J'ai toujours été fascinée par le fait qu'on ne se voit pas vraiment comme on est, qu'on renvoie une image différente à chacun, et que nos complexes n'appartiennent qu'à nous et à notre petite histoire.
J'aime bien aussi l'idée que, selon comment on bouge, comment on se sape, comment on s'exprime, un imaginaire se crée autour de nous, qui peut être complètement différent de la réalité.
Il était là, mon problème. Cette obsession avec la vérité tout le temps. Comme si quelqu'un la détenait, comme si les autres savaient mieux que moi, comme si je ne pouvais pas me faire mon propre avis sur moi-même et que les autres avaient forcément raison, surtout si leurs pensées me blessaient.
J'ai bu ma camomille en pensant à toutes ces clopes que je n'allais pas regretter demain. Je me suis sentie saine. Un peu vieille et chiante aussi, mais surtout saine.
Il faut bien admettre que, désormais, notre propre temporalité, notre propre notion du temps et donc notre rapport à l'attente sont intimement liés à la technologie. C'est cette technologie-là qui a changé notre façon de vivre nos relations et aussi notre rythme cardiaque. C'est cette technologie-là qui fait qu'on ne vibre plus comme avant à l'idée de se retrouver, parce que c'est le portable qui le fait à notre place, en vibrant toutes les secondes pour nous dire : "À toute de suite. T'es où ? J'arrive. Je suis là dans une minute", rendant les battements de notre cœur plus calmes et nos relations moins passionnelles.
S'il y a bien un truc que j'ai hérité d'elle, c'est cette aptitude à la mélancolie, et cette capacité aussi à ne pas vouloir en sortir. À l'époque, elle faisait un truc que je trouvais super lourd et que je me suis mise à faire aussi : quand elle aimait bien une chanson, elle la remettait sans même attendre la fin, comme pour entendre cent fois de suite son moment préféré. Maintenant je sais pourquoi - en fait, c'est que son émotion monte systématiquement au même endroit, et elle veut toujours vivre la même. Entretenir cette mélancolie, précisément de une minute vingt-neuf à deux minutes cinq, et tout recommencer.
La peur d'être quittée est plus forte encore que le sentiment amoureux. Cette relation qui fait croire qu'on vibre, alors qu'on tremble juste à l'idée de se faire larguer.
Typiquement, en amitié, mes amis restent les miens et autant j'aime bien qu'ils s'entendent entre eux, un peu, autant je préfère l'idée qu'ils soient à moi !!
C'est comme le "Ils ont décidé de se séparer, c'était d'un commun accord", mais enfin ça n'existe pas !! C'est encore un truc social pour qu'il n'y ait pas de victime, mais il y en a toujours un qui largue. Et je sais de quoi je parle. La coïncidence ou le bon timing dans la rupture n'existe pas ! Ils ne se disent pas "J'ai un truc à te dire", "Oh, c'est marrant, moi aussi", "OK on se le dit à 3 : 1, 2, 3, je te quitte !!, "Trop bien, moi aussi !! J'avais la même idée !! Du coup, on reste amis ?" Non : il y en a un qui largue, et l'autre qui subit.
En sortant, j'ai retrouvé mon amie Sofia. Sofia, c'est mon amie photographe que je vois une ou deux fois par an, mais que j'adore. Ce genre d'amitié sans aucune pression, où tu peux ne pas te voir pendant des mois et te retrouver comme si de rien n'était.
Après le dîner, on s'est posés et on a discuté avenir. Oui, parce que avec les couples qui vont bien, c'est presque obligatoire de parler avenir, il faut se projeter, parler futur. De toute façon, on ne va pas parler souvenirs, et passé, puisqu'en tout cas, le passé, on oublie, ils n'en on pas. Non, leur vie a commencé à leur rencontre. Avant, il n'y avait rien.
Je me suis souvenue de cette période tellement chargée en émotions, cette envie qu'on avait de vivre des choses le plus vite possible juste parce qu'on les avait rêvées et pas encore connues. Une sorte d'optimiste qui n'appartient qu'à l'adolescence, un espoir que le futur ressemblera peut-être un peu à ce qu'on lisait dans les livres et à ce qu'on voyait à la télé.
