Rentrée Littéraire Flammarion 2012 - Interview autour du livre de Margaux Fragoso
Présentation du nouveau livre de Margaux Fragoso, Tigre, tigre ! par son éditrice française.
Tes instincts - souviens-toi qu'ils ont presque toujours tort. Ceux qui ont raison pour ce que tu dois faire, ce sont tes amis et ta famille, ils sont de bon conseil ; et même le premier venu dans la rue, qui ne sait rien de rien sur toi : raconte-lui où tu en es, et son avis sera bien meilleur que tout ce que tu pourras penser, la tête dans les mains, à ton propre sujet.
J’ai commencé à écrire ce livre l’été d’après la mort de Peter Curran. J'ai rencontré Peter quand j’avais sept ans et j’ai eu une relation avec lui pendant quinze ans, jusqu’à ce qu’il se suicide à l’âge de soixante-six ans.
Le secret : voilà ce qui a permis au monde de Peter de s'épanouir. Le silence et le déni sont exactement les forces sur lesquelles comptent tous les pédophiles pour que leurs vrais mobiles restent cachés. [...] Les prédateurs sexuels cherchent des enfants de foyers perturbés, comme était le mien, mais ils peuvent aussi tromper des familles ordinaires en leur faisant croire qu'ils sont tout à fait ordinaires eux aussi, ou même des membres éminents de la communauté. Les pédophiles sont maîtres en tromperie parce qu'ils excellent d'abord à se tromper eux-mêmes ; ils s'illusionnent à croire que ce qu'ils font est inoffensif.
C’est comme si les pédophiles vivaient dans une sorte de réalité fantastique, et ce fantastique contamine tout. Comme s’ils étaient eux-mêmes des enfants, mais pleins d’un savoir que les enfants n’ont pas.
Vivre avec lui,"c'est" un film d'horreur, dit Maman.
Non,vivre avec lui, c'est une "chaîne" de films d'horreur.
Sans coupure pour la pub." Je plantai ma paille dans la colline de sel et soufflai tous les petits grains.
Ses yeux étaient pleins de larmes, et quand j’essayai de le toucher, il repoussa ma main. « Quand je me lève le matin, quand je me couche le soir, c’est toi ! Ma première pensée quand je me lève c’est de boire un café, de fumer une cigarette, et d’écrire une lettre à Margaux ! Regarde tout ça ! » Il montrait une caisse qui contenait tous les classeurs de ses brouillons de lettres. « Ma chambre, c’est un mausolée ! »
C’était vrai. Tout ce qui était moi était conservé dans cette pièce. Sans Peter pour me voir, pour m’adorer, comment pourrais-je exister ?
" J'invente des histoires pour ma fille, tout comme mon père l'a fait pour moi quand j'avais son âge. Je cultive certaines traditions familiales; les autres doivent disparaître avec moi."
-Huit ans est le plus bel âge pour une fille, dit Peter quand j’eus ouvert mes cadeaux. Mais ça me rend triste de te voir grandir.
Ça me rendait un peu triste, moi aussi. Quand j’avais quatre ou cinq ans et que les gens me disaient que j’allais grandir, je ne les croyais pas. Je ne pouvais pas croire que mes pouvoirs d’enfant ne dureraient pas toujours – me cacher sous les tables, loger mon corps entier sous une chaise ou dans des recoins minuscules. Je chérissais cette souple liberté animale, la joie de plier entièrement bras et jambes sous moi, de trouver dans les barrières une brèche où me glisser, une fente entre un tronc d’arbre géant et un mur de pierre ; c’était là ma gloire.
On ne peut pas avoir ce qu'on veut, dans la vie. Mais on peut être soi-même, avoir fait des choses courageuses, avoir vaincu ses peurs, et regarder sa jeunesse avec fierté : on peut être ce genre de personne-là.
Je ne me lève pas en attendant du soleil qu'il se lève, et, quand il le fait, je prends ça comme un cadeau.