Citations de Nathalie de Broc (120)
Mais à quoi bon tourner le passé dans tous les sens?
Ca ne servait qu'à vous tournebouler l'estomac et vous empêcher de reprendre le travail. On oublierai. Tout s'oublie (...)
Un jour, le lierre s'emparerait du "château", en étoufferait les ruines. Ce n'était qu'une question de temps.
Curieuse chose que la vie. On perd des années en rêveries, à espérer jusqu'à l'obsession le moment où l'on croisera enfin l'objet de ses recherches. Et lorsque la réalité se fait, déjà le temps en est passé. On se dit :
"Ainsi, ce n'était que cela ?"
Si un air de violon vous surprend au détour de la campagne, c'est que mon esprit continue de flotter sur Saint-Théleau, qu'il se promène dans les bois du Duc, qu'il danse encore sur la place de l'église, qu'il s'attarde dans les branches de l'arbre de mai. Ne craignez rien, allez votre chemin, mais gardez-vous de vous en prendre à différent de vous. La haine n'a jamais fait bon ménage avec la musique...
page 133 [...] Les idées se bousculent, rapides couperets. Parer à toutes les éventualités. Retrouver son couteau. Quelques jours après son arrivée, Madame Flavie le lui a subtilisé, avec un rire qui sonnait feint :
"S'il te venait l'idée de me trancher la gorge dans mon sommeil ... je le mets en lieu sûr."
Les deux se sont jaugées. Lucile a cru lire un soupçon de crainte alors qu'elle s'efforçait de cacher son exaspération devant cet ajout inutile à sa condition de prisonnière potentiellement dangereuse. A l'époque, elle n'avait pas osé rappeler à Madame Flavie que le risque de la trucider dans son lit n'était pas bien grand puisqu'elle s'enfermait dans sa chambre à double tour.
Lucile s'y précipite. Drôle comme elle a attendu avant de s'y rendre. Un reste d'éducation? Non. A demeurer prisonnière si longtemps, les craintes vous viennent. On croit entendre continuellement les pas de ses gardiens. Un courant d'air se fait votre ennemi. Des ombres malveillantes vous entourent. Des voix vous accompagnent. Celle de Madame Flavie, à la fois doucereuse et impérieuse, habite les lieux. Savant mélange qu'elle module à son gré. Il est difficile de ne pas s'incliner, les volontés plient malgré soi. Lucile l'a vérifié à maintes reprises, détestant sa propre faiblesse. [...]
Elle s'y est perdue volontairement (dans la ville). Avec cette vigilance que quatre années dans les rues ont aiguisée. Elle sait combien elle fait illusion. Non qu'elle se sache belle. Qui aurait pu le lui dire? Peut-être certains coups d'œil masculins, un peu trop appuyés. Mais elle y voit une surveillance à éviter à tout prix, plutôt que l'admiration qu'elle est à cent lieues d'envisager. p 72
Derrière le cordon de baïonnettes qui s'effiloche sous la pression des curieux, on se bouscule; c'est à qui jouera le mieux des coudes. On veut tout voir. Même si le spectacle est devenu routinier: la "baignoire de la République" ne désemplit plus depuis un mois... La Convention lui ayant donné l'ordre de déméphitiser (désinfecter) la ville, il s'y emplois à tour de bras avec une scrupuleuse conscience dépourvue de tout état d'âme. pas le temps. p 12
La belle esclave - depuis longtemps affranchie - avait débarqué à dix huit ans du ventre de la massive "Thémis", trois-mâts de trente mètre doublé de cuivre jaugeant trois cent vingt tonneaux, revenu à Nantes alourdi de sucre, café, cacao, indigo, coton et rocou, et une petites centaines de pièces d'Inde qui, comme elle, avaient tâté de la mer depuis Point-Noire au Congo... au fond d'une cale à peine ventilée par les manches à air et où l'on ne pouvait se tenir qu'accroupi, le cou enserré dans un carcan de bois. p 37
Elle ne veut pas trop laisser vagabonder ses pensées. Cela va si vite de rêver.
La toute première fois que son père noua la longue natte, qui balayait le dos de Jeanne tel le balancier de l’horloge, était un dimanche. Un mois, à peine après son sixième anniversaire. Il se frotta les mains l’une contre l’autre pour les réchauffer avant d’entamer dans le dos de Jeanne une sorte de ballet étonnamment régulier, sans heurt, livrant une odeur de savon où se mêlaient pluie d’avril et vinaigre de cidre dont il se servait largement pour atténuer l’âcreté persistante des oignons qu’il laissait partout dans son sillage. Le peigne commença sa descente dans la masse de boucles épaisses qui s’étiraient sans trop de résistance sous les dents de corne. Certes, le jour importait peu, mais Jeanne ne l’évoquait jamais sans un petit pincement à l’estomac.
