Préfaces - Mélodie Nelson
Être payée pour ouvrir mes jambes, être payée pour me maquiller, être payée pour porter des bottes à talons hauts de cinq pouces, être payée pour dire des trucs comme do you want me to lick your balls, je trouve ça génial.
Nous ne pouvons pas nous droguer sinon nous sommes renvoyées, nous devons laisser la télévision toujours allumée pour que les voisins n’entendent pas les cris de jouissance de nos clients, nous ne devons pas porter de jeans, nous devons arriver à l’heure, chaque quinze minutes de retard sera pénalisé, nous devons passer le balai dans l’entrée, pour ramasser les cailloux laissés par les bottes de nos clients, nous devons remettre la moitié de ce que nous donnent nos clients dans une enveloppe blanche, et ranger l’enveloppe blanche dans un petit coffre de sûreté, sur le comptoir de la cuisine, caché sous un carré de tissu et un vase avec une fausse rose plantée dedans.
Dès qu’il s’attache à une fille, je suis incapable de me contrôler, je la rabaisse, sans même me sentir honteuse. Je me trouve tellement mieux que toutes les filles qu’il connaît, juste parce que je suis payée pour être désirée, mais je reste jalouse, sans raison, parce que je ne peux pas croire qu’il y a d’autres filles intéressantes, à part moi, ou parce que je sais bien qu’il y en a une plus gentille que moi, une plus simple, une qui ne ment pas quand elle dit qu’elle aime la musique de Mogwai, et toujours une dizaine d’autres avec des seins assez gros et ronds pour une branlade espagnole.
Être escorte me permettrait de vivre de mon désir, et de ne plus jamais me sentir repoussée. Je pensais qu’être mariée à un mec gentil et amoureux me suffirait, mais cette vie m’ennuie, terriblement.
Je devrais peut-être vraiment aller dans un pensionnat ou devenir professeure d’artisanat bénévole en Inde, pendant deux semaines. Ça me transformerait et après je pourrait raconter dans un livre à quel point je suis une personne extraordinaire et gagner des millions, comme ça, en oubliant que j’ai craché sur des Louboutin et que j’aime prendre des lignes de coke sur les meubles de ma chambre. Je pourrais aussi regarder sur Pinterest comment fabriquer des pinatas et aller en Islande en exposer dans des musées et tomber en amour avec mille islandais qui me promettraient de me faire des bébés avant même que j’apprenne leur langue.
Il n’y a personne pour prendre le thé avec moi, pas pour me parler, juste pour être devant moi, prendre ma main, caresser mes jambes, remarquer ma poitrine quand elle se soulève d’ennui ou d’envie ou de crainte. Je crains qu’il n’y ait jamais personne pour ça, parce que je suis une merde qui a perdu sa couronne et qui a fêté ses dix-huit ans en pyjama, à manger du poulet frit dans sa chambre toute seule.
...si la prostitution est tolérée au Québec, hypocritement l’acte de gagner de l’argent afin de satisfaire les besoins sexuels des clients ne l’est pas. Être escorte m’a permis de devenir quelqu’un de plus calme, de plus ouvert, de plus à l’aise avec ma féminité et mes désirs, et de rencontrer des hommes très intéressants, que je réussissais à rendre heureux, pendant trente ou soixante minutes.
je ne sais pas ce qui est le plus difficile, être ma maman ou habiter à plus de trente mètres d’un Strabucks.