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Citation de enkidu_


Ce qui distingue essentiellement le philosophe-né des autres hommes, c'est que les idées, au lieu d'être pour son intelligence des formules plus ou moins nettes, sont vivantes et réelles, comme des êtres. La sensibilité chez lui se modèle sur la pensée au lieu que chez nous tous il s'établit un divorce, plus ou moins complet, entre le cœur et le cerveau. Un prédicateur chrétien a marqué admirablement la nature de ce divorce quand il a prononcé cette phrase étrange et profonde : « Nous saisons bien que nous mourrons, mais nous ne le croyons pas. »

Le philosophe, lui, quand il l'est par passion, par constitution, ne conçoit pas cette dualité, cette vie dispersée entre des sensations et des réflexions contradictoires. Aussi n'étaient-ce pas pour M. Sixte de simples objets de spéculation que cette universelle nécessité des choses, que cette métamorphose indéfinie et constante des phénomènes les uns dans les autres, que ce colossal travail de la nature sans cesse en train de se faire et se défaire, sans point de départ, sans point d'arrivée, par le seul jeu de la cellule primitive, que ce travail parallèle de l'âme humaine reproduisant, sous forme de pensées, d'émotions et de volontés, le mouvement de la vie physiologique. Il se plongeait dans la contemplation de ces idées avec une espèce de vertige, il les sentait avec tout son être, en sorte que ce bonhomme assis à sa table, servi par la vieille bonne qui cuisinait à côté, dans un bureau garni de rayonnages encombrés, la mine chétive, les pieds dans sa chancelière, le torse pris dans un paletot râpé, participait en imagination au labeur infini de l'univers. Il vivait la vie de toutes les créatures. Il revêtait toutes les formes, sommeillant avec le minéral, végétant avec la plante, s'animant avec les bêtes rudimentaires, se compliquant avec les organismes supérieurs, homme enfin et s’évanouissant dans les amplitudes d'un esprit capable de refléter le vaste monde.

Ce sont ces délices des idées générales, analogues à celles de l'opium, qui rendent ces songeurs indifférents aux menus accidents du monde extérieur, et aussi, pourquoi ne pas le dire? presque absolument étrangers aux affections ordinaires de la vie. (pp. 18-20)
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