Revolver de Marcus Sedgwick
Eric lui exposait les rudiments de la peinture à l'huile, lui expliquait que chaque couleur possède une nature différente et doit être traitée avec respect, de la même façon que l'on doit soin et respect à un animal en cage. Et que les brosses ont le pouvoir d'apprivoiser des bêtes, et de les transposer sur la toile, afin de créer la beauté, ou la puissance.
Même les morts racontent des histoires.
Sig regardait fixement le corps immobile de son père, attendant qu'il parle, or le père se taisait, car il était mort.
" Je puis être beaucoup de personnes, avait-elle entendu Merle dire sérieusement à Eric. Pourquoi dois-je n'en être qu'une seule ? Je suis une foule de gens et je les aime tous et tous m'aiment."
C'est une petite île, et une petite communauté. Nous n'avons pas besoin de courir. Nous marchons. Si quelque chose presse, on peut emprunter une bicyclette.
Et c'est là que, du coin de l'oeil, j'ai vu la chose.
Une chose hideuse, horrible, épouvantable.
Une queue. Une queue absolument gigantesque, qui luisait, noire et visqueuse.
Elle a disparu avec le reste du corps monstrueux sous les buissons, près du mur du château et puis, pfft ! Plus rien.
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai tout de suite flairé les ennuis.
Je me suis précipité dans les fourrés où la chose s'était volatilisée et je me suis perché sur une branche. Une branche haute, par sécurité.
- Je suis blessé, constata-t-il en découvrant les gouttes de sang sous ses doigts.
Wolff souffla sur son ragoût et ingurgita une pleine cuillerée.
- En quoi ça me concerne ?
La question n'attendait pas de réponse.
Sig ne répliqua pas. La coupure était sans gravité, et il avait appris une chose. Aussi apeuré fût-il par la réaction violente de Wolff, il était au moins parvenu à lui faire perdre son sang-froid, et il préférait avoir affaire à un homme en colère plutôt qu'à l'automate glaçant, qu'il avait eu face à lui jusque-là.
Du coup, il se faisait moins l'effet d'être une mouche sur le point de se faire écraser par une botte; il se sentait davantage dans la peau d'un garçon qui affronte un géant.
C'était dans ces occasions qu'Einar disait à Sig des choses importantes. Les choses qu'un fils doit apprendre de son père. C'était dans ces occasions qu'il lui parlait de l'époque de la ruée vers l'or, et de la fièvre, de la soif de l'or, ou encore du revolver qui reposait dans son coffret d'origine, tel le diadème d'une princesse dans son écrin. Et Sig, en bon élève, écoutait, écoutait inlassablement, posant une rare question de temps à autre.
- Un pistolet n'est pas une arme, lui avait dit une fois Einar. C'est une réponse. Une réponse aux questions que la vie te jette à la figure quand il n'y a personne d'autre pour te venir en aide.
Sig n'avait pas compris ce que son père entendait par là. Pas encore.
- Qu'est-ce que c'est, papa ? demanda-t-elle dans un chuchotement.
Maria se réveilla et se redressa sur son séant. Son mouvement dérangea Sig qui s'éveilla à son tour pour assister à l'une des rares scènes de sa petite enfance dont il devait se souvenir nettement et toujours.
Oui, il se rappellerait toujours l'expression de sa mère découvrant l'acquisition d'Einar, mais ce serait que bien des années plus tard qu'il parviendrait à mettre un nom sur cette expression. Désespoir.
- Qu'est-ce que c'est ? répéta Anna. Ca se mange ? C'est pour quand nous n'aurons plus aucune provision ?
- Non, marmonna Einar. Il s'agit d'autre chose. Pour quand nous n'aurons plus la foi.
Dépenses : quatre bonnes, un valet, un cireur de bottes, remplacement du verre du toit de la Rotonde, souris asséchées, litière pour le singe, graisse pour les machines de Valvigne.
Rentrées : aucune.
Et quoiqu'il passât la majeure partie de son temps à chercher, penser,observer, jamais il ne parvenait à se débarrasser complètement du sentiment d'attendre quelque chose.