Au dîner tout le monde était de très mauvaise humeur. Sa mère, invitée pour empêcher qu'elle ne se suicide avec ses habituels délices de croquantins moelleux à base de cancer pur, en avait après les conducteurs de tram et de bus qui ne conduisent plus comme autrefois qui te ferment la portière dessus et qui pratiquent le freinage meurtrier, les écoliers qui te refilent de ces coups de cartable à te fracasser les os et quand ils sont assis tu parles qu'ils se lèvent pour te donner leur place, ils font semblant de ne rien voir et ils regardent par la vitre; les automobilistes qui se garent sur les trottoirs et ne respectent pas les passages piétons.
Nous sommes vraiment imprévisibles, aussitôt qu'entrent en jeu les émotions et les sentiments forts. Notre équilibre relatif, les tiroirs où nous avons rangé nos convictions, nos choix et nos priorités, l'appartement mental où nos contradictions parviennent à cohabiter : tout est mis sens dessus dessous, tout est bouleversé, comme après le passage d'une bande de vandales. Impossible de trouver les instruments nécessaires pour affronter les mille circonstances quotidiennes, nous sommes comme égarés sur une terre inconnue.