Lectomaton Salon Livre Montréal - Le guide de survie des (z)imparfaites
Lili n’avait pas arrêté d’y penser. Bien sûr, son faible pour Alex accentuait son envie d’aller voir ce qui se passait au fameux camp. Et c’était l’été. Elle pouvait bien s’amuser un peu et sortir de l’ordinaire. De plus, Émile lui paraissait un peu plate, finalement. Gentil, oui. Mais trop straight. Elle pensa que ses amis à elle pensaient sûrement la même chose à son propos, parfois, quand elle refusait toutes leurs invitations. Elle se dit qu’une soirée, ce n’était pas la fin du monde. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer ici à Sainte-Madeleine ? Au pire, si ça dégénérait, elle partirait.
L’attitude des hommes devant l’urinoir l’intéressait également. Autant certains donnaient l’impression d’entrer dans l’urinoir, d’autres prenaient une distance comme pour s’exercer à tirer loin au cas où ils seraient appelés à participer aux prochains Jeux olympiques pour débiles profonds. Et alors que certains s’assuraient d’être bien centrés devant l’urinoir et d’instaurer une bulle d’intimité, d’autres aimaient prendre de la place et s’étendre du coude, de l’épaule, de la tête ou du pied dans les territoires voisins.
«Jeanne la gentille.
Jeanne l’obéissante.
Jeanne la sérieuse.
Jeanne la souriante.
Jeanne la «je ne cause pas de trouble».
Jeanne la calme.
Jeanne la compréhensive.
Jeanne la douce. »
Elle avait pris la décision de jouer le jeu en démontrant une haine terrible envers sa mère. Une haine facile à susciter vu tout ce que sa génitrice lui avait fait endurer. Une haine incontrôlable qui arriverait peut-être à faire d’elle une alliée des kidnappeurs. En vouloir assez à sa mère pour retourner toute l’attention sur elle.
Et pourquoi avait-elle changé d’idée ? Toutes ces images comme un vidéoclip en accéléré. Il devait y avoir quelque chose qui éclaircirait le tout. Il devait y avoir quelque chose. Il devait.
...Ce genre de situation, on voyait ça dans les films, mais pas dans la vraie vie. Pas dans une vie tranquille.
Marie lui avait présenté Esther comme s’il s’agissait de la huitième des nouvelles merveilles du monde. En effet, elle était jolie, très grande, plutôt sexy, mais lui semblait aussi dure et opaque qu’un mur. La grande muraille d’Esther. Aucune transparence, aucune empathie, seulement de la rudesse.
Avec les années, il avait conçu de nombreuses théories sur l’état de la société québécoise basées sur ses études d’observation du comportement de l’homme dans les salles de bain des restaurants. Il était un fin observateur de l’être humain, certes, mais aussi un « rapidement frustré ».
Parce que chaque fois qu’il ne s’écoutait pas, qu’il n’écoutait pas les impressions qui l’habitaient, ça tournait mal. Il l’avait déjà expérimenté et il s’était promis de ne plus agir ainsi. On finit par apprendre de ses erreurs. De toutes ses erreurs.
Elle connaissait la valeur des choses effacées. Elle vivait mieux dans sa peau depuis qu’elle avait compris, il y a deux ans, qu’il était préférable d’oublier certaines choses. Sa mère était loin d’être un ange. Pourtant, petite, elle avait chéri cette femme sans condition. Elle avait compris plus tard. C’est ce que ressent un enfant pour ses parents, peu importe ce qu’ils sont. C’est ce qu’on appelle l’« amour inconditionnel ».
Cette femme qui se dit ma mère me déteste. Elle me roulerait dessus en char si ça lui assurait du cash !