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Citations de Mikhaïl Cholokhov (46)


La vie dicte aux hommes ses lois, qui ne sont écrites nulle part.


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Micha se reposa pendant une semaine, il passait des journées entières en selle. La steppe le subjuguait, lui imposait une vie primitive, végétative. Il laissait aller et venir son troupeau pas bien loin de lui et sommeillait sur sa selle, ou bien s'allongeait dans l'herbe et suivait le voyage dans le ciel des troupeaux de nuages en fourrure blanche de givre, que passait le vent. Au début, cet état de détachement le satisfaisait. La vie à la réserve, loin du monde, lui plaisait même. Mais, à la fin de la semaine, quand il se fut habitué à sa nouvelle situation, une angoisse vague s'éveilla en lui. «Là-bas les hommes décident de leur destin et du destin des autres, moi je garde des juments. Comment est-ce possible? il faut que je m'en aille, je vais m'enliser», pensait-il, revenant à lui. Mais une autre voix, un murmure paresseux, s'insinuait à sa conscience : «Laisse-les donc faire la guerre là-bas, là-bas on y meurt, ici c'est la liberté, l'herbe et le ciel. Là-bas la haine, ici la paix. Qu'as-tu à faire avec eux?...»
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- Il y en a qui sont contents, d'autres qui ne le sont pas. On ne peut pas satisfaire tout le monde.
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- [Les Cosaques riches] ont volé la terre...
- Ils ne l'ont pas volée, ils l'ont conquise. Nos ancêtres l'ont arrosée de leur sang, c'est pour ça, peut-être, qu'elle est fertile.
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Étrange comme elle était courte, cette vie, et pauvre, et chargée de choses pénibles et tristes qu'il valait mieux ne pas se rappeler. Le plus souvent, ses pensées la ramenaient à Grigori. Peut-être parce qu'elle n'avait cessé de craindre pour lui depuis le début de la guerre et parce qu'il était tout ce qui l'attachait à la vie. Ou bien parce que son angoisse pour son fils aîné, pour son mari, s'était émoussée, effacée. En tout cas, elle pensait rarement à eux, les morts, ils lui apparaissaient comme à travers une vapeur grise. Elle se rappelait sans plaisir sa jeunesse, ses années de mariage. Tout cela était inutile, enfui bien loin, et ne lui apportait ni joie ni soulagement. Quant aux souvenirs les plus récents, ils ne la touchaient pas. Et soudain " le petit " se dressait dans sa mémoire avec une netteté extrême, presque tangible. Mais aussitôt son cœur se mettait à battre plus vite. Puis l'étouffement commençait, son visage devenait noir, et elle restait un long moment inconsciente, mais c'est à lui de nouveau qu'elle pensait dès qu'elle reprenait connaissance. C'était son dernier fils, elle ne pouvait pas l'oublier...

Huitième partie, Chapitre 3.
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Valet fut enterré deux jours plus tard : deux Cosaques de Nijné-Iablonovski, envoyés par l'ataman de village, creusèrent une tombe peu profonde et restèrent là longtemps, assis sur le bord à fumer, les jambes pendantes.
— La terre est dure ici, dit l'un.
— On dirait du fer. Elle n'a jamais été labourée, elle a durci avec le temps.
— Oui… il a de la chance d'être enterré là, sur la hauteur… C'est venteux, c'est sec, il aura le soleil… Il ne pourrira pas vite.
Ils regardèrent le corps de Valet recroquevillé dans l'herbe et se levèrent.
— On le déchausse ?
— Comment donc ! Ses bottes sont encore bonnes.
Ils le mirent en terre selon la coutume chrétienne : la tête vers l'ouest ; et ils jetèrent sur lui la terre noire et épaisse.
— On tasse ? demanda le plus jeune lorsque la tombe fut comblée.
— Pas la peine, laisse donc, dit l'autre en soupirant. Quand les anges sonneront pour le Jugement dernier, il ira plus vite pour se lever…
Quinze jours plus tard, la petite tombe était couverte de plantain et de jeune absinthe, l'avoine folle épiait, le colza s'épanouissait en opulentes fleurs jaunes, le mélilot laissait pendre ses grappes, cela sentait le thym et l'euphorbe. Peu de temps après, un vieillard du village voisin vint creuser un petit trou à la tête de la tombe et y planta un poteau de chêne fraîchement raboté, surmonté d'une icône. Le visage triste de la Vierge jetait une faible lueur dans l'ombre sous l'auvent triangulaire, mais les fioritures de l'écriture slavonne se détachaient en noir sur la corniche :
" En ce temps de trouble et de misère,
Frères, ne jugez pas vos frères. "
Le vieillard s'en alla et l'icône resta dans la steppe, affligeant les passants par son aspect mélancolique et faisant naître en leur cœur une étrange tristesse.

