[...] la charme d'une librairie ancienne [est] justement de passer du temps à fouiner et à se laisser surprendre.
L'explication d'Iversen, la démonstration, ainsi que les visions qui l'avait submergé quand il s'était retrouvé seul dans la bibliothèque , semblait à présent irréelles et très lointaines. Il avait dû aller chercher le livre, Fahrenheit 451, dans la poche de sa veste, seule preuve tangible que cela avait eu bien lieu, mais , après tout, ce n'était qu'un livre tout à fait ordinaire qui semblait bien inoffensif.
La lecture va bien au-delà des mots. C’est la sensation que l’on éprouve en tournant les pages, en sentant le papier sous ses doigts, en le reniflant, en prenant conscience que d’autres l’ont lu avant nous et qu’ils en portent encore les traces. Si vous êtes attentif à toutes ces choses, vos lectures se révéleront bien plus intéressantes là-bas qu’ici.
Si, justement, s’exclama l’homme en posant son index sur la table. La lecture peut être gênante, je dirais même dangereuse. (Il leva sa bouteille mais s’arrêta au milieu de son geste.) Et pas seulement pour ceux qui lisent, aussi pour ceux qui sont à proximité… la lecture passive, c’est pas une blague.
Toutes les bibliothèques sont importantes. Une bibliothèque représente le savoir d’un pays, jaugé en volumes et en pages. Elle en révèle le degré de technologie, tout comme son niveau artistique et de maturité démocratique. (Il soupira.) Idéalement, une bibliothèque doit être apolitique. Elle doit contenir des œuvres représentant tous les domaines scientifiques et tous les auteurs, quelles que soient leurs convictions, elle doit donner place aux positions divergentes de toutes sortes, de manière à ce que chaque point de vue d’une affaire puisse être exposé et documenté.
Chacun à notre façon, nous dépendons du livre.
La bibliothèque alexandrine, dit Iversen derrière elle. Sans doute l'une des plus célèbres de l'Antiquité, à présent reconstruite dans le même esprit : collecter le savoir et le rendre accessible à tous. (il soupira). Espérons qu'elle ne subira pas le même sort que la bibliothèque d'origine. Des textes inestimables ont été perdus à la suite de guerres, de pillages et d'incendies. On dit que les plans de la pyramide de Khéops se trouvaient dans la bibliothèque. Imaginez ! Qui sait le nombre d'oeuvres importantes dont nous avons été privés à cause de l'avidité du feu et de la bêtise des hommes ? Des oeuvres qui changeraient notre conception de l'histoire, de la culture et de la science ...
Jusque-là, elle avait conçu la vente de livres comme un travail noble – une tâche dont le but était d’informer les gens et de leur offrir de bons moments. Maintenant, elle avait l’impression qu’elle aurait tout aussi bien pu travailler dans un magasin d’armes. Des personnes étaient capables d’utiliser les livres qu’elle vendait pour nuire à d’autres. Elle savait bien sûr depuis longtemps que c’était un risque, mais c’était la première fois qu’elle prenait conscience que cela se passait réellement, de façon préméditée et organisée.
De nos jours, la littérature a des relents bien trop romantiques. Lire est devenu une sorte de passe-temps distingué pour intellectuels. Mais, en réalité, il s’agit de diffusion d’informations, de divertissement au mieux, mais en tout premier lieu de transmission de savoir, d’opinions, de points de vue.
ses yeux clignaient sans arrêt, avec une irrégularité d'essuie-glaces défectueux