Nous sommes au Siam. Il ne faut rien précipiter. L’important, ici, est de savoir attendre ; les choses, ensuite, s’arrangent toutes seules.
Je suis ici pour éduquer les enfants royaux et non pour entrer au harem. Comprenez-moi, je suis différente de vous. Il vous suffit de jouer, de danser et de vous parer pour plaire à votre maître. Moi, je dois travailler pour nourrir les miens puisque mon mari est mort.
Qu’importe un peu de soleil à un homme accoutumé à la chaleur ?
La hauteur, la profondeur et la gloire, à travers les choses bonnes et mauvaises, à travers la vérité et l’erreur, la sagesse et la folie, à travers la tristesse et les souffrances, l’espoir, la vie, la joie, l’amour, la mort, à travers l’éternel changement, jusqu’à l’immuable !
Ce monde enfermé dans le palais était un univers en raccourci, qui ne comptait qu’un soleil autour duquel gravitaient de nombreuses lunes. Tout tournait autour du roi. Ses faits et gestes quotidiens déterminaient ceux des femmes du harem.
L’amour du roi pour les enfants constituait son trait de caractère le plus sympathique. Leur beauté et leur sincérité lui plaisaient. Ils l’amusaient aussi par leur impudence innocente. Il prenait les bébés dans ses bras et grimaçait pour les faire rire.
Vivre ici ? Comment pourrait-elle supporter cet endroit, où la tyrannie s’exerçait avec une telle violence qu’elle pouvait la sentir ? Où l’ombre de l’esclavage était si dense que même la lumière du soleil s’en trouvait assombrie ? Vivre là ? Où nulle indépendance ne lui serait accordée, nul répit de la part du harem, nulle liberté d’aller et de venir ? Là où toutes les portes sont gardées, où chaque geste est surveillé par des espions, où elle n’aurait pas de foyer où élever son fils dans les chères traditions anglaises ? Elle serra ses lèvres tremblantes. Jamais ! Elle ne consentirait jamais à s’enfermer, loin de la protection du consul anglais et des missionnaires américains.
Le Chow Phya, le plus moderne des bateaux à vapeur faisant la navette entre Singapour et Bangkok, jetait l'ancre devant la barre, à l'embouchure du fleuve dont il portait le nom. Penchés sur le bastingage, les artistes d'un cirque s'efforçaient d'apercevoir ce pays dont le souverain avait prié leur troupe de venir distraire sa vaste famille. Les chiens savants aboyaient et montraient les dents à ceux du capitaine George Orton , mais Jip et Trumpet, hautains, ne leur témoignaient que mépris.Une jeune Anglaise, mince et gracieuse, se tenait à l'écart de ce groupe bruyant et rieur. Elle portait une modeste robe couleur lavande à manches longues et à col montant. Des boucles brunes encadraient son joli visage, dont le nez trop grand n'atténuait pas le charme. Ses yeux sombres étaient fixés sur la ligne de terre, à l'horizon. Debout, presque immobile, elle jouait avec un curieux bijou épingle sur sa poitrine : une broche en or faite de deux griffes de tigre. Une chienne terre-neuve était assise à côté d'elle, paisible. Les chiens de cirque s'approchèrent, la flairèrent et aboyèrent, mais elle ne leur rendit pas la politesse. Calme et digne, elle ne se laissait point séduire par les familiarités d'inconnus. Elle contemplait le visage de sa maîtresse qui regardait, au-delà des flots, le lointain rivage.
Elle se demanda, comme à chaque occasion où le découragement s’emparait d’elle, pourquoi elle était venue en ce pays où sa sensibilité souffrait chaque jour du manque d’égard pour toute valeur humaine, base de tous les maux constatés autour d’elle : l’injustice, le favoritisme, l’esclavage et le concubinage. Le roi traitait ses femmes comme des animaux familiers, élevés et nourris pour son seul plaisir et qu’il pouvait supprimer à son gré.
La géographie et l’astronomie enflammaient ces vives imaginations orientales d’un enthousiasme tout particulier. Chacun avait son idée sur la forme de la terre et il fallut beaucoup de patientes répétitions pour les convaincre tous qu’elle n’était ni plate, ni cubique.