Patrick Varetz Nu-Propriétaire éditions P.O.L : où Patrick Varetz tente de dire de quoi et comment est composé son livre "Nu-propriétaire", à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L en avril 2022 et où il est notamment question de nu-propriété et d'usufruit, de possession et de jouissance, de Neil Young et du Köln concert de Keith Jarrett, de Plexus d'Henri Miller et du "Bleu du ciel" de Georges Bataille, de quelques femmes et du désir, de la violence d'un père et de la folie d'une mère, d'archéologie et des morceaux d'un puzzle, d'autofiction et de fiction, à Paris le 29 mars 2022
"Pour reconstituer le fil de notre existence, nous ne sommes hélas pas toujours en mesure de nous raccrocher aux paroles d'une chanson, ou encore à quelques phrases retrouvées dans les pages d'un livre, si bien qu'il nous faut tout un temps progresser au-dessus du vide, avec l'espoir toutefois de posséder assez d'élan pour rejoindre avant de sombrer la terre ferme des souvenirs tangibles."
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Le coeur est là, quelque part, mais il faudrait être soi-même doublement sollicité par la grâce et la bonté pour pouvoir l'atteindre. Ce que semble suggérer cet homme - avec une petite moue contrainte de la bouche -, c'est qu'il faut accepter parfois de se laisser désarmer par l'existence.
A propos de Moïse Kipling, tableau de Modigliani, 1916
Que peut la bonté, et à moindre raison la poésie, face au chaos visiblement obstiné du monde ?
Peu de temps après avoir lu cette phrase de Michaux sur le bleu, et bien qu'encore sous le choc, tu avais écrit ce poème, où tu te demandais, comme beaucoup d'autres avant toi, si l'exercice de la poésie après Auschwitz n'était pas devenu un acte inutile et barbare ? Comme si le Verbe, à force d'échouer, était tenu de reculer. Non, finalement non. Et aujourd'hui encore, tu continues de penser qu'il vaut mieux demeurer cet idiot - assis dans son coin - occupé à agencer les mots, en refusant de se soumettre.
1342.
Tu es le creux filtrant l’eau
ce lieu des turbulences que
rien n’altère ni l’horizon et
ses manœuvres ni le jeu de
ta cervelle c’est écrit puiser
en toi je renouvelle – seuls
comptent l’effort et ce soin
tout particulier que tu mets
à utiliser les bons moyens
tu es le creux filtrant l’eau
La volonté de survivre supplante dès les premières heures la tentation de renoncer.
Je n'avais plus à redouter ni à contourner les blancs-les failles- qui jalonnaient depuis toujours le cours de mon existence, mais je devais tout au contraire m'y engouffrer afin de débiter, livre après livre, les morceaux épars à partir desquels reconstituer ma vie.
1339.
PUITS tu es ce puits qui se
nourrit d’une eau invisible
tu ne possèdes ni margelle
ni poulie simplement cette
ouverture sur le vide puits
tu peux toujours avaler la
langue des symboles et la
bouillie des mots tenter de
t’unir aux autres hommes
à leurs échanges tu n’iras
pas très loin dans le corps
social
t’unir aux autres hommes
Ma mère n'a rien à espérer de ce monde, maintenant qu'elle connaît par le détail, contrairement à moi tout ce qui l'y attend.
L'essentiel dans le peu de mots qu'ils prononcent est toujours occulté
Nous vivons dans les bas-fonds du monde. Là où à force de s'épuiser chacun perd le goût du sommeil et du coup toute inclination réelle pour le bonheur
Elle demeure là pendant des heures, comme abandonnée, prisonnière d’un lent mouvement de va-et-vient, à se demander pourquoi tout s’efface toujours dans l’existence, pour resurgir bientôt sous une forme à peine différente. Pourquoi les mêmes idées parcourent-elles les mêmes milliers de crânes, pour engendrer au final les mêmes espoirs et les mêmes solitudes ?