Nous autres, les femmes, même quand nous aimons, nous ne pouvons pas aborder la chose de manière trop directe. Pour nous, la chose est toujours à la dernière place, ce qui compte avant tout, c’est la séduction qu’exercent sur nous l’homme lui-même, son intelligence, son talent, son âme, sa tendresse. La fusion que nous désirons au début n’est pas d’ordre physique, elle est autre.
— Vraiment, tu m’as réchauffé le cœur, disait Polikarpova, je commençais á perdre toute foi en l’homme.
— La foi en l’homme, c’est la chose la plus importante, répondit Trifon Petrovitch. Si cette foi disparaît, on ne peut plus vivre.
Ostankine regarda en catimini autour de lui et il vit soudain le militaire en train de chercher quelqu'un des yeux.
Une angoisse mortelle le saisit. Il tâcha de concentrer toute sa volonté pour ne pas s'abandonner à la peur. Après tout, que pouvaient-ils contre son âme libre ! Il pouvait se retirer dans un coin perdu, où il se contenterait de sa vie intérieure.
-Je vous prie de m'excuser, entendit-il soudain, seriez-vous Ostankine ?
- Non... c'est-à-dire oui..., dit-il en rougissant tellement que l'homme en uniforme n'avait plus qu'à lui dire : "Suivez-moi, s'il vous plait, je crois que vous avez déjà l'intention de partir pour un coin perdu ?"
Une conversation intellectuelle sur l'individu, sur ses aspirations était impossible. Depuis que le mensonge s'était glissé dans sa vie, ce genre d'échanges avec les femmes était devenu impossible, car ils lui rappelaient une fois de plus ce qu'il avait envie d'oublier. Mais la femme exige toujours que l'homme ait une consistance intérieure, qu'il s'enflamme, qu'il ait un objectif, une oeuvre. Elle veut toujours du spirituel dans la relation. Il faut donc en parler avec elle.
- Cà va mal, mon vieux. Ici, c'est la même chose. On travaille uniquement pour manger, car comme tu l'as dit justement, il n'y a pas d'idée. Notre idée est morte, et une idée imposée par d'autres ne saurait faire naître la foi. Comment y penser en sachant parfaitement qu'on n'a pas d'avenir ?
Il était attiré par la Sibérie. Construire là-bas voulait dire plus que construire : vaincre le désert et créer une nouvelle région.
Pendant la guerre, il avait réalisé une mission importante avec une énergie et une rapidité extraordinaire, et à partir de ce moment-là il avait compris sa vocation. La confiance que son entourage plaçait dans son talent avait une grande influence sur lui, décuplant ses forces.
-Ça me fait tout drôle, lui dit Polikarpovna un jour, tu es venu, tu m'as loué la chambre, tu n'as même pas marchandé, et maintenant, tu me répares le perron, comme si tu étais quelqu'un de ma famille.
- Et alors ? Il n'y a pas que l'argent qui compte. Moi, je te fais une réparation, et toi, plus tard, tu penseras à moi, et nous voilà quittes, dit-il en riant.
-Aujourd'hui, mon petit, les gens y sont pas comme ça, personne ne bouge le petit doigt pour des prunes. Et chacun essaie d'arracher le pain de la bouche de son voisin.(...)
-Vraiment, tu m'as réchauffé le cœur, disait Polikarpovna, je commençais à perdre toute foi en l'homme.
-La foi en l'homme, c'est la chose la plus importante, répondit Trifon Petrovitch. Si cette foi disparait, on ne peut plus vivre.
Il essayait toujours de comprendre de quoi les autres avaient besoin. Et il avait perdu ce dont il avait besoin lui-même. A cause de cela, il s'était mis à produire ce dont personne n'avait besoin. Il avait perdu sa propre intégrité, au milieu de la masse.
- "Ami, ça veut dire quoi" ?
- Tu étais tout le temps avec lui.
- Tout le temps...La charrette reste tout le temps avec le cheval, peut-on en conclure qu'ils sont amis" ?
Il m'est venu à l'esprit qu'en agissant de la sorte, je m'étais comportée exactement comme lorsque nous refusons d'améliorer les choses qui nous entourent. Donc, je voulais prendre ce qu'il y avait de meilleur sans dépenser pour cela la moindre énergie.