur n'a de ses personnages qu'une image floue : ils ne se livrent à lui que de façon parcimonieuse et fragmentaire...

De même, il ne saurait rester en dehors de l'épaisseur du temps. Le narrateur est, dans le roman, une indétermination temporelle que serve la durée de la phrase proustienne.

Enfin, le temps chez Proust est un autre élément d'une unité encore renforcée par les analogies et les métaphores qui convertissent en une même substance les réalités diverses.



Ce monument de la littérature XXe siècle apparaît davantage comme l'aboutissement du roman traditionnel que comme l'annonce d'un roman nouveau.

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À la recherche du temps perdu, tome 3 : Le ..

On avait fini A l’ombre des jeunes filles en fleur sur cette glaçante image du jour d’été s’encadrant dans la fenêtre de l’hôtel, « aussi mort, aussi immémorial qu’une somptueuse et millénaire momie que notre vieille servante n’eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d’or ».



Charmant souvenir de vacances que le petit Marcel ramène de son premier séjour à Balbec !



Cette fin et tout ce qui précédait en matière de ratiocinations nostalgiques et stériles de la part d’un adolescent prépubère m’avaient mise dans un état d’agacement et d’incrédulité que certains se rappellent peut-être encore.



Bien sûr, Proust considérait la Recherche comme un tout et ce n’est pas lui être loyal que de commenter une césure qui n’est due qu’à des exigences éditoriales. Il n’en reste pas moins que j’ai senti un net changement d’atmosphère en entamant Du côté de Guermantes. Et heureusement !



Ce qui a commencé à me réconcilier avec lui, c’est la confession que fait le narrateur de l’erreur dans laquelle il se trouvait autrefois d’avoir voulu figer la Berma dans la gangue d’une admiration ne faisant que la détruire. Fossiliser le vivant n’est pas le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre semble enfin avoir compris le narrateur. Le voilà donc capable de reconnaître le prix de « gestes instables perpétuellement transformés », du « fugitif », du « momentané », du « mobile chef-d’œuvre ».



Dans mes bras, mon ami, tout est pardonné !



Partie sur un autre pied, notre relation n’a fait ensuite que s’étoffer des milles attentions, réflexions sagaces et joliment plaisantes que l’on a entre amis lorsque l’on cherche à renforcer une douce complicité. Ainsi, Proust connaissant mon intérêt récent pour les strates successives d’ancestrales ascendances telles que les définit Morizot (tous les animaux par lesquels notre évolution nous a fait passer et que nous gardons à même la peau), Proust, disais-je, a parsemé en conséquence son texte de bestioles diverses qui jaillissent malicieusement des endroits les plus inattendus.



Ces sont les « trois Parques à cheveux blancs, bleus ou roses », antiques reliques ornant le salon de Mme de de Villeparisis qui se sont livrées à une inconduite qui ne peut être que « proportionné à la grandeur des époques antéhistoriques, à l’âge du Mammouth. » C’est la maladie de sa grand-mère qui fait sentir au narrateur que notre corps n’aura jamais aucune pitié pour nous, que négocier avec lui, ce serait comme « discourir devant une pieuvre, pour qui nos paroles ne peuvent pas avoir plus de sens que le bruit de l’eau, avec laquelle nous serions épouvantés d’être condamnés à vivre. » Il y a bien sûr « la forme confuse du protozoaire dépourvu d’existence individuelle » que se sent être le narrateur dans le divin regard de la duchesse de Guermantes à l’Opéra. Le moment du premier baiser à Albertine où on apprend que « l’homme, créature évidemment moins rudimentaire que l’oursin ou même la baleine, maque encore cependant d’un certain nombre d’organes essentiels, et notamment n’en possède aucun qui serve au baiser. » Et, last but not least, le renne avec lequel est comparé Monsieur de Charlus, qui tire du spectacle des gens du monde la matière première de sa conversation, comme ces cervidés le lichen, les mousses, dont « une fois digérés » ils font un aliment assimilable pour les Esquimaux.



N’est-ce pas chou, toutes ces allusions à mon dada du moment ?



Amadouée par tant de sollicitude, riche de cette collection hétéroclite de spécimens que n’aurait pas reniée le professeur Burp des Rubriques à brac, je me suis sentie l’allant pour flatter à mon tour la marotte de mon nouvel ami : le nom et ses relations avec l’imagination.



Il m’a semblé que ce n’était finalement qu’un jeu de trame. Verticalement, et dans une relative homogénéité d’usage, il y a les noms qui font rêver. La Berma donc, cantatrice de son état, Elstir, le peintre, Balbec, Combray, Guermantes, Vinteuil, Venise, etc..

Ce sont les récipients destinés à contenir une précieuse substance. A ce compte, ils sont d’ailleurs parfaitement substituables l’un à l’autre, entendre la Berma revient à partir pour Balbec, penser à Gilberte ou gagner Venise. Par métonymie, vous pouvez aussi les remplacer par un bout de vitrail, une madeleine, une aubépine, une certaine qualité de la lumière. (Les dames aimées, objets de tant d’attentifs soins circonstanciés, apprécieront.)



