La vie en rose
J'ai toujours eu tendance
à ne pas être tendance
Être ou avoir ça change tout
Pourtant je viens d'être accueilli en classe
comme un véritable fashionisto
Faut dire que ce matin d'avril
m'a couvert le chef d'une couronne
d'un rose du plus bel effet photogénique
Jadis j'ai été très très brun
Je suis très gris aujourd'hui
D'ici quelques autres printemps
J'aurai peut-être la tête blanchie
Mais ce matin je l'ai très rose
en arrivant devant les élèves
après avoir roulé dans une allée
bordée de cerisiers japonais
Confiscation
L'enfance est souvent confrontée
à l'impérialisme étouffant
d'adultes chafouins qui oublient
que jadis ils ont joué et enfreint
les règles de leurs aînés
Confisquée! la balle dans leur haie
taillée au cordeau ou à-la-quand-j'aurai-le-temps
Confisqué! le petit vélo qui a failli
ne pas freiner à temps devant leur toutou
Confisqués! les mots lestes et jubilatoires
qui traînent à la fin des repas
entre les bouches pompettes
et les oreilles innocentes
ces confiscations font suffoquer
une part de la liberté enfantine
sans jamais parvenir à l'étouffer
étagère
Depuis ma mort je lis peu. J'ai tout de même emporté quelques livres en viatique. Vous en trouverez trace dans les pages qui suivent. Dans mon caveau, j'ai installé quelques étagères en vieilles planches pas trop vermoulues (récupérées- chut!- sur la bière d'un bisaïeul deux étages en-dessous de la mienne).
Les chemins andalous
Le soleil est mal accroché au ciel
Parfois il se montre bon envers les hommes
Parfois rien ne va sur les chemins qu’il trace pour eux
Je laisse mes yeux traîner
Sur les quatre domaines du vent
J’ai suspendu ma veste au seul nuage qui passe
Le sol est rougi de tant de sang,
De honte et d’orgueil, que là
Poussent des arbres à sève hautaine
J’avance pensant sans cesse
à ceux qu’on a couchés au bord du chemin :
Paysans, poètes, journaliers ou bandits
Et ce sont ces chemins
Qui me marchent à travers le cœur.
Grenade Cordoue, avril 2008
A part écraser une puce, on ne doit rien faire dans la hâte.
FILER DOUX VERS LE LARGE
Le chemin vers nulle part
croise souvent le chemin vers ailleurs
L'allure seule fige la destination
Nous filons en pente douce
buter contre les vagues
poursuivis par les lignes de fuite
Les maisons accroupies dans les garennes
se laissent flatter léchine
par des tempêtes condescendantes
logique
Puisque presque tout le monde naît en pleurant, presque tout le monde devrait mourir avec le sourire.
On déguste le silence
avec le premier café
au coeur de cette dépolulation
un brin suspecte
que seuls des dieux
d'une rare efficacité
auraient le pouvoir d'éterniser
REPRISE DE FEU
L’incendie du mauvais œil
s’éteindra tout seul
Si l’envie lui prend
de repartir de plus belle
personne n’hésitera
à mettre ses tourments
en travers du chemin
On trouvera tant de choses
à relever et à replanter
après l’incendie
Tant de bouffées fertiles
auxquelles donner une chance
défaite
Remonter le temps ? La pente, interminablement est un cul-de-sac.
Tuer le temps ? C'est une victime inaccessible et un ennemi imbattable.
Gagner du temps ? Ici ce serait perdre le soin.
Prendre son temps ? Mais à qui le donner ?
Tous nos voisins en ont autant que nous à faire fumier.