Cinquième partie, Chapitre 31.
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Accablé de souvenirs, Grigori s'allongea dans l'herbe près de ce petit cimetière cher à son coeur et regarda longtemps le ciel bleu majestueusement étendu au-dessus de lui. Là-haut, dans les espaces sans limites, des ventis circulaient, des nuages froids flottaient, illuminés par le soleil, et sur cette terre qui venait de recevoir le père Sachka, jovial ivrogne et joyeux amateur de chevaux, la vie continuait à bouillonner furieusement : dans la steppe dont la crue verte atteignait la limite du jardin, dans les fourrés de chanvre sauvage à côté de la clôture de la vieille aire, on entendait sans cesse le bruit haché des batailles de cailles, et les rats de blé sifflaient, les bourdons vrombissaient, l'herbe murmurait, caressée par le vent, les alouettes chantaient dans la brume frémissante, et une mitrailleuse crépitait très loin dans la vallée sans eau, obstinément, méchamment, sourdement, proclamant dans la nature la grandeur de l'homme.
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— Pourquoi a-t-on déchaussé les cadavres ?
— C'est nos Cosaques qui ont fait ça, Grigori Pantéléiévitch… Les défunts étaient bien chaussés, alors on a décidé, à l'escadron, de prendre leurs bonnes bottes pour ceux qui en ont de mauvaises et d'envoyer les mauvaises avec les morts au village. Les défunts ont des enfants, n'est-ce pas, qui pourront finir d'user les mauvaises bottes… Anikouchka a dit comme ça : " Les morts ne marcheront plus et ils ne monteront plus à cheval. Donnez-moi les bottes de Chamil, elles ont encore une bonne semelle. Sans ça, d'ici que je prenne des bottes sur un Rouge, j'ai le temps de crever d'un refroidissement. "

Sixième partie, Chapitre 51.
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Voici deux ans que dure cette maudite guerre. Depuis deux ans, vous souffrez dans les tranchées pour la défense d'intérêts qui ne sont pas les vôtres. Depuis deux ans coule le sang des ouvriers et des paysans de tous les pays. Des centaines de milliers de morts et de mutilés, des centaines de milliers d'orphelins et de veuves: voilà le résultat de ce massacre. Pour quoi faites-vous la guerre? De qui défendez-vous les intérêts? Le gouvernement tsariste a envoyé des millions de soldats au feu pour s'emparer de nouvelles terres et opprimer les populations de ces terres comme il opprime la Pologne et les autres nationalités asservies. Quand les industriels du monde entier n'arrivent pas à se partager les marchés où ils pourraient écouler la production de leurs fabriques et de leurs usines, quand ils n'arrivent pas à se partager les profits, le partage s'effectue par la force des armes et vous, les petits, vous marchez à la mort en combattant pour leurs intérêts, et vous tuez des hommes qui sont des travailleurs comme vous.
Assez versé le sang de vos frères! Travailleurs, réfléchissez Votre ennemi n'est pas le soldat autrichien ou allemand, abusé comme vous, mais votre propre tsar, vos industriels, vos propriétaires terriens. Tournez vos fusils contre eux. Fraternisez avec les soldats allemands et autrichiens. A travers les barbelés au moyen desquels on vous sépare les uns des autres comme des bêtes féroces, tendez-vous la main. Vous êtes frères par le travail. Vos mains portent encore les cicatrices des durillons sanglants du travail, vous n'avez rien à perdre. A bas l'autocratie! A bas la guerre impérialiste! Vive l'unité indestructible des travailleurs du monde entier!
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En famille ou chez les autres, le travail est toujours dur quand la conscience n'y est pas.
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"Mais en lui-même, il se disait : " je crèverai sur le sillon, mais j'y arriverai. Je labourerai la nuit, en m'éclairant d'une lanterne, mas je ferai un hectare un quart .. On ne peut pas autrement .. Ca serait une honte pour toute la classe ouvrière."

