Martine Lusardy

Hier confidentiel, aujourd'hui consacré, institutionnalisé et médiatisé, l'art brut a une histoire et la réalité qu'il recouvre échappe à son inventeur et théoricien.

Pascal Verbena
( né en 1941 à Marseille)
Il vit dans le quartier populaire du vieux port, son père est pêcheur, sa mère marchande de poissons. À 5 ans, il est mis au pensionnat, à 16 ans s'embarque sur un cargo de la Marine marchande...

" Lorsque tu as onze ans et que tu te retrouves seul dans ta chambre et que tu pleures tout seul, et que tu te consoles seul...Là , ça devient dramatique. Toute ma vie j'ai été rejeté. Je me retrouvais seul dans ma petite mansarde avec une loupiotte ; une soupente où il y avait des poutres. Lorsque tu es enfermé dans une pièce, qu'est-ce que tu fais ?
Tu cherches le moindre recoin pour cacher quelque chose et souvent ton imagination est tellement puissante que tu finis par trouver un endroit. Vingt ans après , je suis revenu dans ce lieu, la première chose que j'ai pensé, ça a été la poutre, et ce qui est encore plus extraordinaire, c'est que j'ai retrouvé un truc dedans, et ça c'est important ! Quand tu te sens seul, automatiquement, ça engendre la poésie.
Si tu es sensible, il y a tout un jeu qui vient se créer et là, ça devient merveilleux. "


( p.184)

La Fabuloserie a quarante ans.

(...)
Alain Bourbonnais était aussi créateur, sans limite, à la fois peintre, dessinateur, graveur, metteur en scène, réalisateur de courts métrages. Ses " Turbulents", sortes d'automates mécanisés confectionnés avec des matériaux du quotidien forment une tribu truculente de personnages à la fois rabelaisiens et ubuesques, tout droit surgis d'une fête foraine ou d'un carnaval." Tout ce qui imite, obéit aux règles, se coule dans le moule me répugne ! Inventer, chercher, expérimenter, jouer, insulter : voilà qui me convient !" Un esprit libertaire anime donc son œuvre éprise de démesure qui a trouvé, dans le compagnonnage des créations rebelles aux normes, les mêmes forces de vie pour que l'art puisse encore être " cette étincelle qui cherche la poudrière " , selon les mots d'André Breton.

Martine Lusardy

D'un point de vue psychologique et psychalanitique, l'effet de compensation, voire de revanche 'inconsciente) est sans doute l'un des moteurs de ces production, mais pas le seul.
Chez des personnes peu gratifiées dans leur existence : financièrement, culturellement, socialement, pouvoir grâce à cette capacité se saisir d'un mode d'expression réservé en général à l'élite leur confère une identité hors du commun.
Des esprits (en général ceux des gens célèbres décédés) ont eu la magnanimité de les choisir comme intermédiaires entre le monde des morts et celui des vivants, et leur permettent d'avoir ces perceptions et ces réalisations extraordinaires.

Alain Bourbonnais-Paris, le 28 février 1974

J'aime

Pécher les carpes miroirs,les individualités, les hommes-orchestres,
L'invention puérile,
L'action, les crayons et les taille- crayons simples
Le braque, chien merveilleux
Beaucoup travailler, l'amour, Breughel le vieux, les gens vraiment malins, le rêve
L'Affection , l'Écornifleur de Jérôme Bosch, la famille unie, l'authenticité en tout
(...) Le petit père Ratier, Pascal Verbena, Jano Pesset et Ramuz
La campagne et l'eau, péter, la sérénité devant l'aventure de la vie
L'intérieur des maisons bien aménagées pour bien y vivre
Jarry, l'amitié- si elle existait vraiment
Faire beaucoup de choses à la fois, amasser des objets qui ont vécu
La langue de Céline, la musique Tango
(...) Les gens qui se posent des questions, le matériau bois
Me mettre dans la situation de choisir
Faire.

Fernand Michel
( 1913-1999)

Fernand Michel commence à travailler à 12 ans, dans une usine de poterie.Puis il devient relieur et s'établit à Montpellier. Amateur de poésie et s'essayant à diverses techniques, c'est parallèlement à ses recherches en reliure qu'il expérimente le travail sur les plaques de zinc.Ce qu'il traquait, c'était le métal griffé, battu, abîmé par le temps, les éléments naturels, la rouille...en somme le zinc qui a bien vécu, qui a une histoire. Il s'autoproclame donc " artiste- zingueur"


( p.128)

Tôt Bich Hai

( née en 1947 au Nord Vietnam )

Son œuvre connaît plusieurs périodes :

De 1979 à 1981 elle peint.
Ses peintures ont une facture académique, l'enfant est au centre de ses préoccupations ces cancres de village, enfants délaissés par des parents trop occupés, joueurs et rêveurs. À partir de 1981, les poupées anciennes deviennent sa passion. Poupées de " prestige " ou poupées " ordinaires ", elle les collectionne et les restaure pour
" célébrer le culte de la mémoire ".Puis, se met à en créer en 1986:" J'ai assemblé ces déchets pour raconter le culte de l'illusoire"
(...)En 1995, apparaissent les lieux, des piquets de vigne transcendés en personnages fascinants." Les lieux, outragés par le temps, m'ont inspirée pour exprimer, sans recherche d'esthétique, comme le faisaient ces peuples sans écriture, la résonance des forêts de mon enfance "

( p.178)

Alain Bourbonnais- Paris, le 28 février 1974

Je n'aime pas
La sécurité sociale, l'hypocrisie
Le gris-gris, perdre du temps à des niaiseries
Les familles désunies, les arrivistes, la jalousie
Les femmes en pantalon, la malhonnêteté
La concession, les faux-fuyants, les compromis
La triche
Les gens sûrs d'eux-mêmes.

Gala Barbisan
(1894-1982)
Russe blanche excentrique et figure emblématique du milieu littéraire de Saint- Germain-des- Prés, elle fonde en 1958 avec Jean-Pierre Giraudoux le Prix Médicis(...) En parallèle de son rôle dans le monde de la littérature, elle réalise des heures durant, des dessins à l'encre de Chine.

" Je ne travaille jamais, je m'amuse...je fais mes dessins au lit, j'en fais toujours plusieurs à la fois...les gens simples aiment ce que je fais, ils disent: c'est du travail!
J'ai commencé à dessiner après la mort de ma mère, ma chatte, mon chien...autrement je serais devenue
folle ! Vous savez, dans ma famille de " pop" russes, deux grands- pères ont terminé leur vie en asile.C'est une sorte de psychanalyse ; d'abord, je ne remplissais pas le papier, il restait du blanc, et ensuite j'ai commencé à tout remplir."

( p.66)

Philippe Dereux
(1918-2001)


Des peaux de melons...fruit dont le parfum est tenace et pénible une fois qu'il est consommé, surtout si l'on garde ses reliefs.
Malgré cette gêne je tiens beaucoup à ses peaux. Elles ont un rythme, lorsqu'elles s'assemblent, vraiment personnel. Elles aiment le mouvement, la danse, la grâce, la légèreté. Aucune épluchure, même celle de la poire, ne produit des spirales aussi libres et folles. L'épluchure s'est révélée particulièrement apte à représenter l'homme tel que je le vois : plus dérisoire et plus pitoyable que méchant, plus ridicule que beau et glorieux.

Extrait du " Petit Traité des épluchures ou expériences d'un colleur de peaux "

( p.93)