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3.8/5 (sur 10 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1947
Biographie :

Maître de conférences et traductrice de poésie en particulier de l'allemand et du vietnamien.Elle a publié aux éditions Sud-Est Asie/Unesco: Chants-poèmes des Monts et des Eaux (1986) et Eclipse de l'étoile de Nelly Sachs (Editions Verdier)
Détachée à "l'Ecole de la paix" de Grenoble elle a travaillé avec Menuhin et est allée soutenir sur place les initiatives pédagogiques et culturelles des communautés tziganes en Hongrie et Roumanie,et des pomaks en Bulgarie.

Traductrice de poètes vietnamiens et allemands (elle a notamment traduit tout l’œuvre poétique de Nelly Sachs ainsi que la correspondance entre Nelly Sachs et Paul Celan), Mireille Gansel a publié récemment aux éditions Calligrammes Larmes de neige (poèmes, 2006), Chronique de la rue Saint-Paul (2010) et Traduire comme transhumer (2012). Elle a longtemps collaboré à La Quinzaine littéraire.
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Source : http://www.editionsdelacooperative.com et Le violon de la paix
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Bibliographie de Mireille Gansel   (17)Voir plus

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Mireille Gansel
et ce matin de brouillard
au milieu des arbres noirs
les érables en feuilles d'automne

troupeau de lumière

(" Le temps des arbres")
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Mireille Gansel
     
[...] Ces souvenirs, c'est la vieille tante Szerenke qui me les a transmis dans cet allemand dont Aharon Appelfeld écrivit :
     
Il n'était pas la langue des Allemands mais celle de ma mère [...]. Dans sa bouche les mots avaient une sonorité pure, comme si elle les prononçait dans une clochette de verre exotique [...]. Les mots des langues qui nous entouraient s'écoulaient en nous à notre insu. Les quatre langues n'en formaient plus qu'une, riche en nuances, contrastée, satirique, pleine d'humour. Dans cette langue, il y avait beaucoup de place pour les sensations, pour la finesse des sentiments, pour l'imagination et la mémoire.
     
Cet allemand d'Imre Kerstész de Budapest, Appelfeld de Czernowitz, Tibor de Prague et dernier patriarche de la famille. Quand j'entends leurs voix, quand ils me parlent, à Berlin, ou depuis Jérusalem ou Haïfa, c'est Szerenke que j'entends. Et tout ce petit cercle de survivants. Une même langue. D'un monde qui n'existe plus.
     
Cet allemand traversé par les exils et emporté au long des générations de pays en pays, comme on emporte un violon. Dont les vibratos auraient retenu les accents et les intonations, les mots et les tournures des pays et des parlers adoptés.
     
Cet allemand langue sans territoire et sans frontières. Langue intérieure. Si je devais n'en retenir qu'un mot, un seul, ce serait innig : « profond, intense, fervent ».
     
Cet allemand appris pour part à l'école encore du temps de l'empire austro-hongrois, pour part au sein de la famille comme langue transfrontière. Ce fut le cas en particulier de Szerenke qui ne fit pas d'études mais, en tant qu'aînée des neuf enfants, s'imprégna de cette langue qui était la langue d'intimité de ses parents, Nathan, né en Hongrie, Deborah-Charlotte, née en Slovaquie. L'allemand, langue de leur couple. L'hébreu, langue de leur prière. Szerenke était le puits de mémoire. Elle parlait à mi-mot. Mais entre les mots, le silence de son sourire disait l'essentiel. Et d'abord son infinie compréhension des vies. Dès qu'elle sut qu'au lycée j'avais choisi d'apprendre l'allemand, elle m'envoya une lettre. Sur un papier comme une feuille de ciel. Léger comme une aile. Ma première lettre de « là-bas » pour laquelle je n'avais plus besoin d'interprète. De son écriture qui dansait entre les lignes et où aucune ponctuation ne venait interrompre le rythme de ses paroles tracées à haute voix. Elle m'intronisait sa « secrétaire » : « Même si je ne sais pas bien les écrire, toi tu peux comprendre les mots qu'il y a dans mon coeur. » Honneur suprême du coeur, habilitée désormais à recevoir et garder des secrets, tel ce petit meuble du même nom, mais aussi à transcrire ces mots d'une langue qui nous serait à jamais commune. « Être secrétaire », première nomination et appellation première de ce qui va devenir chemins du « traduire ». J'entrais ainsi de plain-pied dans un allemand qui dépassait allègrement les murs d'école et les balises des apprentissages programmés. Cette langue de l'âme, transgression et franchissement de tant d'enfermements et interdits et de tant de frontières, n'est-elle pas par essence langue de poésie ? Elle me parla immédiatement et je la reconnus d'emblée lorsque, en feuilletant mon livre de classe, édition encore imprimée en gothique, je rencontrai pour la première fois des poèmes en allemand, c'était des vers de Goethe :
     
Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn,
Im dunkeln Laub die Gold-Orangen glühn
     
Connais-tu le pays où fleurissent les citronniers,
dans le sombre feuillage luisent les oranges d'or
     
Ce fut le même enchantement, quand sous les ombrages du petit jardin de Mandula Utca, Szerenke, puisant à la fontaine immémoriale, « racontait », racontait à perte de vue, dans son allemand métissé de hongrois, yiddish, slovaque. Le même enchantement quand par ces nuits d'été, sous les grands arbres de l'île Marguerite (Margit Sziget), enveloppés dans des couvertures, avec mon vieil oncle Istvan nous écoutions les Lieder de Schubert monter jusqu'aux étoiles.
     