Labourer la nuit : ah une idée !
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-Tante Dounia va bien, mais Poliouchka est morte cet automne du mal à la gorge. Et mon oncle Mikhaïl est soldat...
Voilà qu'était accompli ce peu de chose à quoi rêvait Grégori dans ses nuits d'insomnie. Il était là, devant le portail de la maison natale, il tenait son fils dans ses bras.
C'était tout ce qui lui restait dans la vie, ce qui l'attachait encore à la terre et à ce monde énorme, resplendissant sous le soleil froid.
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Attends chuchota Grigori enflammé de colère. Tu dis qu'on nous envoie mourir pour le bénéfice des riches, mais le peuple alors? Il ne comprend pas ? Il n'y en a pas qui peuvent lui expliquer ? Il faudrait se montrer et dire: "Frères voilà pourquoi vous allez mourir".
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Je suis né quatre siècle trop tard (...) Je ne supporte pas de ne pas voir l'adversaire. C'est une sensation qui équivaut à la peur. On te tire dessus à plusieurs verstes et tu détales sur ton cheval comme une outarde dans la steppe sous l’œil du chasseur.
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Visages rouges. Sourires et regards obscènes rendus troubles par la boisson. Bouches gourmandes qui lâchaient en mastiquant des salives d'ivrognes sur la nappe brodée. bref, on s'amusait.
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La pluie continuait de tomber dans la steppe.
De Grémiatchi-Log jusqu'à l'Etang Lointain, un arc-en-ciel radieux coupait la moitie du ciel de sa bosse. Il n'y avait âme qui vive au campement. Après avoir pris congé d'André, Davydov se dirigea vers le secteur de labour le plus proche. Non loin de là, des boeufs dételés paissaient. Akim, l'homme de charrue, ayant eu la paresse de pousser jusqu'au campement, s'était couché dans un sillon et, entièrement recouvert de son sarrau, faisait un somme, bercé par le ruissellement des gouttes de pluie...
(Extrait de Terres défrichées)
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La vie dicte aux hommes ses lois, qui ne sont écrites nulle part.
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L'herbe nouvelle, de ce côté ensoleillé du ravin, était haute et drue. L'odeur fade de la terre noire chauffée par le soleil n'arrivait pas à couvrir l'arôme très fin des violettes en fleur. Des violettes, il y en avait sur les jachères et parmi les tiges sèches du mélilot, elles se déployaient en broderie de couleur le long d'une lisière très ancienne, et, dans l'herbe fanée de l'autre année, sur les friches dures comme pierre, leurs yeux regardaient le monde avec la pureté de l'enfance. Elles achevaient de vivre dans la steppe vaste et profonde le temps qui leur était donné ; déjà, des tulipes d'un éclat fabuleux les remplaçaient sur la pente, dressant vers le soleil leur calice écarlate, ou jaune, ou blans ; et le vent portait au loin dans la steppe les parfums mêlés des fleurs.
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Moi je suis sur le front depuis quatorze jusqu'à maintenant (...). Alors, cette histoire de doigt... Quel doigt, puisque Dieu n'existe pas ? Il y a longtemps que je ne crois plus ces bêtises-là. c'est en quinze, quand j'ai eu bien regardé la guerre, que je me suis dit: Dieu n'existe pas. Absolument pas. S'il existait, il n'aurait pas le droit d'abandonner les gens à un pareil gâchis. Nous autres sur le front, nous avons supprimé Dieu, nous l'avons laissé aux vieux et aux femmes.
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Le tsar est un ivrogne, la tsarine c'est une putain. La guerre, les seigneurs y gagnent des sous, nous c'est une corde à notre cou. Tu comprends ? Hein ! L'industriel boit de sa vodka, le soldat écrase ses poux, chacun sa peine. L'industriel a son revenu, l'ouvrier va tout nu, c'est bien partagé... Faut servir cosaque, faut servir ! Tu gagneras encore une croix, une belle croix tout en chêne...
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