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Citations de Pascal Manoukian (354)


Autour d'Essaimcourt, aucun village n'a résisté. Une seconde Occupation, sans chars ni Gestapo. Les mêmes qui avaient combattu se sont rendus, ont capitulé, ont levé les bras. Les drapeaux bleu-blanc-rouge déployés à l'époque de Léon pour affirmer la résistance au néant le sont aujourd'hui pour symboliser son acceptation. C'est une reddition. Cette fois, l'ennemi vient de l'intérieur. Les slogans de haine endeuillent les murs des usines, souhaitent la mort d'Arabes là où on n'en croise aucun. Chaque voyage en car scolaire désespère Léa. Elle regarde défiler cette France recroquevillée où les frontistes, comme des dealers, refilent leurs saloperies et leurs idées mortifères. Les villages comptent de plus en plus d'accros. Les permanences du parti sont autant de salles de shoot, où à l'abri des murs et des slogans on autorise ce qui est interdit : la haine de l'autre, le racisme, le négationnisme. Le plus noir de l'homme est repeint en bleu marine, un camouflage grossier. On n'est plus facho mais patriote, plus raciste mais pour la préférence nationale, plus antisémite mais contre les forces de l'argent. Le père a fait sa fortune en détournant l'héritage d'un cimentier, sa fille s'en sert pour dresser des murs. Chaque village conquis s'isole du reste du monde, s'entoure de remparts comme au Moyen Âge. Ils sont déjà des centaines à avoir choisi cet enfermement volontaire. Léa, elle, ne rêve que d'enjamber des ponts.

Pages 21-22, Seuil, 2018.
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Moi, tu sais quoi ?... Je ne rêve plus. Ils ont même fini par m'enlever ça. À quoi tu veux rêver à 37 ans avec 1200 euros par mois ! Aux vacances ? Je ne dépasse jamais les putains de galets de Dieppe. À une maison ? Mon banquier m'a fait comprendre que j'avais plus de chances de choper Shakira qu'un crédit immobilier. Alors qu'est-ce qui me reste ? La baise ? Mais en faisant attention, alors, parce que j'ai déjà deux gosses. La picole ? Mais en faisant encore plus gaffe, parce que si je perds mon permis je perds mon boulot.

Page 217, Seuil, 2018.
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Il y a peu de temps encore on se disputait sa compagnie. Elle encombrait ses journées de rendez-vous inutiles, d'apéros, de déjeuners du week-end, de mèches chez le coiffeur, de sorties ciné/ pizza quatre-fromages entre copines au multiplexe de la zone industrielle. Son téléphone sonnait, on comptait sur elle, on lui faisait promettre « à demain » ou « à très vite », elle embrassait, lançait des « ciao » avec la main, textotait des « merci » et des « je t'aime ». Depuis, comme un cyclone, le chômage a déforesté sa vie, plus un de ses arbres ne tient debout, on dirait les montagnes pelées d'Haïti, rien pour arrêter l'érosion, personne, un Sahel affectif. Elle ne parle plus qu'à des guichets et des hygiaphones, n'appelle plus que des numéros à quatre chiffres, surtout le 3949, ne s'adresse plus qu'à des répondeurs et à des voix numériques, articulant lentement son identifiant à sept chiffres et ses mots de passe, punie, bannie, coupable simplement d'avoir la quarantaine juste à la pliure entre l'économie d'hier et celle de demain. Elle se demande ce que vont devenir tous ceux qui travaillent avec leurs mains. Où vont disparaître leurs gestes, dans quels musées ? Les terrils et les mines sont déjà classés au Patrimoine de l'Unesco. Quel avenir pour toutes ces usines mortes ? Des cars scolaires y emmèneront peutêtre les enfants pour observer des ouvriers faisant semblant de travailler en tournant en rond autour de machines débranchées comme les singes des zoos font semblant de vivre libres.

