Le fait est qu'un drame végétal a tendance à être un peu lent. Tous les rôles sont joués par de vraies plantes, et les plantes, comme vous le savez, aiment à prendre leur temps. On peut toujours compter sur elles pour livrer une interprétation sincère, mais il n'en reste pas moins que vous passez une bonne partie de la représentation assis sur votre siège à les regarder pousser. C'est un peu torturant par moments, surtout durant les scènes d'amour. Vous auriez du mal à croire le temps qu'il faut à certains végétaux timides pour se faire des avances. Tenez, même les plus rapides en besogne (toutes proportions gardées) comme le gui, le liseron ou le bambou, dans une comédie légère du genre de celles de Noël Coward, peuvent mettre jusqu'à trois mois pour se déclarer. Quand aux arbres de bois dur, tout ce que je peux vous dire c'est que le rideau s'est levé il y a cinq mille ans sur la célèbre Nouvelle Production forestière du Roi Lear dont la distribution est entièrement composée de chênes. Le public y est encore.
Voici le récit du plus grand combat de la carrière d'Engelbrecht, le boxeur surréaliste, Champion devant l'éternel. Bien qu'il ne soit pas dans la partie depuis très longtemps, Engelbrecht a connu une ascension fulgurante. Il a battu à plates coutures, et pour ainsi dire laissé sur le carreau, l'horloge de l'Hôtel de Ville de Wolverhampton, une sale teigne sur laquelle les sportifs surréalistes des Midlands avaient parié gros. Lors de sa tournée de la côte Sud, il a mis à l'arrêt toutes les balances, envoyé au tapis des dizaines de têtes de Turc et de punching-balls, et après son passage, de Southend à Bournemouth, les jetées n'étaient plus qu'un fatras de ressorts, de roues dentées, de plaques de cuivre cabossées et de restes tordus de mutoscopes.
Malheureusement, nos ennuis étaient loin d'être terminés. Le psychiatre, seul capable de soigner le slice d'Engelbrecht, fut victime d'une grave dépression nerveuse. Ma faiblesse physique m'empêcha de jouer correctement la succession de positions malaisées qui suivit : le cabas de Mrs. Summerskill, le pagne de Gandhi, le bureau de Molotov au Kremlin, les salons de thé de la ville de Lincoln, un Salon de décrottage dans le vieux Marseille. A chaque fois je ratais complètement mes coups et j'en appelais à Engelbrecht : "C'est toi qui nous a fourrés là-dedans, camarade, c'est donc à toi de nous en sortir." Et le petit Engelbrecht souriait gaiement et laissait parler son swing. Rien ne pouvait décourager ce nain conquérant.
Onze mois et dix jours s'étaient écoulés depuis que nous avions quitté le tee de départ, et je venais de jouer notre 2 674 321 769e coup, un petit pitch délicat par la fenêtre du train de 15h30 en provenance de la gare de Waterloo, lorsque le Premier Caddy poussa un grand cri et entama un pas de danse traditionnelle irlandaise. Nous avions atteint le green.
Karl Marx prononce un ultime discours d'encouragement à l'adresse des avants : "Un spectre hante le rugby ! aboie-t-il. L'heure est venue de transformer les pieds de l'Histoire en Histoire des pieds ! Avants du monde, serrez les rangs ! Vous n'avez rien à perdre mis à part vos tibias !"
Je ne sais pas si vous êtes familiarisés avec le golf surréaliste, c'est légèrement différent de l'autre version de ce sport. Pour commencer un parcours de golf surréaliste n'est composé que d'un seul trou. Mais n'allez pas vous figurez que ça rend la chose plus aisée. C'est un trou diablement long, tellement long que ça peut vous prendre tout votre temps pour le terminer. Le par est situé à 818 181 mais tout score sous le million est considéré comme sensationnel. Les obstacles sont terribles, si terribles que vous verrez toujours au bar du club-house des mines pour le moins dévastées et des mains tremblantes retourner un verre vide en mémoire des membres disparus. Les pros disent que le célèbre score de 66 réalisé par Bobby Jones sur ce bon vieux terrains de Sunningdale équivaudrait à plus de 666 666 à Mooninghill, encore que Jones serait incapable de venir à bout de notre parcours en raison de sa tendance bien connue à la dyspepsie fonctionnelle.
De tous les événements du calendrier du sport surréaliste, rares sont ceux qui drainent un public de supporters aussi passionnés que le Championnat annuel de Pêche à la ligne qui se déroule dans le coude du canal derrière l'usine à gaz, juste à l'endroit où débouchent les égouts de la ville.
Contrairement au commun des disciples d'Izaac Walton, le piscator surréaliste est toujours assuré de prendre quelque chose -en général quelque chose de vraiment dangereux, si vous voulez mon avis. Sur la berge, j'ai été témoin de maintes luttes à l'issue fatale alors que des pêcheurs terrifiés essayaient de remettre à l'eau des choses qu'il aurait mieux valu ne jamais hameçonner.