Citations de Octavio Paz (557)
"Détaché de mon corps, détaché
Du désir, je retourne au désir,
à la mémoire de ton corps. Je retourne.
Et ton corps flambe en ma mémoire,
Et flambe en ton corps ma mémoire."
Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations.
Savoir parler a toujours été savoir se taire, savoir qu'il ne faut pas toujours parler
Arbre qui parle
Ce livre a la forme d'un arbre à cinq branches. Ses racines sont mentales et ses feuilles sont des syllabes. La première branche s'oriente vers le temps et cherche la perfection de l'instant. La deuxième parle avec les autres arbres, ses prochains lointains. La troisième se regarde sans se voir : la mort est transparente. La quatrième est une conversation avec des images peintes, la forêt " des vivants piliers ". La cinquième se penche vers une source et apprend les mots du commencement.
Toute œuvre d’art est une possibilité permanente de métamorphose, offerte à tous les hommes.
Les armes de l'été
Ecoute la palpitation de l'espace
ce sont les pas de la saison en chaleur
sur les braises de l'année
Rumeur d'ailes et de crotales
tambours lointains de l'averse
crépitation halètement de la terre
sous son vêtement d'insectes et de racines
La soif éveille et construit
ses grandes cages de verre
où ta nudité est eau enchaînée
eau qui chante et se déchaîne
Avec les armes de l'été
tu entres dans ma chambre entres dans mon front
et tu détaches le fleuve du langage
regarde-toi dans ces promptes paroles
Le jour brûle peu à peu
sur le paysage aboli
ton ombre est un pays d'oiseaux
que le soleil d'un geste dissipe
GERBE
DIRE : FAIRE (A Roman Jakobson)
Entre ce que je vois et dis,
entre ce que je dis et tais,
entre ce que je tais et rêve,
entre ce que je rêve et oublie,
la poésie.
Elle glisse
entre le oui et le non :
elle dit
ce que je tais,
elle tait
ce que je dis,
elle rêve
ce que j'oublie.
Elle n'est pas un dire :
elle est un faire.
Elle est un faire
qui est un dire.
La poésie
se dit et s'entend :
elle est réelle.
Et à peine dis-je
" elle est réelle ",
qu'elle se dissipe.
Est-elle ainsi plus réelle ?
Idée palpable,
mot
impalpable :
La poésie
sème des yeux sur la page,
sème des mots dans les yeux.
Les yeux parlent,
les mots regardent,
les regards pensent.
Entendre
les pensées,
voir
ce que nous disons,
toucher
le corps de l'idée.
Les yeux
se ferment,
les mots s'ouvrent.
La solitude est le fond ultime de la condition humaine. L’homme est l’unique être qui se sente seul et qui cherche l’autre.
Entre ce que je vois et dis,
entre ce que je dis et tais,
entre ce que je tais et rêve
entre ce que je rêve et oublie,
la Poésie.
Elle glisse
entre le oui et le non :
elle dit
ce que je tais,
elle tait
ce que je dis,
elle rêve
ce que j'oublie.
Elle n'est pas un dire :
elle est un faire.
La poésie
se dit et s'entend :
elle est réelle.
Et à peine je dis
« elle est réelle »
elle se dissipe.
Est-elle ainsi plus réelle ?
" Contre le silence et le vacarme, j’invente la Parole,
la liberté qui s’invente elle-même et m’invente, chaque jour. "
Vent, eau, pierre
L'eau perce la pierre,
le vent disperse l'eau,
la pierre arrête le vent.
Eau, vent, pierre.
le vent sculpte la pierre,
la pierre est coupe de l'eau,
l'eau s'échappe et elle est vent.
Pierre, vent, eau.
Le vent dans ses tours chante,
l'eau en marchant murmure,
la pierre immobile se tait.
Vent, eau , pierre.
On est autre et personne :
entre leurs noms vides
passent et s'évanouissent
eau, pierre, vent.
A Roger Caillois (p. 520)
Aimer , c'est peut-être apprendre
à marcher dans ce monde.
Apprendre à nous tenir tranquilles
Comme le chêne et le tilleul de la fable.
Apprendre à regarder.
Ton regard est un semeur.
Il a planté un arbre.
Je parle
parce que tu fais trembler les feuilles.
( " L'arbre parle")
UNE CERTITUDE
Si réelle est la blanche lumière
de cette lampe, réelle
la main qui écrit, sont-ils réels
les yeux qui regardent ce qui est écrit ?
D'un mot à l'autre
ce que je dis s'évanouit.
Je sais que je suis vivant
entre deux parenthèses.
D'UN MOT À L'AUTRE
Un poète
... L'homme est l'aliment de l'homme. Le savoir ne se distingue pas du songe, ni le rêve du faire. Le poète a mis le feu à tous les poèmes. C'en est fini des mots et des images. Abolie, la distance entre le nom et la chose ; nommer c'est créer, imaginer c'est naître. (p. 95)
Ecoute-moi comme on entend la pluie,
sans écouter, écoute-moi parler
les yeux ouverts sur l'intérieur,
assoupie, chaque sens en éveil,
il pleut, des pas légers, rumeurs de syllabes,
l'air et l'eau, paroles qui ne pèsent :
ce que nous étions, ce que nous sommes
les jours et les années, cet instant même,
temps qui ne pèse, lourde peine,
Ecoute-moi comme on entend la pluie...
Tu as tous les visages et aucun,
Tu es toutes les heures et aucune,
Tu ressembles à l'arbre et au nuage,
Tu es tous les oiseaux et un astre,
Tu ressembles au tranchant de l'épée
Et à la coupe de sang du bourreau,
Lierre qui avance, enveloppe et déracine
L'âme et la divise d'elle-même,
Ecriture de feu sur le jade,
Crevasse dans la roche, reine des serpents,
Colonne de vapeur, source dans le roc,
Cirque lunaire, pic des aigles,
Grain d'anis, épine minuscule
Et mortelle qui donne des peines immortelles.
Là où s’effacent les chemins, où s’achève le silence, j’invente le désespoir, l’esprit qui me conçoit, la main qui me dessine, l’œil qui me découvre.
J’invente l’ami qui m’invente, mon semblable; et la femme, mon contraire, tour que je couronne d’oriflammes, muraille que mon écume assaille, ville dévastée qui renaît lentement sous la domination des yeux.
Contre le silence et le vacarme, j’invente la Parole, liberté qui s’invente elle-même et m’invente, chaque jour.
“Je suis au milieu de cette phrase
par où m’entraîne-t-elle ?
Langage lacéré.
Poète : jardinier d’épitaphes.”
Fraternité
Je suis un homme : peu je dure
et la nuit est énorme.
Mais je regarde vers le haut :
les étoiles écrivent.
Sans comprendre je comprends :
je suis aussi écriture
et en cet instant même
quelqu’un m'épelle.
Hommage à Claude Ptolémée
L’expérience poétique est une révélation de notre condition originelle. Et cette révélation se résout en une création : celle de nous-mêmes.
L’arc et la lyre, 1956