Melissa Grey

_ Qui êtes-vous ? Qu'êtes-vous ? Pourquoi ?
_ Je suis l'Ala.
_ L'Ala ? Bizarre, comme nom.
_ Un mortel n'arriverait jamais à prononcer le mien.
_ Comment dois-je vous appeler alors ?
_ Tu peur dire l'Ala. Ou plus simplement, Ala.
_ Ca revient un peu à appeler un chat un chat, non ?
_ Possible. Sauf qu'il existe plein de chats dans le monde et une seule Ala.
La réponse parut satisfaire la jeune curieuse.
_ Qu'est-ce qui vous amène ici ? Je n'avais encore jamais vu personne se balader dans la bibliothèque en pleine nuit.
_ Les livres m'aident à oublier. J'ai l'impression d'avoir un million d'amis enveloppés dans du papier et gribouillés à l'encre.

P.270

Aide-moi, Caius. Aide-moi à oublier.

Il entrouvrit ses lèvres. Aucun son ne sortit. Même si, au fond d'elle, elle souhaitait qu'il la repousse, elle avait encore plus envie qu'il soit d'accord. Elle avait besoin d'être rassurée par le contact d'un corps contre le sien sans être encombrée par le poids des mots. Elle n'aurait sans doute pas supporté ce qu'il aurait dit. En parlant, il aurait arrosé les méchantes graines de trahison qui avaient profité d'un moment d’inattention de la jeune fille pour s'enraciner dans son cœur.

Echo, je...

Quand elle se hissa sur la pointe des pieds et pressa sa bouche contre la sienne, elle sentit quelque chose se mettre en place en elle. De peur de tomber, elle empoigna le col de sa veste. Caius lui enserra les poignets pour l'aider à garder l'équilibre. Il avait les lèvres tièdes, un peu gercées. Ce fut un baiser plein de tendresse, à la fois retenu et profond. Son pouls battant dans ses oreilles, Echo se plaqua contre lui et s’imprégna de sa chaleur. Lorsqu'il fit glisser sa langue sur sa lèvre inférieure, elle crut qu'elle allait exploser.

Il s'écarta le premier. Sa bouche frôla les pommettes d'Echo, l'arrête de son nez, le haut de son front, et ses doigts lui effleurèrent l'intérieur des poignets, comme si sa peau était aussi fragile qu'une aile de papillon. A son contact, Echo eut l'impression de tomber en cendre à ses pieds.

[…]

Elle glissa les doigts sous la chemine du Drakharin pour les réchauffer. Il l'enlaça, se cambra, puis émit un râle étranglé. Haletant, il frissonna dans les bras d'Echo et ferma les yeux. Dès qu'il appuya son front contre le sien, il eut la réaction d'un être qu'on aurait pas touché depuis des années. Et c'était peut-être le cas. Elle posa la main au creux de ses reins, juste au-dessus du jean, et eut la peau en feu.

Echo, chuchota-t-il dans ses cheveux.

Elle s'approcha encore pour l'embrasser. C'était ce qu'il lui fallait. Une distraction. Un moyen d'éprouver autre chose que des regrets. Très vite, Caius desserra son étreinte. Il l'obligea à s'écarter. La distance était infime, mais Echo maudit aussitôt le froid qui s'installa entre eux. Sa chaleur avait été si douce. Quand il baissa la tête, sa frange chatouilla les joues de la jeune fille.

Pas comme ça, murmura-t-il. Pas comme ça.

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RISQUE DE SPOILER !

P.290

J'ajouterai que je suis ravie de vous revoir... prince.

Echo se figea.
« Prince? »
Caius n'était qu'un mercenaire recruté par le Prince Dragon, pas le prince lui-même. Juste Caius. Néanmoins, le nom du Prince Dragon n'avait jamais été divulgué. Inutilisé depuis plus d'un siècle, il était tombé dans l'oubli.

C'est drôle, non ? Insista l'Oracle. On ne voit jamais ce que l'on a sous le nez.

Elle renifla des cheveux de l'adolescente, qui vacilla.

Ce qu'on avait sous les yeux depuis le début.
Prince ? Bredouilla Echo.

Caius s'approcha penaud. Elle recula d'un pas. S'il voulait s'expliquer, elle ne lui faciliterai pas la tâche.

Pourquoi t'appelle-t-elle « prince » ?
Avec un petit rire sifflant, la prophétesse alla s'assoir sur le tabouret du clavecin.

Dis la vérité, Caius. Que tu n'as aucune intention de lui laisser l'Oiseau de feu. Que tu veux le garder pour toi. Que le Prince Dragon ne t'a pas engagé pour le dérober. Que c'est toi le Prince Dragon.

