Testament d'un livre de Abdellah Baida (Maroc), Editions Marsam
Enfermé dans la bibliothèque d'al Quaraouiyine à Fès, dans un abandon total, un livre sent la fin de sa vie approcher. Il prend la décision d'écrire son « testament » avant l'extinction de son espèce.
Abdellah Baïda, romancier, nouvelliste et essayiste marocain, décoré en 2012 des insignes de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres et la République Française. Il a publié entre autres Les Voix de Khaïr-Eddine (essai, 2007), Au fil des livres, chroniques de littérature marocaine de langue française (essai, 2011), le dernier salto (roman, 2016).
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Promouvoir les talents littéraires africains et l'édition locale : c'est aussi l'un des objectifs de la Fondation Orange qui a organisé cette année et pour la deuxième année consécutive, le Prix Orange du Livre en Afrique. Avec le soutien de l'Institut Français, ce prix récompense un roman écrit en langue française par un écrivain africain et publié au cours de l'année précédente par une maison d'édition basée sur le continent africain.
Pour cette deuxième édition, trente-huit romans ont été proposés par vingt-huit maisons d'édition basées dans quatorze pays différents. Ces romans ont été lus par des comités de lecture basés en Tunisie, au Sénégal, en Guinée, au Cameroun, en Côte d'Ivoire et au Mali. Six finalistes ont été désignés le 27 février, qui représentent bien la diversité et la richesse de la littérature africaine francophone : découvrez-les !
Rendez-vous sur https://www.lecteurs.com/prix-orange-du-livre-afrique
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Ils étaient une fois de plus sur la terrasse. L'été tirait presque à sa fin. Les moissons avaient été bonnes, la récolte des olives et des amandes aussi. Comme toujours, la vieille préparait son tagine pendant que le Vieux fumait et sirotait du thé. Et, comme toujours en été, l'espace était splendide. Des milliards d'étoiles illuminaient le firmament. De temps à autre, une météorite fendait l'atmosphère en un trait rouge qui s'évanouissait rapidement. « Dieu est en train de lapider le Diable... », disaient les Anciens à la vue des ces phénomènes cosmiques. Bouchaïb ne croyait pas à cela. Il connaissait bien l'astronomie. Il avait lu tant et tant de livres qu'il eût écrit lui-même si le sort ne s'en était mêlé... Mais il ne regrettait rien. Ses poésies berbères qu'on lirait peut-être un jour étaient son unique plaisir. Mais qui s'occupait de la poésie berbère ?
« Mais la modernité est contre moi. Je ne suis qu’un vieux croulant, un vieux chnoque qui écrit sur un saint aussi méconnu que lui. En marche vers une disparition complète, après quoi ne resteront que les choses solides, bien actuelles : le béton, l’argent, la télévision, la vidéo, les grosses voitures, etc. » (p. 85)
« Tu m’as rendue heureuse. Je suis vieille mais heureuse de vivre ces évènements en ta compagnie. J’ai toujours su que tu cachais une grande âme. C’est pourquoi je n’ai jamais souffert en ta compagnie. » (p. 126)
"Un chat n'est pas plus le diable que le diable n'est un chat. Et un nègre n'est pas un diable ! C'est un être humain de couleur ! Le diable est invisible, les jnouns également. Un chat ou un nègre sont bel et bien visibles. Les jnouns et le diable peuvent frapper quelqu'un quand ils veulent, il ne peut pas les voir. Il reçoit des coups, c'est tout. Mais un chat ne fait de mal à personne. Un nègre, si. Les coups du nègre sont tordus ! Mais il existe des nègres pacifiques.C'est rare, très rare, mais il y en a. Notre chat est un seigneur, il est supérieur à un chien. Il n'a jamais attrapé la gale, lui." (p. 37)
Allongé sur un tapis noir rugueux en poils de bouc ,le Vieux sirotait son verre de thé et fumait ses cigarettes qu 'il roulait lui-même .Ni l 'un ni l'autre ne parlaient à ce moment-là .Chacun appréciait ce calme crépusculaire qui baignait les environs
d'une étrange douceur et que seul le bruit des bêtes rompait par
intermittence .
Bouchaib n 'accordait aucun crédit aux ragots qu 'on colportait ,
qu 'il savait être la seule arme des ratés .
« Mon chat, tu comprends la poésie. Chaque fois que la plume court sur le papier, tu te redresses comme pour applaudir. Tu saisis tout rien qu’à ce bruit insolite. » (p. 67)
Qu 'y a-t-il de plus fascinant et de plus inquiétant que des ruines récentes qui furent des demeures qu 'on avait connues au temps où la vallée vivait au rythme des saisons du labeur des hommes qui ne négligeaient pas la moindre parcelle de terre pour assurer leur subsistance ?
L 'homme avait sillonné le Nord et même une partie de l 'Europe ,disait-on ,à la recherche d'une hypothétique fortune qu 'il n 'avait pas trouvée . Un sobriquet lui était resté de cette longue absence , Bouchaib ,car il avait dû travailler à Mazagan .De la femme ,on savait peu de choses sinon qu 'elle venait d 'un village lointain , d' une autre montagne sans doute .
Une de ces ruines dresse des pans de murs difformes par dessus un buisson touffus de ronces et de nopals et quelques amandiers vieux et squelettiques . Elle avait été la demeure d 'un couple âgé sans descendance qui n 'attirait guère l 'attention car il vivait en silence ,presque en secret au milieu des familles nombreuses et bruyantes .