Flairant, la catastrophe - un suicide collectif au fromage de chèvre -, Claudette court à la cave et revient avec un bouteille poussiéreuse sans étiquette. Elle la débouche et la place devant nous.C'est quoi , cette idée? La bouteille passe de bouffeur en bouffeur. On est à l'article de la mort les yeux exorbités, le teint pourpre.Foutu pour foutu, je prends une rasade.L'effet est immédiat. C'est moins une solution qu'une dissolution. Sous l'effet du liquide magique le fromage fond , les dents fondent les gencives avec , il emporte les amygdales dans sa descente du gosier et, sensation extrêmement agréable, passe à travers les aliments compactés comme un trépan. L'embouteillage disparaît. On respire de nouveau.On prend une autre rasade .Et une autre.C'est de la soude caustique? Mais non!
C'est une bonne eau-de-vie de derrière les fagots!
Vive la gnôle libératrice!
--Excusez - nous, monsieur......
Mes poireaux sont très courtois. Normal , ils sont anglais.
__........on est mous!
Je jette un regard sur la banquette arrière. Voyager avec une bande de poireaux pubères est un entreprise délicate. Hier, pendant la traversée Douvres-Calais, je les avais promenés sur le pont enveloppés dans des kleenex imbibés d'eau d'Évian. À l'hôtel, près d'Alençon, ils avaient passé la nuit dehors, sur le rebord de la fenêtre, dans le verre à dents qui me sert à boire un petit calva en douce.Avant de baisser le store en plastique blanc, j'avais pris soin d'y ajouter mes chaussures en guise d'épouvantail pour dissuader tout escargot alpiniste - on était au quatrième .Ce matin , mes plants tournaient visiblement de l'oeil. Jamais en manque d'une expression argotique même si je change de légume, je décide de titiller le champignon.
J’adore ce pays. J’adore les gens, la langue, la rue, les odeurs, les bus, les affiches, le pain, le saucisson, le vin, les zincs, les livres, les idées, les voix, les femmes, les plaisirs.
Une nuit, lorsque les potirons étaient encore tout bébés, Arsène s' était introduit dans le jardin avec un burin à légumes. Sur chaque flanc, il avait gravé une lettre en secret.Depuis, les potirons ont grossi et les lettres , hautes de cinq centimètres au mois de mars, en font aujourd'hui soixante-dix. Une tous les
sept potirons.Chaque promeneur peut lire , inscrit dans la chair tendre des potirons de Gilbert Chougras:
C-O-N-N-A-R-D !
Charmant.
Toison, Corleone, même combat.
Je me lève de table avec difficulté.Je regarde ma montre idem.18h20.J'en peux plus.J'ai tout mangé. J'ai tout bu.Je me suis fait de nouveaux copains.J'ai passé un après-midi inoubliable. Il est temps de me coucher. En m ' agrippant au bord de la table, j'avance vers Claudette Coindre pour la remercier et lui faire mes adieux.
Claudette se lève à son tour.Je l'embrasse au moins douze fois en la remerciant du fond du coeur.Mais elle me regarde d'un air dubitatif. Qu'est-ce qu'il y a? Moi qui avais l'impression d'avoir tout bien fait!
-- Mais non, monsieur Sadler....
--Non, Claudette?
Elle me tend le menu.
--Retournez - le.
Je retourne le menu.Et ma tête tourne aussi.Je perds pied.Non.Ce n'est pas possible, c'est inimaginable. C'est une farce.Je sors mes lunettes.Je relis.Je ne rêve pas.Au verso du menu est imprimé le texte suivant:
《 Célébration de la première communion de Cathy Coindre: dîner》
《 Dîner:apéritif, soupe à l'oignon, pâté en croûte, rosbif sauce madère, haricots verts , fromages, dessert.
Ils vont recommencer! Le marathon n'est pas fini! On n'est qu'à mi-course.
La corsetière Josselyne, docteur ès femmes fortes, se trouve opportunément située à côté d’un charcutier diplômé ès rillettes. C’est pratique. On se gave de cochonnaille, on s’essuie les mains et on passe à côté pour en camoufler les ravages. (…) La présence des deux autres charcutiers accentue cette atmosphère de porc de plaisance qui flotte sur la ville.
--Et l'anglais?
--Il tient le coup, pardi.Il est toujours en course!
Tout va bien , jusqu'au fromage.Maisavec le Sainte-Maure, tout s' arrête. Les fromages de Florence Mabillon sont , comme leur maîtresse , flatteurs, fondants, doux, onctueux, souples , faits à coeur. Le Sainte - maure du soir est loin d'être mabillonien. Il a dû s' affiner, oublié au fond d'un frigo du Super U pendant un mois ou deux.Résultat? Il est âpre, blafard et , comble d'horreur à ce moment précis de l'épreuve , il est plâtreux. Le coeur, mot inconvenant pour décrire la sécheresse et l ' insensibilité de ce cauchemar de fromage, est aussi crayeux qu'un causse et s' émiette désagréablement dans la bouche.Pour tout dire ce fromage est 100% étouffe-chrétien. Le coup est mortel.Les douze convives sont figés en pleine mastication . arrêt sur image.Nous voilà tous bloqués avec un morceau de fromage dans la bouche.
J’ai acquis six melons (une affaire), un kilo de navets, trois kilos de charlottes, un kilo de jeunes courgettes jaunes, deux andouillettes, du jambon d’York, un gros saucisson, trois bottes de radis, six laitues, cinq choux de printemps et deux kilos de bettes.
Ah, la bouffe anglaise ! Ils imaginent ma triste vie d’avant, mes repas de viande trop cuite, arrosée de confiture dans un brouillard de purée de pois dont le seul avantage est de cacher le contenu de l’assiette. Pauvre rosbif !
TM : Quels sont les traits de caractère des tourangeaux ?
MS : Par moments ils sont un peu « Bourgueil » quand ils ne sont pas carrément « Chinon ». Mais comme le Vouvray, je les trouve 100% souples, fins et gouleyants. »