Quand je dis le balcon, c'est une façon de parler. N'allez pas imaginer ces volutes de fer forgé comme il y en a à Syracuse, au palais Beneventano ou au Municipio. Non, une pierre, une simple dalle, et toi sur la dalle, trônant comme une reine au-dessus des passants. Voilà le balcon. De là, tu vois, tu entends, tu observes, de là, parfois, d'une main négligeante, tu remontes au bout de sa ficelle le panier dans lequel Antonio ou le cousin Giuseppe déposent les citrons ou le poisson pêché à ton intention, et que tu feras frire pour le diner. Et toute la rue saura l'offrande et tu en auras non seulement le bénéfice, mais l'honneur. De là tu participes à la vie publique comme à la vie privée de tes parents et voisins, mais sans s'y mêler, toujours avec distance, qui te protège du contact comme du mépris ou de l'habitude, liés à la connaissance. Tes frusques elles-mêmes semblent belles, noblement étalées autour de toi, trainant sur la dalle, tandis que tu t'éventes, protégée des derniers rayons du soleil ou des moustiques de l'ombre par un chiffon tendu en auvent au dessus de toi. Voilà ce que représente le balcon pour une Sicilienne, voilà ce dont toute sa vie durant a été privée Agata.
Toi et moi l'appellerions Roland. En italien, tu dis Orlando. C'est beaucoup mieux ! A Roncevaux, le souvenir de Roland a beau s'époumoner à sonner du cor, tu l'entends à peine. En Sicile, il t'étourdit. Tu le rencontres à chaque coin de rue, le visage peint, des plumes au cimier, le casque, la cuirasse et le bouclier d'or ou de vermeil, l'épée à la main. Il a toutes les tailles, toutes les façons, aussi beau et noble que possible, la moustache et la chevelure frisée au fer. C'est une marionnette, quand il ne pend pas à ses fils au seuil d'une boutique, il orne l'illustration de ses combats les charettes peintes que trainent ânes et mulets, pomponnés et empanachés. Le sens épique du Sicilien se reconnait en lui..."
Reprenons nos éléments. Ils sont simples et peu nombreux. Un garçon, une vespa. Mets les deux l'un sur l'autre ou l'un sous l'autre suivant les cas et tu as un cavalier de la Renaissance. Pardi ! voilà l'explication. Tu n'y avais pas songé ? Moi oui, depuis le début, mais si je t'avais livré tout de suite le secret, il n'y avait plus d'histoire. Et quel secret ! Tous les voyages en Italie en seront changés.Tu pestes contre le bruit,contre le danger, contre ces jeunes fous audacieux qui empruntent à toute vitesse, dans une pétarade qui t'étourdit, la ruelle étroite ou tu chemines. Réfléchis un instant ! oh ! pas longtemps, personne ne réfléchit jamais à rien....