Interview de Martine Mairal à l'occasion de la sortie de son livre "Quand la lune sera bleue" publié chez Flammarion Noir sous le pseudo Martin Solanes.
Rares sont les vrais lecteurs labourant à moissonner toute l'étendue du champ de la pensée
« La folie d'imposer à toute force notre religion aux autres nous enrage et nous préférons en mourir que reconnaître à d'aucuns la liberté de prier Dieu autrement, (…). La guerre des religions nous dure et revient par vagues dévaster le limon de bonne volonté dont les hommes fatigués de se battre pour un signe de croix s'efforcent de masquer les flaques de sang quand il a coulé à flots. Baste ! Il en est toujours un pour inventer de nouveaux prétextes et de nouvelles armes afin de les recommencer. Les différents renaissent sans cesse de nos différences. Un vétille suffit à rallumer la poudre de discorde. »
A dix-sept ans, j'entrais en érudition comme on entre en religion; la religion d'un livre qui les contient tous : les Essais de Michel, Seigneur de Montaigne
« Et voilà que parmi tous les livres, il en était un qui parlait à mon esprit avec une limpidité et une force jamais éprouvées, qui ordonnait les lignes de ma raison avec une évidence bouleversante et disait sans vert le bonheur de réfléchir, d'être doué de conscience. Avant même que d'en approcher l'auteur, je me pris de passion pour ces Essais écrits dans une langue vigoureuse et précise. Une langue vivante et bondissante sur les sentiers de la pensée avec la souplesse d'un bel animal dont le moindre mouvement est dicté par un sens très sûr de la nature. Ce que d'aucuns croient sauvage et primitif et qui est, de fait, libre et inspiré. Une langue de Babel, capable de forger les mots qui lui font défaut, de modeler quelques syllabes puissantes l'allégorie d'une idée, de faire surgir la sonorité du monde au creux du verbe. Une langue qui a résolu les mystères de l'incarnation avec la simplicité d'Adam et la sagesse de Sénèque. Une langue qui pose la voix et dit crûment les désirs, les contradictions, les chamades du corps qui la gouverne, de la pensée qui la maîtrise. Le verbe fait homme. »
« Les livres servent-ils de rien ? Un découragement me prend quand je les vois impuissants à modifier la démence des temps et des hommes. »
Voyez ce signe, Marie. Trois traits y suffisent. Une barre verticale ferrée de deux traits brefs à chaque extrémité. Tant me plaît cette petite broche que les copistes alexandrins dénommaient obélos. J'ai fait mien ce signet de leurs hésitations sur l'authenticité de tel ou tel vers d'Homère. Il saura vous parler quand je me serai tu. Suivez-le à la trace. Il indique le point de bifurcation où enchâsser mon ajout dans mon texte
Rares sont les femmes que leur noblesse, leur richesse ou leurs alliances tiennent quittes d'obéir au sort commun qui les veut niaises à douze ans, belles à quinze, mère à dix-sept, résignées à vingt, vieilles à vingt-cinq et dévotes à trente si elles ont survécu
Sans la vigile fidélité de Pierre de Brach, sans la volonté de Françoise de Montaigne de faire respecter les vœux de son époux, j'eusse été écartée de l'histoire des Essais, notre amitié niée, sa langue épurée, censurée et ses papiers détournés
Le nom de Carape la mit au bord des larmes. L'humble, l'obscur, le savant, le grand, l'olympien berger de la finca de son enfance était sa vieille racine noueuse, son refuge secret, sa divinité tutélaire. Oui, elle était sa petite. La fille de son cœur. Cette filiation-là, jamais elle ne la renierait. Elle l'enracinait dans l'île plus sûrement que le nom des Mas.
Il me fut Michel, je lui fus Marie. Le reste ne regarde que nous.