Citations de Nicolas Delesalle (332)
Il n’y a pas d’âme russe, il n’y a que des humains qui essaient de survivre dans les conditions qu’on leur impose, il n’y a que des décisions politiques qui influent sur leur manière d’être, qui rétrécissent ou agrandissent leurs espoirs et leurs journées.
(page 163)
Vania avait découvert la hiérarchie tacite qui régulait la troupe de mercenaires : il y avait d’abord eux, les bleus, assimilés à de la viande à canon, puis les cadres, à peine plus aguerris, et au-dessus de la mêlée, ceux que tout le monde appelait les « musiciens » : les mercenaires de Wagner de la première heure, rompus aux combats en Afrique, ceux qui posaient parfois pour la photographie sur la ligne de front avec un violon ou une guitare devant le panneau d’un village anéanti et conquis.
Je veux raconter que partout, dans le Donbass, les soldats creusent et meurent. Une armée de taupes dans une guerre de bombes et de pelles. Les forces ukrainiennes s’enterrent pour résister aux coups de boutoir des troupes russes, qui ne cessent d’avancer malgré leurs pertes monstrueuses : plus de trente mille hommes sont passés sous le hachoir en trois mois. J’ai l’impression d’évoluer dans un livre d’histoire sur la Première Guerre mondiale, j’assiste à des scènes que je croyais révolues.
Sacha pousse le pion du roi d’un air méfiant. Il connaît quelques ouvertures et, comme toutes les personnes de sa génération, sculptées par le modèle soviétique, maîtrise assez bien les grands principes du jeu d’échecs.
(page 73)
L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura ôté toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
L’avancée des troupes russes effraie tout le monde. Les Ukrainiens en parlent comme d’une invasion d’insectes géants. Ils surnomment les Russes, les « Orques », tandis que les Russes parlent de « nazis ukrainiens ». Le processus vieux comme le monde de déshumanisation de l’adversaire est déjà engagé. Lorsqu’on aura enlevé toute humanité à l’ennemi, il sera plus facile de le piétiner.
(page 45)
A cet instant, en voyant la flamme jaune et bleue lécher le réservoir gelé, j'ai compris que les Russes avaient non seulement une autre manière de réfléchir que les Français, mais aussi des notions de sécurité très relatives.Pour eux, les risques sont des aléas avec lesquels il faut apprendre à vivre ou bien mourir.
On venait d'enterrer ma grand-mère, une petite ortie brune d'origine sicilienne qui souriait tout le temps. (p.11)
Sans regarder son reflet, Sacha se dit qu’en vieillissant les miroirs se couvrent de taches comme les mains des hommes.
(page 31)
Quand on a moins de huit ans, tous ceux qui ont plus de trente ans semblent décatis. "Je cours plus vite que toi". J'ai couru, vite, très vite dans ce chemin de terre. J'ai couru à en perdre haleine. J'ai couru à m'en arracher le cœur. Mais j'ai perdu. Ce jour-là, mon regard changea. Mon père n'était pas si vieux finalement. Mon regard changea, mais je ne lui dis rien. Nous avions le même orgueil.
les deux homo sovieticus vont ainsi vadrouiller dans la France de la fin des années 1980, tels des gamins abandonnés dans un magasin de confiserie. Persuadés qu’ils ne reviendront jamais en France, ils veulent en profiter. Au supermarché, ils font des réserves impressionnantes de sacs en plastique – des trésors en URSS –, et collectionnent surtout ceux avec un logo, n’importe lequel, qui se revendent à prix d’or dans les rues – en russe, on appelle ces sacs des « Au cas où ».
Je veux raconter que dans le Donbass, les soldats creusent et meurent. Une armée de taupes dans une guerre de bombes et de pelles. Les forces ukrainiennes s’enterrent pour résister aux coups de boutoir des troupes russes, qui ne cessent d’avancer malgré leurs pertes monstrueuses : plus de trente mille hommes sont passés sous le hachoir en trois mois.
(page 114)
« Les Russes ne naissent pas russes, ils le deviennent. »
Sacha pousse le pion du roi d’un air méfiant. Il connaît quelques ouvertures et, comme toutes les personnes de sa génération, sculptées par le modèle soviétique, maîtrise assez bien les grands principes du jeu d’échecs.
Aux yeux du peuple russe, Eltsine était un peu le premier garçon du village, courageux, qui sait boire et va protéger tout le monde, alors que Poutine est le magicien d'Oz .Il est l'incarnation de leurs désirs, il répond à leurs complexes.Ils croient qu'il va rendre sa grandeur à la Russie.
Propos tenus en 2001
En 1648, sous l’influence de l’Église orthodoxe qui les juge diaboliques, le tsar Alexis Ier de Russie interdit l’usage de tout instrument de musique. Persécutés, les musiciens n’ont d’autre choix que de brûler le leur sous peine d’être envoyés en exil. Facile à reproduire, la balalaïka naît à ce moment-là. C’est un instrument de résistance. Les premières traces écrites de son existence remontent à 1688, quand les gardes du Kremlin arrêtent deux serfs ivres jouant de la balalaïka.
Il faut au moins six mois pour transformer un civil en soldat prêt à combattre sur le front. Vania et ses infortunés camarades n’avaient eu droit qu’à trois semaines d’entraînement.
(page 77)
Les nuits d'été, les femmes abandonnent les autoroutes et la mélancolie aux hommes. (p.44)
[ souvenirs du narrateur, il avait 10 ans ]
(...) par où sort le sperme ? Cette question m'obsède et me rend fou. (...)
Un jour, mes parents ont laissé traîner une encyclopédie du sexe, éditée chez Larousse. J'ai fondu sur l'appât et j'ai commencé à compulser la somme. Tel un archéologue, je questionnais chaque image à la recherche du chaînon manquant. J'ai trouvé des réponses à des questions que je ne me posais pas, des questions que je ne pensais même pas possible d'être formulées. Tout était écrit, détaillé, schématisé, l'amour y était cartographié. Lire trois cents pages sur les différentes positions, du missionnaire à la levrette en passant par la pénétration latérale, la sodomie, la brouette japonaise, le tabouret à cinq pieds, le condor du Chili, la toupie rigolote, le 69, le 66, le 562, alors qu'on ne sait même pas par où sort le sperme, c'est comme parler du fonctionnement de l'océan à une goutte d'eau qui suinte au bout d'une stalactite. C’est effrayant.
Mémorial fait fondre les mirages à coups de rapports détaillés. Grâce à elle, on sait que dans la Russie de Poutine de lourdes peines de prison sont données à de simples manifestants, on sait aussi que la torture est couramment utilisée dans les centres pénitentiaires, que l’opposition est muselée, et que nombre de journalistes sont forcés de s’exiler.
(page 186)