Citations de Mary Barnes (43)
Les psychiatres, pour la plupart, sont incapables de communiquer avec les patients ayant atteint les stades les plus profonds de la régression parce qu’ils n’utilisent pas leur propre réservoir, pourtant immense, d’émotions primitives pour entrer en contact avec ces individus. Ils essaient de forcer l’autre à parler sur un mode « rationnel » alors qu’il (ou elle) a décidé depuis longtemps de s’exprimer dans un langage « irrationnel ». Et, par « irrationnel », je n’entends pas « inintelligible ». Je veux parler du langage du nourrisson, des mélodies des premiers sentiments qui sont très compréhensibles en eux-mêmes.
On me demande souvent : « Mary est-elle guérie, son traitement est-il terminé ? »
En fait, comme le souligne David Edgar dans sa pièce, on « traite » les cuirs et les peaux. Il serait donc plus raisonnable de formuler ainsi les interrogations : « Mary peut-elle se faire facilement des amis et lier connaissance ? », « Peut-elle vivre et travailler d’une manière créatrice ? », « Peut-elle trouver un sens et une satisfaction à sa vie ? ».
Je pense qu’elle le peut.
Le plus souvent, une personne cataloguée comme « malade mentale » est le bouc émissaire sur lequel se déchargent les troubles affectifs de sa famille ou de son entourage, alors qu’en réalité elle peut être le membre « le plus sain » du groupe.
La vie familiale ressemblait à de la glace, de la glace fragile. Chacun souhaitait voir fondre cette glace, avait besoin d’amour. Mais nous craignions tous d’être noyés, si jamais la glace se rompait. La violence et la colère se cachaient, menaçantes, derrière nos plaisanteries. Vus de l’extérieur, nous formions une bonne famille. Matériellement, nous ne manquions de rien : une nourriture de qualité, du lait à volonté, des fruits, des œufs, du linge bien tenu et une maison suffisamment grande. Cependant, au-delà des apparences, nous étions déchirés par la haine et le désir de nous entre-tuer.
Je crois que c’est l’angoisse d’être pris pour un « malade mental » qui explique pourquoi le personnel, dans la plupart des hôpitaux psychiatriques, se conforme rigoureusement à une tenue vestimentaire et un comportement ne s’écartant pas des normes et résiste aux tentatives de désinstitutionalisation de la relation malade-soignant. Il était très amusant de voir ce genre de personne visiter Kingsley Hall.
Dès qu’ils remarquaient que la plupart des habitants de la maison s’habillaient et parlaient de la même manière, on pouvait sentir leur angoisse atteindre des hauteurs records tandis qu’ils s’efforçaient de distinguer les patients des soignants. Neuf fois sur dix, leurs conclusions étaient complètement fausses. Je ne sais combien de fois on pensa que Mary était l’infirmière-major et on prit des « psychiatres » pour des « schizophrènes », s’adressant à eux comme s’ils l’étaient. Quel embarras reflétait le visage du visiteur quand on lui apprenait que le « pauvre fou » avec qui il avait bavardé n’était autre que le Dr Laing, le Dr Berke ou le Dr Redler.
[…] les expériences que traverse la personne étiquetée « schizophrène » et qui sont répertoriées sous le terme commun de « psychose » ne sont pas du tout inintelligibles, c'est-à-dire folles. Elles se manifestent simplement dans un autre ordre de réalité, voisin du rêve éveillé. La société invalide ces expériences en les qualifiant de « maladie » ou de « folie », ce qui est une manœuvre interpersonnelle fondamentale, pratiquée par les peuples de culture occidentale, pour lesquels les rêves et les états proches du rêve ne sont pas des véhicules valables de la réalité, quelle que soit la vérité qu’ils expriment.
[…] j’avais commencé à découvrir que ce qu’on nomme communément « maladie mentale » n’est pas une « maladie » (selon l’usage consacré de ce terme en médecine psychiatrique) mais un exemple de souffrance affective entraîné par un trouble dans tout un champ de relations sociales, à commencer par la famille. Autrement dit, la « maladie mentale » reflète ce qui se produit au sein d’un groupe humain perturbé ou perturbant, surtout lorsque cela est intériorisé, et ce, par un seul individu.
