La
violence dans l'histoire
Débat mené par Bernard PIVOTsur
la violence à travers l'histoire. Sont invités,
Pierre MIQUEL, auteur de "
Histoire de la France",
Bernard CLAVEL "
La saison des loups"
roman qui se déroule pendant
la guerre de Franche Comté au XVIIsiècle ,
Mika ETCHEBEHERE "ma
guerre d'Espagne à moi",
récit de ses
combats dans l'
armée républicaine , tous parlent de
la violence dans
la guerre. Sur la...
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« Ce qui peut me rester de l'anarchisme, c'est mon incapacité à respecter les hiérarchies imposées et ma foi dans le cercle de l'égalité... »
Oui, je reste. Pas seulement par solidarité. Dans la poignée d'hommes qui se battent à mort autour de Pompeyo je retrouve nos chaudes journées de la gare et cette révolution à l'état pur… pour la première fois depuis que nous sommes entrés ici j'ai la tête claire et les pieds sur terre.
Mais dans ces mornes journées qui précédèrent l'arrivée de Hitler au pouvoir - un pouvoir qui aurait pu être à celui qui aurait osé le prendre -, ni le parti social-démocrate ni le parti communiste ne voulurent déclencher la lutte pour s'en emparer.
Et leurs troupes, élevées dans une longue tradition de discipline politique, ne pouvaient envisager de combattre en rangs dispersés, sans ou contre leurs chefs qui avaient tout brouillé, tout faussé.
Et la "nuit des longs couteaux" tomba sur la classe ouvrière la plus éclairée des années trente, la plus éprouvée et la mieux armée pour la lutte.
" Je vous trouve bien différente de la femme que l'on peut imaginer à la tête d'une compagnie qui a la réputation de savoir se battre. Le lieutenant-colonel Ortega m'a fait un grand éloge de votre courage.
- Vous pensiez donc voir arriver une espèce de virago moustachue aux allures de soudard? C'est comique, tous les hommes se font la même idée bizarre sur les femmes qui font un métier d'homme."
Il est plus de neuf heures quand j'arrive dans notre cuisine enfumée, merveilleusement tiède, où règne un mélange d'odeurs : puanteurs humaines, cire brûlée, pommes de pin et picatostes. Je songe à toutes les odeurs de cette guerre, depuis le début, dans les locaux de Madrid, quand nous attendions des armes parmi la foule d'ouvriers, comme nous pas lavés depuis deux jours en plein mois de juillet. Après ce furent les bonnes odeurs de thym et de lavande du côté de Pelegrina, les odeurs froides sur la colline de Sigüenza, l'odeur de tabac fort et d'encre, de vieux colis, de poussière et de melon pourri de la gare. L'odeur du chocolat chaud au matin du dernier jour. Et toutes les odeurs de la cathédrale : celles, moisies, légèrement puantes, que dégageaient les tombeaux ouverts pour y loger l'essence, et les autres, humaines, et l'odeur de la mitraille et l'odeur de la terre. Et celles de feuilles pourries, d'écorce mouillée et de bruine qui enveloppait les bois de notre errance à la recherche d'un havre de salut, après notre fuite hors de la cathédrale ; et cette autre odeur, si bonne, de pommes de terre rôties sur la braise d'un poste de gardes civils abandonné, que seuls Mateo et moi avions osé manger. Et les odeurs confondues de la peur et de la crasse sur les murs gris du métro de Madrid, odeur d'humanité sale que la terreur entasse sous terre dans la ville assassinée jour après jour.
Aux premiers débordements de joie succède une Internationale solennelle chantée les poings levés. Les paroles de l'hymne révolutionnaire montent au ciel comme une action de grâce car deux miracles se sont accomplis le même jour. Un train blindé le matin, deux avions l'après-midi, et demain, peut être, deux mille combattants aguerris viendront-ils nous épauler.
D'où m'est venue cette faiblesse, cette trahison d'une chair refoulée sans le moindre effort conscient depuis la mort d'Hippo? Je me mets à haïr de toutes mes forces cette défaillance qui me ramène à l'humble condition de femme, si bien cachée jusqu'ici qu'aucun des hommes avec qui j'ai souvent dormi sur la même paillasse n'a osé la découvrir.
Vivre ? Vivre sans lui ? Après la guerre, dans un monde d’avant sa mort, un monde sans tranchées, sans bombardements ? Un monde avec des livres, des tableaux, des couchers de soleil, sans lui ? Sans marcher à son bras, sans son sourire, sans ses mains douces, ses yeux de lumière, son front, sa voix, son rire ? Tu sais bien que tu ne pourras, que tu te permets de survivre en service commandé, plus sèche qu’une branche morte, parmi les seuls êtres que tu puisses aimer, à la fois sublimes et sordides, auxquels tu lies ce choix fait avec lui dans la clarté et dans la joie.
Nous enverrons le papier à cigarettes enveloppé dans notre journal Le Combattant rouge. Nous y ajoutons un papier manuscrit: "Nous, nous avons du tabac, du bon papier à cigarettes, de la nourriture en abondance et notre idéal révolutionnaire. À mort le fascisme." Nous attachons le paquet au cou de l'animal, et Valerio, qui sait commander aux chiens, le sort de la cuisine et lui ordonne de s'en aller.
Je dois t'avouer qu'en leur parlant comme je leur ai parlé je n'avais aucun plan précis. S'ils n'avaient pas réagi comme ils ont réagi, je les aurais laissés partir. Je ne crois pas aux menaces. La meilleure façon d'obliger les gens, c'est de les laisser libres...