Pages 221-222, Seuil, 2018.
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— J'ai vu un reportage sur une usine de jeans à Dacca, raconte-t-elle, la journaliste y faisait le portrait croisé d'une ouvrière française et d'une jeune Bangladaise. L'une avait perdu son travail, l'autre l'avait récupéré. L'une touchait des indemnités pour oublier les gestes, l'autre s'esquintait le dos à les répéter, toujours les mêmes, pour presque rien. L'une se sentait inutile, l'autre utilisée. Fallait voir le gâchis... se désole-t-elle.
Aucune ne gagnait de quoi faire vivre sa famille. Ça n'avait produit que du malheur.
— Et tu sais quoi ? lui demande Cindy. Le plus dégueulasse, c'est que malgré toute cette casse, en cinquante ans de tour du monde dans les usines les plus pourries, le prix du jean n'a jamais baissé ! Tu continues à le payer aussi cher que tes parents ! La seule différence, c'est qu'aujourd'hui tu tires la langue pour t'en offrir un.

Pages 52-53, Seuil, 2018.
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À sa décharge, tente-t-il de se convaincre, les ouvriers se dressent rarement contre le système. Même avec de l'eau jusqu'au cou ils espèrent encore, il faut attendre que le niveau de désespoir atteigne les mocassins des couches supérieures pour voir se dresser les barricades. Aujourd'hui la France y est presque. Une grande partie des infirmières, des professeurs, des artisans, des médecins a déjà les pieds dans l'eau. Plus personne ne se sent au sec. Chacun tremble de devoir renoncer à sa manière de vivre, d'être obligé de sacrifier la scolarité d'un enfant sur deux, de ne plus pouvoir s'occuper dignement de ses parents. La marée monte, inexorablement, inondant les classes moyennes. Les familles réclament désespérément les secours. Elles espèrent des bouées et on leur jette des modes d'emploi pour s'en fabriquer. Chacun doit devenir son propre sauveteur, s'auto-employer, chercher son salut dans l'économie de partage, louer sa voiture, sa perceuse ou son appartement, se « blablacariser s'« ubériser», se « crowdfundiser» pour pallier la frilosité des patrons et des banques, et, ultime abandon, accepter d'être licencié plus facilement pour espérer être embauché.

Pages 213-214, Seuil, 2018
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Personne ne comprend rien aux ouvriers sauf les ouvriers eux-mêmes. Les usines font peur comme les cités. On n'y voit que la crasse, la cadence des chaînes, on n'en retient que le vacarme des machines, le claquement des pointeuses, la fumée de pneus qui brûlent, la violence des piquets de grève et les larmes des licenciés. Pourtant, chaque matin Aline y retrouve ses petits bonheurs, le travail bien fait d'abord et le travail tout court surtout, le café à la cantine, l'art du geste précis et maîtrisé, la complicité de classe et cette énergie qui, malgré la fatigue et les douleurs, court les ateliers.

Page 47, Seuil, 2018.
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Aline vient de comprendre la mondialisation : c'est lorsque son travail disparaît dans un pays dont on ne connaît rien. Il n'y a pas mieux aujourd'hui pour enseigner la géographie aux enfants que de leur apprendre où sont passées les usines de leurs parents, se dit-elle.

Page 52, Seuil, 2018.
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En une décennie de casse industrielle, de délocalisations, de plans sociaux, la corpulence moyenne des ouvriers du canton touchés par les fermetures d'usines a quadruplé. La faute en partie aux produits bas de gamme et aux mauvais sodas dont les grandes surfaces remplissent leurs rayons pour essayer, au fur et à mesure que la mondialisation en fabrique, de garder les pauvres comme clients. Trop d'acides gras, de E210, de E215, de graisses saturées, d'additifs chimiques, d'exhausteurs de goût, destinés à augmenter l'accoutumance aux marques les moins chères et les plus caloriques. Pour les Hyper et les Super, peu importent le cholestérol et la glycémie pourvu qu'il y ait l'ivresse d'un flux continu de Caddie aux caisses. Tout est bon à prendre : salaires, indemnités, allocations de fin de droits, minimum vieillesse, tickets restaurant.

