J’ai vu beaucoup de personnes mourir, et pas mal, plus jeunes que moi. Longtemps, j’ai trouvé cela injuste, un scandale injustifiable. Passé un certain âge, on a accumulé un sacré lot de morts derrière soi. On finirait presque par s’y habituer. Aujourd’hui, je ne supporterais plus le décès d’un plus jeune. J’aurais l’impression de recevoir une gifle. Plus le temps de faire un deuil. Incapable de renouer avec une raison de vivre.
Mes reportages sur le terrain m'en apprenaient autant sur la nature des hommes qu'un cursus de plusieurs années en en psychologie.
Dix fois, onze fois, je devrai lui rappeler que je suis son fils, "je zon", ce fils qu'il a nié, renié, oublié. oublié toute sa vie et oublié définitivement depuis que la maladie a irradié son cerveau.
Le français servait de langue véhiculaire, non pas suite à ses origines latines, mais parce que nos amis flamands étaient meilleurs bilingues que nous.
Le visible et l'invisible appartenaient à cet homme, capable de transformer la banalité en rêve, de m'ouvrir à des émotions insoupçonnées.
Je n'ai plus envie de sortir de cette chambre, de frayer avec des inconnus. Surtout je n'ai plus envie de me forcer, d'aller à l'encontre de mes envies. Je m'y suis trop contraint dans mes années antérieures. Sortir de cette chambre me procure plus de frustrations que de satisfactions. p.95
Pourtant, je ne me suis jamais senti l'égal de mon père que sur cette surface de terre battue, orangée, où il voit en moi un adversaire digne de lui. Là où la brique pilée n'a pas été trop remuée, apparaissent nos traces de pas. mes empreintes ressemblent de plus en plus aux siennes.
Parfois, on traîne tellement à dire une vérité qu'on finit par la taire. C'est ce qui nous est arrivé.
Tous ces points blancs et noirs formaient une nuit étoilée où se dessinait une constellation à laquelle il se sentait lié, à laquelle il allait consacrer désormais sa vie.
Je prends conscience pour la première fois qu'un de mes enfants va vivre quelque chose d'important et que je pourrais ne plus être là. Etre là, tout simplement.