Mark Helprin: 2013 National Book Festival
Toutes les villes ont leurs portes, qui n'ont pas besoin d'être de pierre. Il n'est pas nécessaire non plus qu'elles soient gardées par des soldats ou des sentinelles. D'abord, lorsque les villes étaient des joyaux au cœur d'un monde sombre et mystérieux, elles étaient le plus souvent voûtées et entourées de remparts. Pour entrer dans la ville, il fallait passer par elles. On était ensuite à l'abri des forêts, des mers envahissantes, de ces étendues impitoyables et sauvages de vert, de blanc et de bleu qui s'arrêtaient aux murs des villes.
Comme le temps passait, les remparts devinrent de plus en plus hauts, les portes de plus en plus massives. Puis elles disparurent et furent remplacées par des barrières imaginaires, bien plus compliquées que celles de pierre. Elles encerclent chaque ville, comme une couronne, pour protéger sa personnalité. Certains affirment que ces barrières n'existent pas et s'en moquent. Cependant, ils ne peuvent franchir les nouveaux murs sans effort. Leurs âmes (ils disent aussi qu'ils n'en ont pas) ne peuvent entrer et restent, orphelins abandonnés, à la périphérie.
Le fou est celui qui sent avec une extraordinaire intensité les tristesses et les joies d'un temps qui n'est pas encore venu ou qui est déjà passé.
Un geste de bienveillance ressemble à une cigale : il dort jusqu'à ce que la nature l'appelle. Personne n'a jamais dit qu'on devait découvrir les répercussions de chacun de nos actes, ni qu'on nous garantirait quoi que ce fût, ni qu'on ne serait pas obligé d'errer dans le noir, ni que tout serait démontré et vérifié comme dans une science exacte. Il n'y a rien de tel : tout au moins en ce qui concerne les choses qui en valent réellement la peine. Je ne t'ai pas élevée pour que tu marches uniquement sur un sol solide. Je ne t'ai pas appris à penser que tout devrait être sous notre pouvoir ou notre compréhension. L'ai-je fait ? Si c'est le cas, j'avais tort. Si tu ne tentes pas ta chance, alors les pouvoirs t'échappent et, parce que tu ne peux les expliquer, ils te tourneront en ridicule.
- Mr de Pinto, les chiens de berger apprennent rapidement comment conduire le troupeau et ils prennent l’habitude de le faire. Les gens ont été dressés par leurs guetteurs à danser de joie avec eux ou à piétiner ce que ces derniers désirent piétiner. J’ai découvert dans beaucoup de villes, et dans quelques endroits qui n’étaient pas encore des villes, que ceux qui montent la garde pour le peuple sont leurs maîtres. Le gouvernement reconnaît qu’il gouverne. Mais la presse, elle, ne veut pas l’admettre. Quelle effronterie ! Vous manipulez la population toute entière. Vous parvenez à mettre les gens dans tous leurs états, comme des enfants, les obligeant à courir ici et là. Ce n’est certainement pas une coïncidence si les publicitaires se servent de vos feuilles pour influencer le public. Que pensez-vous que déclenchent vos éditoriaux, vos choix, vos enthousiasmes, vos critiques et même vos citations ? Et qui vous a élu ? Personne. Vous vous nommez vous-même. Vous ne parlez pour personne ; vous n’avez donc aucun droit de me questionner car vous n’êtes pas les représentants du bien général. Quand je serai prêt, j’informerai le public de mes projets. Jusque-là, je continuerai de ma préparer, de manière à pouvoir supporter l’opposition populaire.
Un pouvoir absolu sombre toujours dans le ridicule. C'est vrai en politique. Les puissants risquent souvent de faire la culbute à cause de leur solennité. C'est la même chose dans le domaine religieux : l'homme qui voit des anges nous raconte le plus souvent des histoires de clowns. Il en est de même pour le journalisme. Les journaux qui sont les miroirs du monde transforment en imbéciles ceux qui tranchent brutalement dans leurs colonnes sur ce qui est et ce qui n'est pas. Evidemment, on doit toujours prendre le risque de dire ce qui est ou ce qui n'est pas. Mais ceux qui le font, en ignorant leur place dans la nature, risquent d'émettre des jugements aussi minutieusement formulés que ceux de Craig Binky : "A vrai dire, trancha-t-il, le vin blanc ne vient pas d'un certain poisson ni d'un autre mammifère. C'est le jus obtenu par pression de courgettes cueillies avant maturité".
New York ne serait jamais en paix avec elle-même, jamais elle ne connaîtrait une parfaite justice, en dépit de la grandeur de ses ambitions et de l'imbrication si réussie de ses splendeurs et de ses petitesses.
Le cheval ne pouvait se passer de Manhattan. Ce quartier l'attirait comme un aimant, comme le vide, comm l'avoine, comme une jument, comme une allée libre, bordée d'arbres, qui n'en finit jamais.
La ville entière était une immense loterie, bien plus compliquée que toutes celles qu'on a pu inventer.
Les Baymen avaient un dicton sibyllin : " La vérité est plus ronde que l'oeil d'un cheval".
Que diable, pensa-t-il, ce sont les risques qui vous font sentir vivant.