La question d’importance réside plutôt dans la nature de ce qui remplit ces noms-vases. Le côté horizontal de ma démonstration. Ce sera ce que les expériences de la vie vous amèneront combiné à la représentation que vous en aurez conçue précédemment. Ainsi le nom de Guermantes contient-il une somme de féérie, d’histoire aristocratique, de nostalgie propre à Combray que la collusion avec son incarnation par la duchesse de Guermantes va tour à tour confirmer, trahir, étoffer, révéler.



Quand elle met les mêmes robes que toutes les autres femmes de sa condition, Oriane se montre d’un commun qui n’honore pas son nom. En revanche, quand elle utilise des vocables anciens, a des intonations venant directement de Guermantes, son langage acquiert une pureté, « cette séduisante vigueur des corps souples qu’aucune épuisante réflexion, nul souci moral ou trouble nerveux n’ont altérée ». Cruel tableau de qui est loué pour son conservatisme langagier, son absence de morale et de réflexivité. Mais au moins ainsi, la duchesse aura fait jaillir ce qu’est vraiment Guermantes pour le narrateur.



Limite de l’exercice, lorsqu’elle se montre spirituelle et brillante mais affreusement snobe et mondaine à ses dîners, est-ce Guermantes qu’elle exhale ? La question ne manque pas de tourmenter le narrateur qui ne peut se résoudre à adorer une telle vacuité pas plus qu’à briser l’idole que constitue la duchesse de Guermantes à ses yeux.



Récapitulons : le contact avec les expériences de la vie va donc se charger de faire varier la définition que l’on pouvait conférer aux noms-réceptacles. Mais ce ne sera jamais qu’à la lumière que lui donnera l’imagination. Et il pourra même arriver que la réalité n’ait aucune chance de pénétrer dans ces arcanes.



Prenez cette pauvre Albertine qui a été l’objet d’une looongue et confuse rêverie enamourée dans A l’ombre des jeunes filles en fleur. Grandie, émancipée, elle se trouve un après-midi dans la chambre du narrateur et se fait embrasser. On se dit que c’est le moment tant attendu, la consécration physique de tant de rêveries éthérées. Ca y est, Marcel conclut ! On va en avoir pour des tartines et des tartines de congratulations dégoulinantes, d’idylliques représentations que le mythe des androgynes n’a jamais atteintes.



Pas du tout.



Bonne pâte, Albertine rend les baisers tant et plus que « ses caresses amèn[ent] la satisfaction (…) dont [le narrateur] avai[t] craint qu’elle ne lui causât le petit mouvement de répulsion et de pudeur offensée que Gilberte avait eu à un moment semblable ». Faites-vous une idée précise de la chose et repérez, au passage le glissement, l’équivalence Albertine = Gilberte. Même au plus fort des ébats, à l’acmé de la jouissance, la jeune fille n’existe pas pour elle-même. De vase, elle a, plus que jamais les attributs.



Cette étreinte vide d’ailleurs Albertine de tout ce qu’elle représentait. C’est que le narrateur, non seulement pense à Gilberte, mais en désire une autre, qu’il n’a même jamais vue, Mme de Stermaria. Et hop, une troisième nana dans le lit !



Mais surtout, « c’est la terrible tromperie de l’amour qu’il commence par nous faire jouer avec une femme non du monde extérieur, mais avec une poupée intérieure à notre cerveau, la seule d’ailleurs que nous ayons toujours à notre disposition, la seule que nous posséderons, que l’arbitraire du souvenir, presque aussi absolu que celui de l’imagination, peut avoir fait aussi différente de la femme réelle que du Balbec réel avait été pour moi le Balbec rêvé ; création fictive à laquelle peu à peu, pour notre souffrance, nous forcerons la femme réelle à ressembler. »



Vous voyez l’entourloupe ? Le réel n’existe pas, seule l’imagination et le souvenir président à remplir les noms de ce qu’ils voudront bien y mettre. On comprend mieux alors qu’ils soient interchangeables. Le tout est de tisser entre ces deux instances et la vie assez de points de correspondances pour que puisse s’exprimer cette forme de vérité qui précipite enfin le nom et la chose rêvée en une unique substance.



A ce point de nos relations, Proust et moi, je me suis sentie reprise de mes préventions antérieures. Et ce n’était pas l’offrande d’un Mammouth ou d’une pieuvre qui allait suffire à m’amadouer. Et puis je me suis gourmandé et rappelé ma promesse solennelle de ne pas me focaliser sur ce qui ne pouvait être changé. Et de porter mon attention plutôt sur l’extraordinaire richesse de combinatoires que représente un tel système. Sur le miroitement des sens que dissimulent des propos aux apparences souvent définitives. Derrière la phrase aux allures de sentence, l’utilisation du présent gnomique, on trouve bien souvent une fantaisie, une inventivité qui enchantent et révèlent le triomphe paradoxal de l’impermanence, du mouvement, de la vie.



Allez, copain, on remet ça et on prend date pour Sodome et Gomorrhe ?

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