Hallucinant. Ils étaient allés si loin ensemble. Echo avait tué pour lui et il n'était même pas la personne qu'il prétendait être. Elle lui avait fait confiance. Et elle si pudique, elle s'était confiée comme jamais. Elle avait tourné le dos à Rowan, mis la vie de ses amis en péril et tout ce qu'il avait fait, c'était lui mentir.

Sa trahison fut un coup de poignard en plein cœur.

Dis-moi que c'est faux, Caius. Dis-moi qu'elle me mène en bateau, car je doute de pouvoir supporter l'autre scénario.
Tremblant, il n'articula qu'un simple :
Je suis désolé.

Trois mots, et l'univers d'Echo vola en éclats.

Je te faisais confiance !

A peine prononcée, sa phrase tourna douloureusement en boucle dans sa tête. « Je te faisais confiance. Je te faisais confiance. »

Echo, je...
J'ai tué pour toi !

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Ils empruntèrent un tunnel désaffecté du métro pour regagner le Nid. L'accès principal se trouvait sous la grande horloge du hall central bondé. Ainsi que l'Ala l'avait expliqué à une Echo de sept ans ébahie, la magie y était très puissante. A cause des allées et venues des millions de voyageurs et des milliers de rames, le voile entre le monde humain et l'entre-deux s'amenuisait, ce qui permettait au surnaturel de s'y déverser en permanence.

Le regarde de Caius s'emplit d'un mélange d'espoir de tristesse et de quelque chose de très nouveau, destiné à elle seule. Écho sentit des mains invisibles s'enrouler autour de son cœur et le tordre, comme si elles s'employaient à en exprimer le sang. On aurait dit un homme qui souhaitait espérer sans vraiment savoir comment s'y prendre.

-On vit trop longtemps. On engrange trop de souvenirs. On ne sait pas ce que c'est. [...]
-Ce que c'est quoi?
-L'oubli. La crainte de mourir sans que personne se rappelle notre passage ici-bas. Le fait qu'un jour tous les gens qu'on connaît et tous ceux qui les connaissaient auront disparu, que personne ne sera plus là pour se souvenir de notre nom. Voilà pourquoi c'est important. Grâce à l'art, l'humanité perdure dans les mémoires. L'art est son arme contre l'oubli.

- c'est un voleur ? Comme toi ?
Agacée par son ton vaguement critique, elle se renfrogna. Caius esquissa alors un sourire un peu las mais sincère. Pas un rictus narquois ou méchant. Son sourire lui donna l'air plus jeune et, pourtant, il disparut aussitôt. Cela avait été un sourire courant d'air. Un non-sourire éphémère.
Eh Bien ! Elle devait être épuisée pour divaguer ainsi sur Caius.

- Franchement, Écho, c'est toujours le sale môme qui fauchait ses cupcakes à l'Ala, ronchonna Ivy. Je ne vois pas ce que tu lui trouves.
«Callipyge, pensa la jeune mortelle. qui a de belles fesses». Elle se délecta quelques instants du spectacle avant de répondre :
- franchement, Ivy, je ne vois pas ce que tu ne lui trouves PAS

- Quel est ton prénom ?
- Je ne l'aime pas, marmonna l'enfant, la tête baissée. Je déteste les gens qui me l'ont donné.

L'Ala sentit son cœur prêt à se briser.

- Tu devrais t'en choisir un qui te plaît.
- J'ai le droit ?
- Tu peux faire ce qu tu veux, mais réfléchis bien. Un nom ne se prend pas à la légère. Il y a du pouvoir dans les noms.

[...]

- Je ne te croyais pas comme cela, Echo.

Le sang de l'adolescente se figea. Les noms avaient du pouvoir. Voilà pourquoi les Avicens s'en choisissaient un eux-mêmes. Et, si les noms avaient du pouvoir, son adversaire venait de lui en voler une parcelle.

Écho croisa le regard insistant de Ruby. Ses affreuses prunelles bleu pâle lui donnaient un air de vautour. Elle les détestait. Elle détestait ses stupides yeux, ses stupides plumes noires et sa stupide peau laiteuse. Elle détestait tout chez elle.
- Backppfeifengesicht, lâcha-t-elle.
Un de ses mots allemands préférés, «tête à claques». Du sur-mesure pour Ruby.
Pendant une demi-seconde, l'intéressée parut troublée. La demi-seconde la plus exquise de la vie d’Écho.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? grogna-t-elle à contre-cœur.
- Regarde dans le dictionnaire.