[…] je me suis mis à comprendre que la « schizophrénie » est une carrière et non pas une maladie. Cette carrière intéresse en général au moins deux professions : les patients et les psychiatres. Le plus souvent, elle se déclenche avec l’aide et l’encouragement de la famille proche.
L’homme moderne a découvert l’atome mais pas lui-même. Il reste aussi ignorant des relations intra- et interpsychiques que l’alchimiste au Moyen Âge qui essayait de fabriquer de l’or en mélangeant des chiures d’oiseaux à de la cire d’abeille.
Mon corps reflétait ma honte, ma tension et mon angoisse. Quand j’étais petite, je ne savais pas me mouvoir, danser, me servir de mes mains ; mon corps avait besoin d’être lubrifié par l’amour. Le désaccord entre mes parents semblait s’incarner en moi ; j’étais disharmonieuse, mal à l’aise. Dans un certain sens, j’étais réellement malade.
Joseph Berke remercie le Docteur Ronald Laing pour "... sa conception de la psychose... - peut-être un état du réel, de nature cyclique, par lequel le moi se renouvelle - et la conception selon laquelle une personne peut fonctionner à plusieurs niveaux de regression à la fois."
Mary, tu te détestes, par conséquent, tu crois que les autres te détestent. Ce qui est faux.
Parfois, lorsque j’allais trop mal pour travailler, je me sentais pleine d’une rage bouillonnante qui s’échappait de moi en explosant. Ignorant son origine et comment en venir à bout, je ressemblais à une feuille malmenée par sa propre tempête. Quelques fois, je désirais me détruire mais je ne savais pas comment ; je ne regrettais jamais ce que je faisais alors pour me soulager sur le moment. Une grande quantité de « CA » se précipitait sur Joe. Les flots tourbillonnants de « ça » se déchaînaient, me faisaient voler en éclat. Affolée, en proie à une violence désespérée, j’avais envie de tout mettre en pièces, de balancer les chaises, de briser les verres ou de me déchirer les chairs.
Je livrais avec moi-même un combat intérieur d’une telle violence pour me supporter et résister à ma propre révolte que je ne savais plus guère comment coexister avec moi-même.
J’étais écartelée entre un état de mort et une existence de folie. Il fallait absolument que je me maintienne dans celui-là et j’étais près de tomber dans celle-ci. Ma force vitale avait besoin de se déverser dans son état authentique, la folie.
Le tourbillon vivant, houleux que j’étais, était refoulé, profondément enfoui dans un sol mort. Par bonheur, je cédai, je devins folle.
La famille formait un réseau affectif si étouffant que, lorsque l’un de ses membres tentait de se libérer, elle préférait le tuer, l’annihiler, plutôt que de renoncer à son emprise sur lui. Nous redoutions tellement la vérité ! La folie était un pas en avant vers la vérité. C’était la seule façon de l’atteindre.
Nous n’étions tous qu’une vague furieuse, bouillonnante de colère, masquée par un voile de faux-semblant, une toile d’araignée dont nous étions prisonniers.
Une grande partie de mon être était tordue, enfouie, enroulée sur elle-même, comme un écheveau de laine emmêlé dont on a perdu le bout.
Quand je me sentais méchante, le temps me paraissait infini. Je ne pouvais imaginer que, dans deux, quatre ou six heures, cette impression se dissiperait. Ça [Sa colère] était parfois si affreux qu’il me semblait alors n’y avoir ni passé, ni futur. La seule chose à faire était de vivre dans l’instant. Lorsque je me sentais vraiment très méchante, je ne parlais pas ; la prudence commandait de rester tranquille, d’entrer dans une sorte de demi-sommeil, dans un état de stupeur. Lorsque cela se produisait la nuit, Joe me couchait légèrement vêtue. Le froid me soulageait. Joe ne me disait rien.