Extrait de "Médée" de Max Rouquette
Citerne du hibou
Nuit, citerne
où le hibou jette son cri
depuis mille ans
sans jamais en avoir d'écho.
La nuit creusait son infini
peuplé de pèlerins en marche.
Les pauvres feux au vent du monde
se pliaient et se déployaient
en un doux tremblement.
Et les yeux de l'enfant étaient les seuls
à s'enivrer de cet espace.
p.50
La tique
Tique, tique, encore tique,
nous sommes parents, et cousins ;
si l'une goûte à bon sang,
elle informe ses voisins.
« Nous, de la race d'élite,
qui, cramponnés sur la patrie,
voyons passer les barbaries
avec les civilisations. »
p.34
Oiseaux
Oiseaux de l'été
qui volez vers l'eau,
la source tarie,
le vol éternel ;
traversant le ciel
oiseaux de novembre,
chemin de Saint-Jacques
au bleu du souvenir ;
oiseaux de bois noir
cercles de silence,
au ciel de mémoire
toujours revenez ;
et de rose marbre
ô mystique paon,
becquetant l'or du soir
aux raisins romans.
p.58
Le grillon
Grillon perdu dans la méridienne,
grillon de la soirée de mai,
roi du royaume de la nuit,
roi de ma solitude et roi
de la solitude du monde,
ta chanson me rend la paix,
ta chanson qui meut les étoiles,
qui meut le monde avec le vent,
quand feu du ciel comme chandelle
vacille au gré de ton haleine.
Sage qui, selon les vieux sages,
prends tant de joie à ta chanson,
qu'en oubliant boire et manger,
délice, tu meurs en chantant.
p.54
la guêpe
Elle lissait ses antennes
ses antennes faites d'or,
auprès de l'eau-miroir
sur le souple lit de l'herbe…
Dans un matin qui agitait
ombre et lumière, de son souffle.
C'était pause en son élan.
Un éclair pour voir sa vie
et savoir ce qu'est la joie.
Un éclair dans la passion
qui, sans cesse, la jetait,
pierre lancée à la clarté.
Elle était flèche dans l'air.
Aussi rapide que parole.
aussi rapide que sa vie.
Qu'elle vivait sans y songer.
Elle était vie. Elle était la vie.
Sans en chercher la raison.
Elle l'était. Et cela suffisait, dans la lumière.
Elle portait une vie obscure,
venue de loin. Et qui devait
se prolonger au long des siècles.
Sans fin. De fin, rien que pour elle.
Elle lissait ses antennes
ses antennes faites d'or,
auprès de l'eau-miroir
sur le souple lit de l'herbe.
p.28
Chanson de l'araignée
L'araignée du soir,
crépuscule et crépuscule,
dans le soir tend son filet,
pour prendre le clair de lune.
Fait de toile
son étoile
et croit bien qu'en pâliront
au ciel les constellations.
Et l'araignée du matin
son jour n'est plus que chagrin,
quand au lieu de clair de lune,
voit changé son beau filet
en un fin mouchoir brodé,
où l'aurore, une par une,
recueillit, passant le mont,
les larmes de la nuit.
Et l'araignée dans le soir,
crépuscule et crépuscule,
à nouveau tend son filet
pour prendre le clair de lune.
p.20
Longue bête
Longue bête aux pas de silence,
elle rôde dans les ténèbres de tout homme.
Cent millions d'années n'ont pas atteint
sa peau tigrée sous laquelle se meuvent
les cordons noueux de sa force.
Fantômes des sentiers en sa forêt de pierre,
près des maisons, recherchant les cavernes,
sans trêve, elle allonge son pas,
et, svelte, dans la fureur de son rut,
en un long bâillement, montre les dents.
p.22
La mante religieuse
Dévote, jolie dévote,
qu'espères-tu de l'été ?
De thym
il te rassasie,
de lavande
il t'enrichit.
De laiteron,
puis, t'enivre,
et te couvre
de légumes.
Dévote, jolie dévote,
qu'espères-tu de l'été ?
Mais, vêtue de sombre espoir,
maigre habitant du désert,
tu es comme Jean-Baptiste,
aigre moine, vert pèlerin,
fascinateur du Bon Dieu,
de garrigue, évangéliste,
et, la tête dans le ciel,
tu te nourris de sauterelles !
Dévote, belle dévote,
tu lasseras le Bon Dieu !
p.44
La pie
Ici elle régnait sur la branche la plus haute d'un pommier
en fleurs.
Là-bas, elle guettait, prudente et méfiante, tout passage de
quiconque autour de l'ormeau où elle avait construit son
nid.
Partout elle était femme, habillée en homme, vêtue de noir
et du gilet blanc du viveur ou de l'illusionniste.
Elle pouvait se passer du haut-de-forme, tant sa présence
faisait oublier tout le reste. Et quand je dis : pouvait, je
devrais dire, plutôt, peut, car elle ne s'arrêtera pas demain
matin.
Elle a la vie dure, reconnue aux chats parce qu'ils vivent
dans l'ombre des hommes, tandis que d'elle, la provinciale,
nul ne parle. Elle n'en pense pas moins. Et demeure. Impé-
riale.
À la cime de la plus haute branche d'un pommier en
fleurs.
p.26
Les libellules
Sur le bassin mélancolique,
les libellules de septembre
ne se lassent jamais de se bercer
au-dessus de l'eau plane,
et d'écrire au ciel du miroir
le huit couché de l'infini.
p.38