Il y a une odeur particulière au printemps, d'ailleurs chaque saison à son odeur. Celle du printemps est pour moi la meilleure, mais aussi la plus angoissante. Tout à coup on se découvre, on arrête de se cacher derrière son bonnet et son écharpe et on sort de la classe pour aller jouer et courir avec les autres élèves. Et courir, c'est aussi prendre le risque de tomber. Il y a comme une odeur d'aventures et de liberté, mais qu'on avait pas forcément demandé.
J'ai fêté mes 35 ans sur toutes les musiques de mon adolescence et j'ai repensé à ma mère, qui écoutait toujours en boucle Adamo : je me suis demandé si, pendant qu'on prenait des années, notre cœur, lui, n'avait pas toujours le même âge.
Du coup, je passe de phases où je me définirais comme une meuf qui mange hyper sainement à une espèce de goinfre.
En fait, je crois que ce qui se passe là représente absolument tout ce que je déteste de notre époque dans la démonstration permanente de sentiment, dans l'émotion à chaud, dans l'ego trip, et le fait de se réinventer un soi. Cette façon de penser que, pour que les choses existent, il faut qu'elles se voient et que nos sentiments se résument en clics.
Pendant tout ce temps, j'imaginais qu'être adulte correspondait à un moment où on quittait une forme de légèreté, comme si un moment donné j'avais oublié que l'adolescence n'avait été que lourdeur. Alors je me suis dit que c'était peut-être ça aussi grandir : la possibilité d'attendre son premier cheveu blanc dans un tee-shirt Mickey. Et s'en foutre.
Je doutais tellement que limite, si j’avais pu, j’aurais demandé à ma voisine de m’épeler mon nom de famille. Du coup, mon stress se voyait même dans mon écriture, elle était penchée parfois à gauche, parfois à droite et un peu tremblante tout le temps. Sans aucun style. J’enviais tellement ces filles qui dessinaient de grosses lettres toutes rondes, avec des points sur les i comme des bulles, une écriture qui les rendait un peu débiles, mais tellement sûres d’elles.
En fait, mon vrai problème, c’est que je ne suis pas hyper à l’aise à l’idée de parler de moi. Et là, maintenant, tout de suite, au moment où j’écris ça, j’ai une voix intérieure qui me dit : bah, si ça te met mal à l’aise, tu sais ce que tu peux faire ? Tu peux bien fermer ta petite gueule ! (Oui, mes voix intérieures sont très aimables.)
Non, je dis juste que les années ont beau passer, j’ai beau être « plus en accord avec moi-même qu’il y a quinze ans, blablabla », bref, tout le topo sur la trentenaire épanouie, n’empêche que j’ai toujours le même pincement au cœur à chaque fois que je tombe sur la chanson Crush de Jennifer Paige. Par « je tombe », comprenez évidemment « je cherche sur YouTube ».
Je suis fascinée par cet âge ingrat où tout est faux physiquement, gestuellement, mentalement, mais où peu importe puisque, de toute façon, on a absolument aucun recul pour le voir.
Parce que ce qui est génial, dans l’adolescence, ce n’est pas juste de l’insouciance. Non, c’est bien mieux, c’est le fait de se soucier profondément, intensément des choses, mais des choses de merde.
J’aimerais d’ailleurs qu’on m’explique qui sont ces gens qui ont un look rétro ? Je veux dire quelle est leur histoire ? Comment en sont-ils arrivés là et pourquoi ? Est-ce qu’un jour, au collège, tu mates un docu historique sur la guerre 14-18 et tu te dis tiens, pas mal cette petite robe à pois ? Qu’on m’explique !!
Est-ce que tout ce qui concerne l’enfance est synonyme de bonheur ? Dans ce cas, je devrais me réjouir à chaque syndrome prémenstruel, parce que, oh là là, cet énorme bouton d’acné est le même que quand j’étais ado !!!
Il faut arrêter de croire que tout ce qui touche à notre enfance ou à notre adolescence renvoie à une période heureuse. Déjà, si ça avait été une période heureuse, on n’aurait pas collectionné des billes de cartouche d’encre ! Ne me faites pas croire que quelqu’un qui est heureux, épanoui et stable collectionne des billes de cartouche d’encre ! Ça ne sert à rien !!!
