Marie Luny

Il est torse nu et son corps luit de sueur. Son visage est dépourvu de son sourire habituel et ses yeux verts… Mon Dieu, ses yeux sont remplis de douleur. Le vert est foncé, et une lueur sombre entoure ses iris. Je ne le reconnais pas, ce n’est pas l’homme qui a veillé sur moi pendant trois jours.
Mais qui est-il ?
À cet instant, j’ai peur, non pas pour moi, mais bel et bien pour lui. Sa peine est palpable, tellement qu’elle me fait mal pour lui et je me demande comment il fait pour vivre comme ça et surtout pourquoi il souffre autant.
Tant de questions se bousculent dans ma tête et pourtant je sais que je n’aurai jamais l’occasion de les poser et de toute manière, il n’y répondra pas.
On n’est pas amis.
On n’est rien l’un pour l’autre.

- Je vais faire un tour.

Je n'ai pas tenu plus de cinq minutes. La tête baissée, j'ai essayé de refouler la douleur, mais celle-ci est insupportable. Elle me vrille les tripes et j'ai l'impression que mon cœur se brise encore une fois. Etre avec eux, échanger des nouvelles sur nos vies est bien plus dur que je ne le pensais.

Pourtant j'ai tenté de me préparer psychologiquement, mais je prends seulement conscience maintenant que rien n'aurait pu m'aider à affronter cette soirée. J'ai juste besoin de courage, beaucoup de courage, car être en leur présence fait remonter trop de souvenirs - et pas que des joyeux. Je n'arrive pas à sourire alors qu'au fond de moi, je pleure. Je ne sais pas faire cela, je ne sais pas cacher mes émotions. On m'a toujours dit que je suis comme un livre ouvert, et c'est peut-être ce qui m'a perdue, en fin de compte, il y a si longtemps. Je préfère partir avant de leur donner ne raison de se moquer de moi.

J’ai beau lire sa déposition, je ne ressens rien. Les mots couchés sur le papier, sont froids. Lorsqu’il parle d’elle, j’ai l’impression qu’il est ailleurs, qu’il s’en fiche complètement. Il stipule juste son emploi du temps et déclare qu’il n’a pas eu de nouvelles de sa femme depuis quatre jours et qu’il est très inquiet.
Mais comment, peut-on rester sans nouvelles de sa femme plus de deux jours sans en informer la police ? Ce n’est pas logique ! Il a déclaré la disparition, quatre jours après.
C’est vrai que l’on commence à effectuer des recherches après soixante-douze heures mais merde, c’est Iris, ce n’est pas n’importe qui ! Ce n’est pas son genre de partir sans rien dire et de laisser sa fille.

« C’est le souffle court que j’agrippe son tee-shirt noir. Mes jambes me soutiennent à peine et sans ses mains sur moi pour me maintenir, je m’écroulerai comme une crêpe par terre. En même temps, c’est à cause de son touché, que je suis comme ça. Il a toujours eu un certain effet sur moi. Dès notre rencontre, il y a eu un truc inexplicable qui nous a attiré l’un vers l’autre. À l’époque, j’avais beaucoup de mal à lui résister et je réalise que c’est toujours le cas aujourd’hui, malgré les années qui se sont écoulées, malgré notre passif, malgré la douleur, je ne peux pas m’empêcher de le désirer.

​Parce que oui, ce que je ressens à cet instant précis, c’est du désir à l’état pur. Le genre de besoin qui vous ronge de l’intérieur, qui paralyse vos membres et contrôle vos émotions. Je souffre d’un mal bien plus rongeur que la peine, car celui-ci, je ne peux pas le combattre seule.

​La partie doit se jouer à deux, et tout mon être veut que ce soit Hugo le second joueur. La preuve en est, lorsque j’ouvre la bouche pour prononcer son prénom, une supplique incontrôlable fait trembler ma voix.

– Hugo…

​– Je le sens aussi ma puce. Je ressens le désir, l’envie, le besoin... Celui qui nous animait à l’époque, il est toujours là. Malgré tout, il est là. Oh, Lise, si seulement… Je suis tellement désolé.

