La montagne s'animait, semblait-il. Peut-être se l'imaginait-elle ? Les yeux brûlés par le vent, elle voyait à peine encore le sol crevassé sur lequel elle allait, semblable à une personne somnambule.
Elle s'appuya à un rocher.
< < Je pourrai m'abriter là-dessous et dormir... Non, non, il ne faut pas. C'est dangereux. > >
Et puis, tout à coup ; rêvait-elle ? Elle entendait un galop de cheval.
< < Je dois avoir les oreilles gelées... > >
Malgré son incrédulité, elle se retourna. Quoi ! Elle ne rêvait pas !
Un cheval accourait, un cheval fou de terreur et qui fuyait en galopant.
Il parut gigantesque à Manuela. Elle remarqua qu'il trainait derrière lui un morceau du traîneau brisé.
Le cri qui s'échappa des lèvres gercées de la pauvre fille ressemblait à un hurlement de joie :
< < Alicante ! > >
Que se passa-t-il dans le cerveau du cheval, miraculeusement préservé de l'avalanche ?
Une voix humaine... cela signifiait la fin de l'épouvante. Il stoppa, frémissant, l'échine parcourue de frissons.
Puis, d'un bond, il rejoignit celle qui étendait vers lui ses mains tremblantes.
< < Alicante ! Oh ! ne me quitte pas. Je t'en prie. Attends, laisse-moi te tenir, oui, comme ça... > >
Elle se serra contre les flancs chauds de l'animal, prit la tête d'Alicante entre ses bras, l'embrassa, répétant :
< < Tu es là ! tu es là ! > >
Elle appuyait sa joue contre celle du cheval, ne sachant ni ce qu'elle disait ni ce qu'elle faisait.
< < Emmène-moi. Sauve-moi ! > >
Elle eut beaucoup de peine à monter en selle, à s'y tenir assise.
< < Enfin, ça y est. Tu peux aller. Va ! > >
Elle lui tapota l'encolure pour l'encourager. Il n'avait pas besoin d'être dirigé. Toute sa frayeur oubliée, il redevenait prudent, suivait le sentier des crêtes sans faire de faux pas. Il sentait sur ses flancs le poids de la jeune fille. Comme elle était légère et qu'elle voix douce elle avait ! Ses mains tenaient à peine les rênes.
Manuela se laissait emporter, le cœur gonflé de gratitude envers Alicante au trot paisible. Oh ! elle le savait maintenant ! Il la ramènerait à Saint-Jean-le-Bas, il n'y avait qu'à le laisser aller, se fier à lui, s'abandonner.
Quelle merveilleuse impression de soulagement quand les lumières du village apparurent pareilles à des regards lumineux ! Elles étaient au fond de la vallée et, peu à peu, semblèrent moins lointaines.
Oui, peu à peu, les deux rescapés se rapprochaient de Saint-Jean.
< < Vous voyez, le lac Vert ne mérite pas son nom en hiver puisqu'il est aussi blanc que le reste du paysage. Mais en été, il est vraiment vert à cause de tous ces sapins qui le bordent. C'est un lieu de promenade pour tous les estivants. Quand personne ne vient ici, c'est encore plus beau ! > > acheva Manuela qui se baissa et creusa avec ses doigts dans la neige pour en retirer une pierre.
Elle la lança avec force sur la glace qui se brisa. L'eau sombre s'agita entre les bords déchiquetés.
< < Écoutez ! conseilla encore l'adolescente, l'air mystérieux. Vous allez surprendre le secret du lac Vert.
- Je l'entends ! s'écria Tonio avec ravissement. C'est une cloche qui sonne, qui sonne... > >
Les deux jeunes filles parurent intriguées.
< < Que veut-il dire ?
- Je vais vous raconter la légende de la cloche, fit Manuela avec sérieux. C'est une histoire étrange. Il y a longtemps, bien longtemps, vivait à Saint-Jean-le-Bas un vieux fondeur de cloches. Il habitait dans la maison basse derrière l'église. Sa renommée s'étendait au loin. On venait de toutes les régions de France pour lui commander des cloches. Il en fondait des lourdes et de légères. Chacune d'elles avait un son différent, des éclatants et des doux, des graves et des aigus. Un jour, il en fit une toute petite pour un tout petit clocher, si belle, si belle qu'il ne voulu jamais s'en séparer. On raconte que pour fondre cette cloche-là, il avait pris de l'or et de l'argent, et que c'était pour ça qu'elle tintait merveilleusement. Alors, pendant une nuit d'hiver, des hommes qui la convoitaient vinrent avec un traîneau tiré par deux chevaux. Ils volèrent la cloche et l'emportèrent. Mais leurs chevaux prirent peur en passant près du lac, ils s'emballèrent, le traîneau versa, et la cloche disparut au fond de l'eau. Les voleurs s'enfuirent, effrayés.