Pages 80-81, Seuil, 2018.
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Anderson a défini que l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assurait pas nécessairement une position supérieure dans la vie professionnelle.Par exemple,imagine que moi,après trois ans de fac ou cinq ans d'école de commerce,je finisse caissière chez Simply.Ca,c'est le paradoxe d'Anderson.
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« Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes. Nous le savons : la terre n'appartient pas à l’homme, c'est l’homme qui appartient à la terre. Nous le savons : toutes choses sont liées comme par le sang qui unit une même famille. L’homme n'a pas tissé la toile de la vie. Il n'est qu'un fil de tissu. Tout ce qu'il fait à la toile, il le fait à lui-même. »
Lettre du chef Seattle au gouvernement américain.

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »
Albert Einstein.

Épigraphes du roman.
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Au fond du tiroir traîne une photo de ses beaux-parents posant devant la ferme familiale juste avant de vendre leurs terres à Univerre.
On croirait le tableau de Grant Wood et sa fermière au visage sévère, figée au côté de son père encore plus sinistre, posant une fourche à la main devant la façade en bois d'une maison blanche, dressée derrière eux comme un cercueil, celui de l'Amérique tout entière ravagée par la Grande Dépression, un genou à terre, empoisonnée par les actifs toxiques. Le même aveuglement qu'aujourd'hui.

Page 183, Seuil, 2018.
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Lui aussi rêvait de survoler la vie, libre, de l'effleurer de la pointe du pied au bout de sa corde, sans jamais se laisser arrêter, par rien ni personne. Puis, contraint par les mauvaises affaires de son père, il avait dû rejoindre l'usine. À l'époque, il avait la même tignasse ébouriffée que le saule. « Tu ne vas pas y aller comme ça ! » s'était fâchée sa mère. Elle avait aussitôt joué les tronçonneuses et Aline les consolatrices, comme avec Mathis. « Ils vont repousser, c'est mieux comme ça, chéri. Ça ne changera rien. » Elle se trompait. En quelques coups de ciseaux, tout avait cessé d'être comme avant. L'étudiant était devenu ouvrier, les jours s'étaient confondus avec les nuits, Christophe était passé à crédit de rien à presque tout, de deux ils étaient devenus trois, puis quatre, et sans qu'ils s'en aperçoivent la corde s'était transformée en chaîne, légère et indolore d'abord, comme un bracelet de cheville, puis de plus en plus lourde, entravant son vol, le plombant au fil des ans jusqu'à lui faire perdre son cap, l'enfermant derrière les grilles de l'usine où l'épaisse fumée noire des pneus en feu l'empêchait désormais d'entrevoir des jours meilleurs.

Page 134, Seuil, 2018.
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Pascal Manoukian
Il se souvint d'une phrase d'Einstein, lue un jour dans le magazine d'une compagnie aérienne entre Doha , Manille et trois whiskys : " Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson sur sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu'il est stupide". La pensée s'appliquait à lui et aux Indiens. On est toujours le poisson de quelqu'un.
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Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n'existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable.

Page 15, Seuil, 2020
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En une décennie de casse industrielle, de délocalisations, de plans sociaux, la corpulence moyenne des ouvriers du canton touchés par les fermetures d’usines a quadruplé. La faute en partie aux produits bas de gamme et aux mauvais sodas dont les grandes surfaces remplissent leurs rayons pour essayer, au fur et à mesure que la mondialisation en fabrique, de garder les pauvres comme clients.
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— Et alors, ce paradoxe d'Anderson ?
[...]
— Anderson a défini que l'acquisition par un étudiant d'un diplôme supérieur à celui de ses parents ne lui assurait pas nécessairement une position supérieure dans la vie professionnelle. Par exemple, imagine que moi, après trois ans de fac ou cinq ans d'école de commerce, je finisse caissière chez Simply. Ça, c'est le paradoxe d'Anderson.
Sa mère lui fait les gros yeux.
— Tu es en train d'essayer de m'expliquer que ça ne sert à rien de faire des études, c'est ça ?
— Je savais que tu n'allais pas aimer, mais c'est au programme.