En même temps, je le comprends, Patrick, il doit paniquer, parce que le vrai problème, avec ces retrouvailles, c’est qu’on n’a rien à se dire, on essaie de recréer une complicité sur des souvenirs du collège, on se raccroche à ce qu’on a.
En fait, soit on n’a rien à se dire, soit on a trop à se dire. Genre les gens qui te disent : « Et toi, quoi de neuf ? » Quoi de neuf ? Depuis ces dix dernières années ? Alors, j’ai changé 4 fois de job, j’ai déménagé 3 fois… j’ai pris 26 centimètres, 9 kg dans le cul, 2 tailles de bonnet. Non, tu peux pas faire ça, du coup tu fais une ellipse d’environ 9 ans 11 mois et tu racontes la dernière merde qui t’est arrivée : « Ah bah, tu sais pas, quoi, j’ai pété mon aspirateur hier en aspirant une cuillère à café, du coup, j’en ai commandé un nouveau chez Darty et il devrait arriver sous une dizaine de jours. » Ahhh, elle a l’air intéressante, ta vie.
Régulièrement, j’aime bien réécouter des tubes du passé pour me rappeler qui je suis et me plonger dans une sorte d’intensité cinématographique : je me remémore des souvenirs, je me regarde de haut, et YouTube s’occupe de la bande originale.
Avant de me lancer dans mon régime, j’ai bouffé tout ce que je pouvais, mais tout, quoi. Une orgie de bouffe, parce que c’est important de faire le plein de ce qu’on va quitter. C’est comme une rupture amoureuse : avant de passer à autre chose, faut y aller jusqu’à l’écœurement…
Moi, j’avoue, parfois, je flippe d’aller sur Facebook juste parce que je me dis que je vais encore tomber sur de nouvelles catastrophiques, ou pire, sur l’analyse catastrophique de « friends » catastrophiques des nouvelles catastrophiques. Alors je me mets à être très légèrement nostalgique de l’époque où on avait une seule info UNE FOIS : on la digérait et basta.
Et surtout, il y avait quand même un truc un peu romanesque dans la temporalité de notre enfance. Dans La Boum 2, par exemple quand Vic est bloquée, qu’elle se plante de bus, qu’elle ne peut pas prévenir ses parents que la cabine téléphonique ne marche pas, ça rend tout l’épisode tellement intense ! Aujourd’hui, c’est quoi ton excuse quand tes parents s’inquiètent : « J’avais plus de batterie ? » C’est nul ! Pire, eux, ils répondent quoi : « T’as pas un pote qui aurait pu te prêter un chargeur ? » C’est encore plus nul ! OK, je suis en train de parler de scène romanesque alors que je suis la première à être ravie de pouvoir appeler mon mec à n’importe quelle heure, n’importe quand, juste pour lui dire : « Ouais, t’es où ? »
En fait, le truc, c’est qu’à la base j’ai du mal avec la nouveauté, j’aime bien mes vieilles habitudes et, surtout, j’ai tellement la flemme de comprendre comment ça fonctionne.
« Mais tu sens quoi ? T’as mal comment ? T’as pris un Doliprane ? » Quand on te propose un Doliprane, alors que toi tu tapes « maladie grave incurable mort imminente » sur Internet, tu te sens vraiment hyper-seule. Le Doliprane pour une hypocondriaque, c’est un peu le « on reste amis » des gens qui viennent de se faire larguer ! Ça aide pas !!
J’aimerais être cool ! J’essaye de l’être ! J’aimerais être cette fille qui est ravie de s’asseoir par terre à un pique-nique ou au bord du canal sans se demander où elle va uriner, j’aimerais pouvoir sortir sans penser à l’angoisse du retour, j’aimerais tout ça, sauf qu’il y a toujours ce moment qui vient me rappeler que je ne suis pas cette fille.