« Les fruits du sureau »
     
Comment franchir l'abîme creusé dans la langue allemande par les barbelés et les miradors de l'Histoire ?
     
Retrouver les berges d'une langue d'âme ?
     
Il faisait si froid et si noir, ce soir-là. Si sombre, dans cette petite salle du Collège de France. Mais sur nos chemins de vie, ne se trouve-t-il pas, aux heures de ténèbres, des êtres lumineux qui en percent l'opacité ? Ce vieux monsieur au regard de glacier perdu dans l'azur est entré. Éminent germaniste, indéfectible résistant des premières heures, compagnon d'esprit et de musique et légataire testamentaire d'Albert Schweitzer, son compatriote dans leur Alsace natale. Robert Minder. Homme de distance et d'intensité. Et ce soir-là, avec des mots qui résonnent comme des marteaux de lumière, abattant des pans d'ombre, il dégage un fil de clarté dans l'Histoire de l'Allemagne et de sa langue. Remontant les siècles, il refait le parcours d'un long combat contre l'enténèbrement du monde ­ Weltverfinsterung. Et redonne vie et sens aux engagements de ces poètes et hommes de lettres, citoyens du monde qui s'élevèrent contre les enfermements et manipulations obscurantistes de la pensée. Et donc de la langue. Cette langue allemande, dont il retrace jusqu'aux temps noirs du nazisme la progressive et arrogante perversion.
     
Tandis que dehors tombe la nuit d'hiver, dans cette petite salle quasi déserte il va lire un poème. Un des derniers poèmes de Brecht. Écrit en 1956, peu avant sa mort : Schwierige Zeiten (Temps difficiles ­ Dure époque):
     
Stehend an meinem Schreibpult
Sehe ich durchs Fenster im Garten den Holunderstrauch
Und erkenne darin etwas Rotes und Schwarzes
Und erinnere mich plötzlich des Holunders
Meiner Kindheit in Augsburg
Mehrere Minuten erwäge ich
Ganz ernsthaft, ob ich zum Tisch gehen soll
Meine Brille holen, um wieder
Die schwarzen Beeren an den roten Zweiglein zu sehen
     
Debout à mon pupitre
je vois par la fenêtre dans le jardin l'arbuste du sureau
et y reconnais quelque chose de rouge et de noir
et me souviens soudain du sureau
de mon enfance à Augsburg
Plusieurs minutes durant je me demande
très sérieusement si je dois aller à la table
prendre mes lunettes et revenir
voir les baies noires sur les rameaux rouges
     
Ma première rencontre avec Brecht : une rencontre qui m'a sauvée. Car c'est cela la poésie : une voix humaine qui peut te sauver. Et, d'une certaine façon, ce fut aussi ma première et inaugurale leçon d'allemand. De cet allemand que Brecht travailla, comme on dirait d'un métal sous le marteau du forgeron, pour lui arracher sa part de ténèbres. Et cela, d'abord, par le gestus, pivot de toute sa démarche d'homme de théâtre. Et qui est à la fois « geste » et « montrance », démonstration, au sens mathématique. Gestus de l'homme qui, d'immobile, se met en mouvement, dans son corps et dans son esprit et, conjointement, va de l'obscurité à la clarté, de la confusion des plans du réel à la distinction lucide, exprime le lent « geste » de sa décision, l'instant de liberté : choisir ou ne pas choisir.
     
Franchir l'abîme. Sortir des ténèbres.
Résister.
Dans et par la langue.
Choisir cette résistance.
Tel fut le sens de cette soirée mémorable.
     
Travailler sur les vers de Brecht, c'était travailler à la racine même de la pensée, de l'image, de la musique, à la racine du sensible et du rationnel. C'était aussi, et peut-être d'abord, travailler sur le gestus de cette écriture, qui opérait une mise à distance fondatrice, un « dépaysement, un effet d'étrangeté ». Verfremdung : qui donne à voir le familier dans l'étranger, l'étranger dans le familier. Créant ainsi une hospitalité : tu n'es plus l'étranger, mais celui qui apprend. Dès lors j'entrai dans ses poèmes comme dans un atelier où apprendre à ajuster les mots avec une extrême rigueur, une implacable exigence lexicale, syntaxique.
     