« Il y a une période où les souvenirs sont comme des sables mouvants dans lesquels on s’enfonce, on s’enlise.....et puis peu à peu ils prennent pour ainsi dire de la consistance jusqu’à devenir comme un terrain solide sur lequel on va d’un pas léger » ...
Maurice Donnay .
C'est que la vengeance est douce à tous les cœurs offensés, il leur en faut une, il n'y a que cela qui les soulage, les uns l'aiment cruelle et les autres généreuse.....
« Et là dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile,
L’âme en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encore palpiter sous un voile,
C’est toi qui dors dans l’ombre , ô sacré souvenir! » .
Victor Hugo , Tristesse d’Olympio.
Plus on avance dans l'ère chrétienne et plus la représentation féminine mythique " se pervertit ". Relation de cause à effet ? L'image de la femme s'est assombrie. Elle n'a plus cette aura de bienveillance de la déesse nourricière.
Le mobilier est à l'image du compromis. Conjugaison discrète et diplomate de naguère et d'aujourd'hui : les merveilles de l'ébéniste Jacob, bergères aux courbures en forme de sabre côtoient celles aux pieds cannelés. On a mis à la disposition de Lucile un exquis boudoir tendu de broché de soie bleu Nattier attenant à sa chambre que l'on fleurit tous les jours. Un bureau de noyer à cylindre placé derrière un paravent, une chaise longue au dossier renversé, languissant devant une cheminée à l'écran de feu peint d'une scène romaine, un fauteuil à l'étrusque au cannage de bois et aux pieds croisés.
Longue est la liste des duchesses qui ont émaillé l'histoire du duché de Bretagne, mais à tout seigneur tout honneur, une est évidemment incontournable et il n'est nul besoin de parier pour affirmer que, sans elle, la Bretagne eût été tout autre. Maints ouvrages lui ont été consacrés, ici ne lui seront offertes que quelques lignes car telle est la loi de ce livre ; dura lex, sed lex.......
Pour beaucoup de Bretonnes, la religion a été un exutoire, le seul moyen accessible pour exprimer une créativité empêchée par ailleurs, la seule porte possible à pousser dans un monde où le statut de femme n'autorisait qu'à être " fille ou femme de ".
Derrière le cordon de baïonnettes qui s'effiloche sous la pression des curieux, on se bouscule ; c'est à qui jouera le mieux des coudes On veut voir. Même si le spectacle est devenu routinier : la « baignoire de la République » ne désemplit plus depuis un mois. Après les prêtres réfractaires, les nonnes, embarqués sur des gabarres, la « Thérèse », la « Gloire », la « Marie-Emilie », aux sabords intentionnellement percés et qui couleront consciencieusement dans les tourbillons du « fleuve révolutionnaire », s'ajoute tout ce qui pourra vider les cachots, les hôpitaux gavés de réfugiés vendéens, de faux brigands, de vrais condamnés, de malades du typhus dont Carrier ne sait que faire et apprécierait de ne laisser aucune trace comptable.
[…] Lucile préfère s’en tenir à ce qu’elle a appris et dont elle a vérifié cent fois le bien-fondé, ne se fier à personne, pas même à une main tendue, quoique l’envie vous en tenaille. Toujours s’en garder, peu importe ce que cela coûte, peu importe le besoin légitime d’un peu de chaleur humaine ; c’est l’ABC pour demeurer en vie.
À demeurer prisonnière si longtemps, les craintes vous viennent. On croit entendre continuellement les pas de ses gardiens. Un courant d'air se fait votre ennemi. Des ombres malveillantes vous entourent. Des voix vous accompagnent. Celle de Madame Flavie, à la fois doucereuse et impérieuse, habite les lieux. Savant mélange qu'elle module à son gré. Il est difficile de ne pas s'incliner, les volontés plient malgré soi.
Non qu'elle n'appréciât point sa « folie » raffinée des bords de l'Erdre où son mari avait compulsivement amassé tout ce que son commerce florissant lui offrait et au-delà, mais ce bras rangé du grand fleuve, sans marée, sans détour, trop prévisible, ne lui offrait pas les surprises quotidiennes des berges de la Loire, où la lumière réinvente un décor à toute heure du jour ou du soir.