Le barbecue, si c’est pas un truc de feignasse, ça : tu achètes un pack tout fait saucisses/merguez/brochettes au supermarché, tout le monde pose son cul sur une chaise longue pendant qu’un boulet fait cuire tout ça. Généralement, c’est un homme qui s’en occupe, AH BAH, c’est simple, le barbecue, c’est le seul moment où tu verras des mecs se battre pour s’occuper de la bouffe : Non, c’est moi, non, c’est moi ! Ils aiment bien faire griller des trucs, ils se sentent virils, ils disent des trucs genre : « J’vais maîtriser les braises »… Non mais, vous avez déjà vu l’arrogance des hommes quand ils allument un barbecue ? T’as l’impression qu’ils ont inventé le feu ! Hey, atterris, mec, c’est pas la préhistoire, hein ! Pareil, ta viande, tu l’as achetée chez Auchan, t’es pas allé la chasser, donc détends-toi deux minutes. Le mec, il est là à se la péter derrière ses saucisses : la clope au bec, le rosé à la main…
Franchement, les gens qui contrôlent sans arrêt l’évolution de ton bronzage (de ta carbonisation), c’est vraiment insupportable ! Pour moi, c’est la même chose que ceux qui disent : « Oh là là, elle commence à être bourréeeeeeeee ! » dès que t’as bu un verre de rosé et que tu sors une petite blague ! En gros, j’ai envie de les frapper. Parce que la réalité, c’est que la plage, on y va surtout pour bronzer. Personne ne s’allonge par terre, à même le sol, en pleine chaleur, à moitié nu, juste pour le plaisir d’être allongé par terre à même le sol en pleine chaleur à moitié nu ! Y’a qu’à voir le nombre de fois où on entend cette phrase absurde en été : « Han ! T’as vu la marque de mon maillot !! » avec le même enthousiasme que Christophe Colomb quand il a découvert l’Amérique.
Après le déjeuner, certains ont voulu se baigner, et comme chaque année, comme chaque été, comme chaque jour, il y a eu un petit débat sur est-ce qu’il faut attendre d’avoir digéré avant d’aller dans l’eau ? Avec ceux qui sont restés sur le sable, on a fait la sieste. Enfin, pour ma part, j’ai essayé de faire la sieste. Non mais parce que je ne vois pas comment tu peux t’endormir sur la plage. Déjà ça veut dire assumer la tête qu’on a pendant qu’on dort, et ma tête n’est pas du tout celle des comédies romantiques qui mérite une réplique du genre : « T’es belle quand tu dors ».
Je ne sais pas à quel moment j’ai remplacé le mot « énergie » par courage… Peut-être bien le jour où je me suis rendu compte que j’étais incapable de passer une soirée à l’aise sans avoir un peu picolé. Il faut dire que c’est dur, les soirées : jouer les mondanités, discuter de choses uniquement positives, montrer le meilleur de soi-même et, surtout, affronter le temps qui passe.
Je ne sais pas si c’est lié à mes problèmes de paresse, si c’est la saison qui peut justifier le fait que TOUT doit se faire depuis chez moi, mais je fantasme en boucle sur l’hiver, tout me plaît dans cette saison : le froid, la neige, l’odeur de marron chaud, les lumières de Noël, les fêtes qui approchent, la programmation télé qui se répète à l’identique comme chaque année… Les premiers signes de mon obsession apparaissent généralement dès les derniers jours de plage, quand j’attends impatiemment l’automne, et s’accentuent petit à petit avec un pic au changement d’heure que j’accueille comme le signe du début des festivités. Oui, je fais partie de ces quatre personnes en France qui se réjouissent de voir les journées raccourcir avec cet argument de feignasse : « Mais si, c’est tellement chaleureux, on peut rester au chaud à la maison. »
Je me suis demandé si tout le monde repensait au passé. Tout ce que je ressentais me semblait trop intense et je voulais savoir si c’était normal que des sensations si lointaines soient encore capables de me mettre une boule au ventre juste en y repensant des années après.
Comme à chaque fois que je déménage, j’ai l’image de moi, plus adulte, plus grande, plus femme, dans un appartement de « dame », avec des moulures, des géraniums, un appartement surtout très propre et très bien rangé. Ces images, ce sont celles que j’avais déjà plus jeune quand je me projetais. Quand j’imaginais