Page 67, Seuil, 2018.
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Les chansons sont faites pour ça, elles
dialysent les états d'âme. Sans elles, beaucoup lâcheraient la rampe. On devrait donner le prix Nobel de la paix à Pharrell Williams ou à Kendji Girac.

Page 42, Seuil, 2018.
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Les livres de Léa appelaient ça « la destruction créatrice », Aline lui avait fait réviser le chapitre. En théorie, y apprenait-on, l'innovation inventait perpétuellement de nouveaux emplois qui, en s'imposant, détruisaient les anciens ; à terme, le solde entre postes créés et postes supprimés était censé devenir positif. La France, par exemple, avait remplacé ses paysans par des ouvriers, puis ses ouvriers par des employés de service ; aujourd'hui, elle remplaçait ces derniers par des travailleurs du numérique. Pour que le système fonctionne, il fallait accepter une marge d'erreur, une « casse marginale », car tous les salariés ne se révélaient pas interchangeables, d'autant qu'on oubliait d'anticiper les grands changements technologiques et de former les hommes aux métiers qui viendraient percuter les leurs — difficile alors de passer d'un atelier de fabrication de chaussettes à la programmation d'un site internet. Ainsi, chaque révolution se faisait au prix du sacrifice d'un quota de travailleurs inadaptés.

Page 36, Seuil, 2018.
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Madame, le poste que vous occupiez dans notre société a été supprimé pour raisons économiques. Merci de prendre contact avec notre administration. Cordialement.

Va dire ça aux enfants… « Le patron de maman l’a renvoyée du fond du cœur. » «Il nous abandonne chaleureusement. » «Toute l’équipe de Direction vous met dans la merde en toute amitié. »
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« À quoi peut bien rêver Léa ? » songe-t-elle. À mieux qu'elle, sans doute. C'est pour ça que l'on fait des enfants, pour les hisser sur ses épaules, le plus haut possible, les aider à atteindre ce que l'on n'a pas pu atteindre soimême. Elle n'aurait jamais dû refermer ses livres aussi vite, laisser Christophe lui tourner la tête, croire que le bonheur pouvait être à l'usine. Alors, pour compenser, elle vit sur la pointe des pieds, toujours tendue, avec l’obsession de leur faire gagner quelques centimètres.

Pages 44-45, Seuil, 2018
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Impressionnisme (2)

Sur les traces d'un jeune artiste né en 1851 à Montpellier dans une famille protestante aisée, passionné de musique et pratiquant la peinture en dilettante. Après avoir abandonné ses études de médecine pour se consacrer entièrement à la peinture il rejoint l'atelier du peintre suisse Charles Gleyre où il rencontre Pierre-Auguste Renoir, Alfred Sisley et Claude Monet auxquels il se lie et qu'il soutient financièrement à plusieurs reprises. A distance de la peinture académique et partageant leurs idéaux esthétiques Frédéric Bazille fait partie du groupe naissant des premiers impressionnistes "les historiques". Pourquoi n'a-t-il n'a-t-il pu participer à la première exposition impressionniste de 1874 alors qu'il en avait suggéré l'idée en 1867 ? 😭✝️

Il s'était brouillé avec Claude Monet en 1873
Son père briguant la fonction sénatoriale s'y opposait
Gabriel Fauré son ancien professeur de piano l'en dissuada
il est mort pendant la guerre franco-prussienne de 1870
Il avait repris ses études de médecine

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