A la manière de Marlon Brando, je parcourus la pièce dans sa longueur, et la standardiste, de l'autre coté de la cloison, leva les yeux, haussa les sourcils.
- Ououi ?
Celle-là sortait de l'ordinaire : grande, bien faite, extraordinairement belle, même pour Hollywood. Elle avait les cheveux roux, les ongles verts, une peau qui ressemblait à de la cire teintée, mais son visage, dur et intelligent était sans émotion.
Elle approcha sa figure de la sienne, chercha avidement ses lèvres. Il resserra son étreinte. Un feu intérieur le brûlait. Alors il sut qu’il était fichu, que jamais il ne la quitterait. Il couvrit de baisers sa bouche, ses joues, le creux de sa gorge. Ses mains caressèrent les épaules de Grace, se refermèrent sur la douce tiédeur de ses seins. Elle chercha à tâtons les boutons de son veston. La chaleur moite de ses bras enveloppa Jake de toutes parts, pénétrant à travers la soie mince de sa chemise. Ils s’enlacèrent furieusement. Cette flamme, ni l’un ni l’autre ne pouvait l’éteindre.
Pour un journaliste, les perspectives étaient plutôt limitées en Europe. Il n’avait jamais eu la chance de faire un reportage sensationnel ; donc, il n’avait aucun titre spécial pour décrocher une situation. Et si Ralph se mettait à raconter à tout le monde que Jake était un mauvais journaliste, ses chances s’étaient réduites à zéro. Alors ? Il crèverait de faim. C’était sans issue. Jake n’avait même pas les moyens de payer leur traversée pour retourner aux États-Unis.
Le grondement de l’averse dominait tous les autres bruits. Ils avaient l’impression de se trouver à l’intérieur d’une coquille vide, dans un silence de mort. Puis l’ascenseur se mit à monter. Jake frappa à la porte de Grace, tenant toujours Fausta par le bras. Elle paraissait apathique, comme endormie. En entendant un bruit de pas à l’intérieur, Jake lui sourit d’un air encourageant. Grace ouvrit la porte.
Il savait que l’Américain avait peur. Ce n’était pas pour lui déplaire. Quand un homme a peur, il a tendance à faire des bêtises. Or, plus l’Américain se compromettrait et moins il y aurait de chances pour qu’on suspecte Giovanni. Malgré tout, il se sentait mal à l’aise. Le hasard avait une trop grosse part dans tout ça. Qui sait ? On ne songerait peut-être même pas à suspecter l’Américain.
Il n’aimait pas du tout cette existence, car il savait qu’il était destiné à autre chose. Ça lui faisait piquer des crises, surtout quand il avait bu. Alors il passait ses nerfs en se bagarrant. Il sortait toujours vainqueur de la bagarre. Fort comme un bœuf. Mais ça ne calmait pas sa hargne, non. Il avait fini par être tout le temps en rogne.
Chaque fois qu’ils croisaient une rue perpendiculaire, la voiture était déportée par le flot bouillonnant qui se déversait des montagnes. La pluie ne diminuait pas d’intensité et l’eau pénétrait par les fentes du toit et des portières, gouttant sur les genoux de Jake. La visibilité était quasiment nulle. Soudain, les réverbères s’éteignirent.
Ses pensées allaient vers Grace. Il l’avait trahie. Un lâche, voilà ce qu’il était, même vis-à-vis du mari, du cocu… Il revoyait l’expression de son visage, là-bas, à l’hôtel, le regard qu’elle leur avait jeté à tous les deux. Non, les choses ne pouvaient pas en rester là. Il allait rentrer à l’hôtel, parler à Ralph immédiatement.
Il s’était toujours flatté d’avoir l’esprit vif. Ce soir, il en avait besoin plus que jamais. Il se sentait menacé de toutes parts. Là-haut, sur la montagne, il avait pris un gros risque, le plus gros de sa vie. Le moindre faux pas et c’était la prison, pis peut-être. Donc, pas de faux pas. Tout dépendait de l’Américain.
Le maire sourit à une petite femme potelée, la comtesse Casalbore ; elle lui rendit son sourire. Sa bonne humeur ne fit qu’augmenter. Il adressa un clin d’œil significatif à son fils : ne fallait-il pas que Giovanni se fasse des relations parmi toutes ces personnalités ? On ne sait jamais ce que l’avenir vous réserve.