Entretien avec Omar Benlaâla à l'occasion de la publication de son livre -Tu n'habiteras jamais Paris- aux éditions Flammarion.
[…] le premier des outils, c’est la langue. Je suis bien placé pour le savoir. Toute ma vie, elle m’a empêché d’avancer comme je voulais. Combien de fois je m’énerve parce qu’on ne me comprend pas ? Jusqu’à ce que je me rende compte que c’est peut-être de ma faute, à cause de ma mauvaise pratique du français. Alors, je n’ai pas voulu reproduire les mêmes erreurs avec mes enfants. Ils doivent se faire comprendre et réclamer leurs droits. Réfléchir en profondeur. On réfléchit avec des mots. On rêve avec ! Quand tu n’en as pas beaucoup, ton monde se rétrécit.
A ma gauche, une femme aussi outrageusement fardée que je suis travesti ; nous sommes bien plus semblables que sa grimace ne le suggère : la camouflage diffère, pas la pathologie
« […] les Algériens venaient travailler en France depuis au moins la Seconde Guerre. À ma naissance, mon père n'était pas à Clichy pour visiter les cabarets ! D'ailleurs, on ne parlait pas d'immigration ; on passait d'une région à l'autre, comme les Bretons. D'un coup, on est devenus des étrangers. Et les pires de tous. Mais comment, du jour au lendemain, enlever de la tête d'un jeune homme que son pays de naissance n'est plus son pays, lui dont la grand-mère tatouée au visage était déjà française ? D'un côté, les patrons qui nous courtisaient comme des jeunes vierges ; de l'autre, la population qui nous voyait comme des violeurs : c'était dur à vivre. Le peuple est capricieux et ça, le politicien l'a bien compris. » (p. 110)
On était sacrément perdus, mon fils. Alors, on s'est concentrés sur ce qu'on savait faire de mieux : travailler. On ne cherchait qu'à mettre de l'argent à gauche pour le retour, à remplir la gamelle, et les enveloppes à envoyer au village. Le travail avait bon dos. Il servait d'excuse à notre exil. Pas besoin d'analyser notre malheur.
C’est fou cette faculté qu’on a à se raconter des histoires quand on rencontre plus fort que soi
Un rêve se réalise. J’ai enfin acquis le seul véritable superpouvoir : l’invisibilité
« Mon Dieu... Je n'ai pas compris comment tu t'es retrouvé dans ce groupe ! J'avais sacrifié ma vie pour que tu parles un français correct et que tu t'adaptes à cette société, et voilà que tu te transformais en Bédouin ! Pendant que tu prêchais au monde entier, avec moi, le dialogue n'existait plus. J'avais l'impression parfois que tu disais des choses que tu ne comprenais même pas. Tu étais dans les nuages. Ni avec nous, ni avec personne. Même pas avec toi. Comme un étranger. » (p. 173)
(...) en quittant l'école, j'ai profondément blessé mon père, sorti de deux guerres. Mais, las d'être le poison d'une famille sans problème, je brûle déjà de reconquérir son estime, et d'entendre ma mère encenser à nouveau sa chair. Voilà le salaire auquel j'aspire. Comment s'amender, après tant d'années d'errance? Au malade, il faut un remède radical. Le comportement irréprochable que promet l'institution religieuse apparaît comme la panacée.
N’ayant jamais mis les pieds dans une mosquée, je ne savais pas ce que j’allais y trouver. Mais parfaitement ce que je fuyais
Le religieux se nourrit de remords (p 80.)