"Sans son accord, rien de possible" m'avait confirmé la mère de Seung-geum. il allait falloir se présenter à lui. Il allait falloir me faire adopter. Pas par mes manières, pas par mon allure, ni même par mon langage, surtout pas par mon langage. "Ne pas souffler mot", "faire profil bas" étaient les formules clés. Seul son petit-fils parlerait...
C'est précisément ce que je lui reprochais : avoir suivi les coutumes au lieu de s'être posé la question de la vie des femmes, de leur rôle, de leur souffrance dans un système qui affichait impunément le principe du "namjonyeobi" , "respect pour l'homme et mépris pour la femme"...
Choeseon-eul hada, "faire le mieux possible" entraîne dans son sillage yangbo hada, "laisser la priorité, céder". Mais alors que les Coréens excellent dans le premier type de comportement, ils exècrent le second.
Quand ils doivent faire une course, les Coréens n'hésitent pas à se garer en double, voire en triple file. Les parcmètres, il n'y en a pas. Le stationnement en créneau, en épi ou en bataille, ce n'est pas pour eux. Il stationnent n'importe où et dans n'importe quelle position, se contentant de vérifier qu'il reste assez d'espace pour qu'une autre voiture puisse passer. C'est souvent au centimètre près.
Abstraction faite de tout contexte linguistique, prononcer le mot baram suffit à ouvrir un espace de bien-être. Baram transporte avec lui une sensation de plaisir qui peut surprendre ceux qui, comme nous Français, ont tendance à associer le vent à une sensation désagréable liée à l'hiver ou à des phénomènes météorologiques de tempêtes, mistral ou autres. Deux visions opposées résultant de spécificités climatiques et du vécu des peuples. En Corée, on crée des courants d'air car on aime mieux s'exposer au vent qu'au soleil ; en France, c'est le contraire, on prend des bains de soleil et on se bat contre les courants d'air.
Ce n'est pas le bruit, sori, qui étonne et dérange en Corée, c'est le silence. Il est source d'inconfort parce qu'il bouleverse les repères sensoriels des Coréens qui, à l'intérieur comme à l'extérieur de chez eux, sont plongés dans un bain sonore continuel - qui ne semble pas les gêner.
Être bruyant et parler fort, par exemple, n'est pas culturellement perçu comme un manque de considération pour autrui ou comme une incapacité à moduler sa voix, mais comme l'expression d'un enthousiasme vital qu'il n'y a pas de raison d'entraver. La voix en coréen se dit moksori (bruit/son de gorge) et on ne la bâillonne pas.
Si je dis à une Coréenne que je n'ai jamais poussé la porte d'une boutique Hermès ou Louis Vuitton à Paris, elle ne me croit pas. Si je luis dis que je préfère un voyage dans le désert de Mauritanie à une belle voiture de sport, elle ne me comprend pas.
Les apparence, oemo, tiennent une telle importance dans la vie des Coréennes - et maintenant des Coréens - qu'elles ne peuvent pas imaginer qu'on puisse ne pas porter d'intérêt aux grandes marques et produits de luxe. De la part d'une Française, c'est inattendu. Autant que de ne pas boire de vin.
La Corée ne se repose jamais. Quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, jamais les rues ne se vident totalement. Une raison à cela est que nombreux sont les Coréens qui parcourent les bars jusque tard dans la nuit et se couchent au moment où une autre partie de la populations se lève.
Mais ce mode de vie n'explique pas à lui seul l'effervescence nocturne. L'élan d'urbanisation en est aussi la cause : le pays est en continuelle démolition et reconstruction. Le dynamisme que connaît l'architecture, geonchuk, est visible et palpable partout.
Non seulement les Coréens parlent la bouche pleine, mais encore ils mangent la bouche pleine. Le pays de Gargantua, ce n'est pas la France, c'est la Corée du Sud : on y dévore la nourriture (eumsik), comme on y dévore la vie. Pas de gêne à montrer des gens qui se goinfrent. Pubs et clips regorgent d'images de bouches qui s'ouvrent en grand et enfournent des cuillères débordantes. Ça ne choque pas. Ici, il faut être une jeune fille de vingt à trente ans ou une dame de la haute société pour ne manger que du bout des lèvres.
La vie des haksaeng collégiens et lycéens, et même des élèves du primaire, est un enfer en Corée. C'est le jour et la nuit avec les années d'université où les daehaksaeng étudiant(e)s peuvent enfin profiter de leur jeunesse, aller au cinéma, sortir, boire, danser, voyager.
Avant la fac, rien de tout cela. Rien en dehors du travail scolaire. Pas le temps de lever la tête, ni de voir ce qui se passe autour de soi. On peut à bon droit parler de harcèlement scolaire, d'enfance mise sous les verrous.