- Et le fondeur ? s'inquiéta Tonio. Qu'est-ce qu'il a fait ?
- Il est venu au bord du lac et a regardé le grand trou fait dans la glace. Puis il a dit que sa cloche ensevelie continuerait de sonner. Les gens se moquèrent de lui naturellement, on le traita de fou. Mais, lui, écoutait les bavards en souriant. Il affirma que certaines personnes pouvaient l'entendre...
- Lesquelles ? s'enquit Anna.
- Celles qui garderaient "une cœur d'enfant". > >
Manuela regarda son frère avec attention :
< < Comme tu es pâle !
- J'ai peur qu'il revienne, avoua-t-il tout honteux.
- Cette nuit, il n'osera plus.
- Et demain ?
- Laisse-moi réfléchir. > >
Elle mit deux briquettes dans le fourneau, versa du lait dans l'assiette du chat. Celui-ci le lapa avec avidité et n'en laissa pas une goutte.
Manuela conseilla :
< < Maintenant, allons nous coucher, et ne te tracasse plus. Je trouverai un moyen pour l’empêcher de recommencer. > >
Dans la cuisine, il y avait une alcôve dissimulée derrière une porte double sculptée. Quand on l'ouvrait, on découvrait deux lits. Depuis que leur père se trouvait au sanatorium, les enfants couchaient ici. Auparavant, ils logeaient sous le toit où deux petites mansardes avaient été aménagées.
Tonio se déshabilla. Manuela éleva le chat jusqu'à son visage et embrassa le nez, plus clair que le reste du corps. Le garçon oublia son souci.
< < Si j'étais Minou, dit-il, je guetterais Franck Pollus. Quand il passerait près de moi, je sauterai sur son dos et je lui grifferais le cou. Ah ! il pourrait bien crier et se secouer ! Je m'accrocherais avec mes griffes de toutes mes forces. Il n'arriverait pas à se débarrasser de moi.
- Mais comme tu n'es pas Minou..., commença sa sœur. Ne t'en fais pas et dors tranquille. Je crois que j'ai une idée.
- Dis-la-moi !
Elle se coucha à son tour et lui glissa quelques mots à voix basse. Quand il l'eut entendue, il exhala un soupir de soulagement.
Les rues, à cette heure, étaient désertes. Les lampadaires, casqués de neige, répandaient une clarté jaune sur le sol. Les chalets, dont les toits lourdement chargés se touchaient, avaient l'air de se serrer pour avoir plus chaud. Presque tous avaient leurs volets clos. Pourtant, certaines fenêtres à petits carreaux laissaient filtrer, à travers les dessins du gel, un peu de lumière qui rougissait la neige.
< < Il ne fait pas froid, constata Tonio. Peut-être qu'il va de nouveau neiger.
- Oui, peut-être ! > > répondit sa sœur machinalement. Elle avait les yeux tournés vers Saint-Jean-le-Haut dont les hôtels brillamment éclairés trouaient l'obscurité de points lumineux. Une secrète anxiété ne la quittait pas.
En approchant de leur chalet, elle retint son frère par le bras et chuchota :
< < Ne bouge pas, il y a quelqu'un là-bas. > >
Tu me regardes avec étonnement, tu me trouves sale...
Je...
Si, si, cela se voit dans ton regard, ne t'excuse pas ! La propreté est quelquefois une vanité, jeune homme ! Tu comprendras ce que je veux dire quand tu rencontreras des hommes propres, bien lavés, dont l'âme est aussi noire que le jus de ma chique.
Elle était mince et blonde, d’un joli blond doré. Pourtant sa finesse, sa légèreté, étaient trompeuses;Lili cachait sous ces dehors là une robustesse d’enfant habituée à vivre au grand air.
< < Pourquoi dire : "jamais" ? Moi, j'espère toujours. > >
Elle attend quelqu’un, se dit Lili. Ne la dérangeons pas .Comme cette femme est élégante !
Un bon sourire,
Une poignée de main,
Ça fait plaisir
Et ça ne coûte rien !