Et voilà encore une fois, il gâche tout avec sa compassion à deux balles. Je n’en voulais pas il y a sept ans et je n’en veux toujours pas aujourd’hui. Je m’arrache violemment de ses bras et de ce cocon protecteur pour le toiser avec mépris. »

Je ne suis pas aveugle, ce mec est canon et à un sex-appeal de dingue mais merde, c'est Jérémy!!!
Mes lèvres n'auraient jamais dû rencontrer les siennes. Sa langue n'aurait pas dû s'enrouler autour de la mienne si délicieusement. Ses mains n'auraient pas dû me réchauffer et son souffle n'aurait certainement pas dû m'insuffler de la vie et pourtant malheureusement pour moi, c'est ce qu'il s'est passé quand il m'a embrassé quelques mois plus tôt. Depuis, je lutte de toutes mes forces pour ne plus jamais, jamais franchir cette limite. Ce mec est comme la pomme dans le jardin d'Eden, il est super beau et appétissant mais totalement pourri à l'intérieur. Alors, pour contrer les effets que sa bouche de clown a sur moi, je sors les crocs et mords en premier. Je ne sais pas si c'est une bonne attitude, où si c'est une manière d'évacuer la colère qu'il m'inspire mais c'est efficace, enfin pour l'instant.

Je croise les doigts pour que ça le reste et que ces six prochains mois ne tournent pas en une incarcération pour meurtre avec préméditation. Comment vais-je faire? Je vais devoir supporter son attitude désinvolte, son éternel clin d’œil, sa manière de sourire, de rire et je vais devoir supporter d'assister à son manège de séduction!
Super, enfin le calvaire quoi!!! Putain il fait chier quand même! Il ne pouvait pas rester à Clermont loin de moi! Pfff Ana a sûrement dû me refiler une partie de sa poisse et doit bien se marrer en pensant à nous deux coincés sur une île.

La vie ça fait mal, ça écorche, mais si vous résistez, si vous vous relevez, vous vous rendrez compte qu'au final, la vie est un immense privilège et un cadeau inestimable.

Ça a beau s’être passé il y a bien longtemps déjà, je n’ai pas oublié, je n’ai rien n’oublié, surtout pas son regard à lui.

Expliquer, mettre des mots sur ce que je ressens, n’est pas facile, mais bien que j’essaie de trouver la vie belle et joyeuse, quelque chose m’en empêche, quelque chose me bloque et je déteste ça. Je déteste ce truc parce que, au final, il m’empêche de profiter de cette vie dont pourtant j’ai tant rêvé.

Je n’ai jamais réellement compris ce que l’expression « faire l’amour » signifiait. Pour moi, ça se limitait à un mélange de corps, de fluides corporels, mais j’avais tort. C’est en réalité bien plus que cela. Faire l’amour, c’est être dévoué corps et âme à quelqu’un, c’est s’unir de la plus primaire des façons, c’est consentir en toute connaissance de cause à s’arracher une partie de son être et à la donner à l’autre. Et tout cela, en gémissant, en souffrant parce que cet échange d’âme est à la fois douloureux et fabuleux. Le plaisir est tel qu’il nous foudroie les entrailles, nous fait plonger dans un abîme de sensations toutes plus magnifiques les unes que les autres et, surtout, il nous gorge d’une énergie qui nous fait nous sentir indestructible.
Faire l’amour, c’est tout cela et bien plus encore.

Raconter cela à haute voix me fait me sentir misérable parce que cela prouve que j'ai été faible et je me hais pour ça. Ce n'est que lorsque j'ouvre les yeux que je réalise que je les avais fermés et le regard que le reste du groupe me renvoie me malmène. Laurie, Eric et Vinz sont visiblement désolés et, même si j'en connait les raisons, cela n'éteint pas la douleur. Quant à Elsa, elle me sourit, d'un rictus froid et mauvais. Je préfère détourner la tête pour me concentrer sur Lise. Elle a les yeux braquées sur Elsa et ses iris bleus sont sombres, remplis d’agressivité et de mépris. Je la sens prête à exploser, et sincèrement, si elle le fait je le la retiendrai pas. Mais chose surprenante, elle s'abstient. Toutefois, elle crache d'un ton hargneux :
- A mon tour!