La traduction, comme outil de cet apprentissage.
La traduction, comme gamme où exercer l'écoute, et comme ajustement à l'infime des nuances.
La traduction, comme argile où façonner ma propre langue intérieure.
     
« Une langue d'âme », Libres cahiers pour la psychanalyse, vol. 27, no. 1, 2013.
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lune avec un l comme lettre
     
la petite fille est née en ces temps d’exode. Mise
à l’abri dans les salles de classe qui lui semblent
immenses je me souviens d’un grand tableau
noir. C’est ainsi qu’elle apprit à écouter. À écouter
les paroles des grands. Et les silences. Et dans
ces silences il y avait le poids des mots lourds
de l’attente de chaque nouvelle qui arrivait ou
n’arrivait plus de la famille dispersée en Slovaquie
en Hongrie. Un soir sur une lettre en partance
elle déposa furtivement une lune d’or ignorant
toutes les frontières celles des langues et celles
des miradors. Clarté dans cette nuit. Une lune
au crayon de couleur jaune avec au-dessous deux
mots « la lune » sans doute volés au grand tableau
noir avant même de savoir les épeler.
Ce furent ses premières lettres. Sa toute première
lettre. Comme une poignée de main.
     
« Je ne vois pas de différence, écrivait Paul Celan,
entre une poignée de main et un poème » –
     
p. 13
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dans le temps de l'arbre

c'était dans les montagnes de Chartreuse un jour d'été le vieux bûcheron mena le petit enfant au Roi de sa forêt il lui apprit à prendre un arbre dans ses bras poser sa tête tout contre le tronc attendre dans le silence

émerveille de l'enfant -
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arrière-saison


Lumière d'arrière-saison
soleil d'avant-nuit
sur les berges du Danube
l'intensité poignante
des derniers survivants

parmi les branches noires
un cœur vermeil
si translucide au bord de l'hiver

un papillon couleur de soleil
passe comme une petite feuille d'or

lumière d'arrière-saison
soleil d'arrière-jour
dans les rayons très bas
se détachent
une à une
toutes les chaînes

Budapest
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                    maison des canuts sur la croix-rousse


Extrait 2

...
en avril ne te découvre pas d'un fil
laize à bouquets de roses
et oiseaux des îles
satin liseré et broché
ce 15 en l'an 1834
sur la colline les compagnons
fusillés prisonniers déportés
taffetas liseré et lancé
liage repris sur l'envers en sergé

et dans l'hiver 1848
ce 25 février
velours au sabre
le massacre et l'écrasement
sur la colline des compagnons
laize à décors de nuages
étoffe tissée à disposition
éclats de soleil et l'ombre des orages

qui sait encore les noms
de si belle ouvrage
qui sait encore les noms
des compagnons au drapeau noir :
       « vivre en travaillant
     mourir en combattant »

lé à décor de passiflores
broderie en peinture à l'aiguille
passé empiétant

c'était hier c'est encore demain
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À côté de la fenêtre. Aharon Appelfeld écrit. Je suis en avance et le trouve avec ses feuilles manuscrites. Un sourire d'hospitalité. Et ses yeux bleu d'enfance. " Tu vois, cest un travail manuel... écrire, puiser, puiser-au-plus loin...: – et Aharon Appelfeld emploie le mot "schöpfen"
qui signifie "créer" et aussi "puiser".
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                    safrandorf


terres arides
sol des pauvres
pentes raides

passée la saison des seigles
brouillards d’automne
clair de lune de septembre
sur les chaumes nus
s’ouvre le crocus tardif
dernière des fleurs avant les neiges

un pèlerin de compostelle
en aurait rapporté un bulbe
caché dans sa botte

un soldat retour d’Espagne
en aurait rapporté un bulbe
caché dans sa natte

sol des pauvres
pentes raides
depuis six siècles
au petit matin d’avant les neiges
trois stigmates d’or rouge
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                    maison des canuts sur la croix-rousse


Extrait 1

fond de siège
lancés et brodés liés en sergé et taffetas
pour la reine mathilde
au château des tuileries
lampas fond de satin
tandis que le roi louis-philippe
envoie son fils et vingt mille hommes en armes
mater la révolte des ouvriers de la soie
ce fut en novembre
ce 22 en l'an 1831
sur la colline des canuts
soie — filé et frisé métallique dorés
puisque pour la maison royale
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il neige sur berlin…
 
 
il neige sur berlin
chacun trace ses pas

il neige sur berlin
ainsi de la mémoire
qui redessine les paysages

il neige sur les blessures de la ville
tu as trente ans et tu dis :
« elles sont nos racines »

il neige sur les eaux de la spree
dans la cour du berliner ensemble
les épaules de brecht ont blanchi
et hier en sortant de la cantine du théâtre
le dernier vieux compagnon de la troupe
semblait danser dans la nuit
mais c’était pour éviter la neige fondue
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