zayn a mentsh mit ale mentshn glaykh (devenir un homme égal à ses semblables)
Orée du XXème siècle, « Tant en Europe – à l’est comme à l’ouest d’ailleurs – que dans les deux hémisphères du Nouveau Monde, la vie juive des grandes métropoles sera désormais modelée par la présence massive des classes laborieuses juives qui n’hésitent pas à affirmer hautement leurs aspirations et leur revendications ». Et dans ce cadre « l’apparition du Bund en Europe de l’est marque un tournant important. Elle consacre une prise de conscience politique, sociale et nationale qui a renouvelé la problématique juive ».
Ce mouvement ouvrier révolutionnaire sera fortement marqué par la tradition de l’espérance messianique.
Il ne s’agit pas de peindre en couleurs vives et chatoyantes, la vie souvent misérable dans le shtetl ; ni de méconnaître la foi, dans une relecture sans histoire et sans religieux, « la synagogue y est le centre incontesté de la vie communautaire, c’est aussi là que toutes les nouvelles, fussent-elles subversives, sont diffusées et s’échangent » ou « La foi n’est pas simplement pour les masses juives le soupir de la créature opprimée, mais surtout le cadre spirituel qui permet de se raccrocher à des valeurs, de dépasser l’horreur déprimante et sans issue de la misère du quotidien ».
Outre les caractéristiques ouvrières et révolutionnaires, de ces extraits de mémoires, je souligne la place du livre et de l’étude « Ce n’est pas pas sans raison qu’en yiddish la synagogue est désignée sous le nom de shul (école) », la participation des femmes, les organisations d’autodéfense, l’existence de la pègre et des milliers de prostituées, l’immigration « Ce ne sont pas moins d’un quart de million de Juifs qui ont émigré en Amérique en l’espace de deux ans », etc…
Récits et mémoires : « C’est aussi le récit d’un éveil à la conscience éthique et politique et – à ce titre – un hommage à une génération entière de travailleurs juifs pour qui le socialisme juif a signalé l’accès à la culture moderne et à l’humanisme à travers la pédagogie sociale et le lutte ouvrière ».
De cette période, il ne reste aujourd’hui que des traces, il nous appartient qu’elles ne soient pas totalement effacées. Du même auteur, un ouvrage incontournable : Le pain de la misère, histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1984, réédité à La Découverte et aussi Terres Promises. Avatars du mouvement ouvrier juif au-delà des mers autour de 1900. États-Unis, Canada, Argentine, Palestine (Editions Metropolis, Genève 2001)
Sans oublier l’indispensable ouvrage d’Alain Brossat et Sylvia Klingberg : Le Yiddishland révolutionnaire (Réédition Syllepse, Paris 2009).
Comme le souligne si bien Nathan Weinstock : « Pour un travailleur, raconter sa vie par écrit est un acte politique » et « Il s’agit d’un genre littéraire spécifique qui ajoute aux caractéristiques habituelles que présentent les souvenirs prolétariens, une tonalité distincte : celle de l’évocation d’un monde disparu et d’un univers rayé de la carte ».
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Début de vingtième siècle, la création d’organisations du mouvement ouvrier, prend de nombreuses routes, à l’instar de ces récits aux États-Unis formant la première partie du livre. Un mouvement ouvrier de langue yiddish se transforme en mouvement ouvrier juif, la « question nationale » se combine aux luttes syndicales et politiques. Revisiter ou découvrir ces paysages permet d’essayer de comprendre leurs histoires. Mais au delà des différences, probablement irréductibles, cela pourrait permettre de rouvrir des pistes de réflexion sur la complexité du monde et sur les modalités d’élaboration d’alternative(s) radicale(s) et majoritaires n’écrasant pas les « minorités ».
Nathan Weinstock nous rappelle que la notion même de mouvement ouvrier juif « est à la fois précise et floue ; elle recouvre une fraction bien délimitée du mouvement syndical (en particulier la confection new-yorkaise), des organisations ouvrières juives et divers groupements d’entraide à vocation ouvrière et mutuelliste ». Par ailleurs il souligne que les protagonistes de l’époque se considéraient comme « des socialistes de langue yiddish. Le concept de ‘socialisme juif’ leur était étranger. »
Cette histoire des grèves et des organisations aux États-Unis, fait ressortir la prégnance du messianisme dans les luttes pour améliorer les conditions d’existence immédiate et pour le socialisme pensé ou rêvé. L’auteur pointe aussi le rôle de la répression (sans oublier le rôle du gangstérisme) du mouvement syndical, des luttes ouvrières, cette répression constante dans le « pays des droits individuels », pour autant qu’ils ne soient pas collectifs.
Tout aussi intéressant est le chapitre sur Buenos-aires, les luttes des « mouvements professionnels », la place de la jeunesse ouvrière contre les proxénètes (juifs).
Concernant la Palestine, Nathan Weinstock souligne le caractère très particulier du mouvement ouvrier. Cela donnera, plus tard, une la construction « ethnique » du mouvement syndical et le refus organisé par le sionisme du droit au travail pour les palestinien-ne-s. De ce point de vue, et contrairement à ce qui est indiqué dans la préface, on ne saurait considérer le kibboutz comme « la réalisation la plus marquante de l’idéal de fraternité incarné par le courant socialiste » car son développement se fait par l’expropriation des terres puis l’expulsion des palestinien-ne-s. Il s’agit en fait d’un « idéal » ethnique qui relativise très fortement les modalités internes d’organisation.
Enfin l’auteur présente des éléments peu connus sur le mouvement anarchiste juif et les évolutions en son sein.
Ces histoires ne sont pas des blagues juives, mais des prolongement outre atlantique du Yiddishland, du Yiddishland révolutionnaire.( Voir à ce sujet le très beau livre d’Alain Brossat et Sylvia Klingberg : Le Yiddishland révolutionnaire, rééditions Syllepse, Paris 2009) Un univers, un espace social et culturel, linguistique et religieux
De cette période, il ne reste aujourd’hui que des traces historiquement situées, il nous appartient qu’elles ne soient pas totalement effacées. Du même auteur, un ouvrage incontournable : Le pain de la misère, histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, 1984, réédité à La Découverte
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