Minou Petrowski

J'avais six ans à peine lorsque je suis morte. Un jour, j'ignore pourquoi, je suis entrée dans la chambre de ma mère. J'ai ouvert sa belle grande armoire d'acajou, incrustée de nacre, avec sa glace biseautée et j'ai effleuré les draps de coton, parfumés à l'eucalyptus, les taies d'oreiller blanches aux initiales de ma mère. J'ai ouvert les deux petits tiroirs, incrustés de nacre eux aussi. Dans l'un, il y avait un vieux portefeuille. Puis, j'ai glissé ma main entre les nappes et les serviettes festonnées et, là, sous mes doigts, j'ai senti la texture du papier. C'était une lettre à en-tête de la clinique Santa Maria. J'ai reconnu tout de suite l'écriture tremblotante. Quelque chose s'est brouillé dans ma tête. J'étouffais. Sans plus, j'ai remis la lettre à sa place et refermé avec force la porte-miroir qui m'a renvoyé brutalement mon reflet : un visage blême parsemé de taches de rousseur, des cheveux raides qui s'échappent d'une barrette. Je suis laide avec ce front étroit, ce nez trop long, disgracieux de profil, je suis incapable de soutenir mon regard, c'est une autre que moi, une inconnue. J'ai fermé à clef la porte de la chambre et je suis revenue vers l'armoire déterminée à affronter la mort. La douleur est effroyable, elle brouille ma vue : je lis les mots sans comprendre, j'ai mal, je suis terrorisée par ce qui est écrit :

Monsieur David Futternick, 6 rue de Provence à Paris, chez Monsieur Hersberg, et Mademoiselle Sophia Koslowski, Poste restante à Anvers, Belgique, confient leur enfant à la Clinique Santa Maria aux conditions suivantes : par mois 600 francs et, en sus, le blanchissage et le lait de l'enfant. Conditions de paiement : 350 francs payables d'avance, sauf pour les deux premiers mois, le 20 novembre seulement.

J’avais vécu en état d’apesanteur, en rêvant le passé et en inventant le présent, dans un no man’s land où tout semblait permis, même l’oubli du corps, de cette vieillesse que je niais parce qu’elle me rongeai.