Paul Greveillac vous présente son ouvrage "Phrases d'armes" aux éditions Gallimard. Rentrée littéraire automne 2023.
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Les sociétés ne se délitent pas sous la charge des sollicitations égoïstes. Elles pourrissent sur pied, faute d'avoir su faire bourgeonner le mystère. Nous avons faim de tabous. Nous nous mourons de la pauvreté de nos rêves. En leur absence, nous sommes de grands orphelins à l'ombre de nos désastres intimes. Nous achoppons à nous construire, parce que nous le voulons trop. Nous avons voulu nous convaincre qu'il n'est rien de valeur qui ne soit tangible. Parce que c'était facile. Parce que c'était idiot. Parce que nous manquons, peut-être, de courage. De désir. Nous étions, déjà, pomme, plutôt qu'Adam, ou Ève. Fruit vert, ou blet, dont la gratuité est absurde.
Cérémonie d'ouverture. Adolf Hitler est dans la tribune présidentielle, on le sait. L'équipe de France défile juste après la Finlande, dont les aryens sous menace soviétique professent alors une grande sympathie envers le Reich et viennent de faire se lever le stade dans une immense clameur. Le silence qui accueille la délégation française n'en est que plus assourdissant. Mais voilà que les athlètes tricolores adressent au public le salut olympique. Le bras droit est tendu. C'est tout à fait malheureux. Le salut de Joinville (le bataillon) est pris pour le salut nazi. La France se rend-elle à la raison ? Accepte-t-elle à son tour, elle, l'opposante de toujours, le nouvel ordre européen voulu par l'Allemagne ? C'est en tout cas ce que croient les cent mille spectateurs rassemblés dans le stade olympique. Ils se lèvent derechef. Ils exultent. Poussent des hourras tonitruants. Une sueur froide parcourt l'échine de René. Il comprend tout de suite le malentendu. Il a un haut-le-cœur. Son bras soudain pèse si lourd. Mais il ne peut tout de même pas le baisser, de quoi aurait donc l'air son équipe. Il figure parmi les athlètes les plus grands. Il est donc en tête de cortège. Il se doit de garder contenance. Leni Riefenstahl tirera de cet épisode un effet du meilleur goût. Au montage des Dieux du stade, elle fera précéder le défilé français d'un gros plan sur Hitler.
On entre en littérature comme on entre en résistance. On va parfois jusqu’à se choisir un nom de guerre.
Se montrer sous son meilleur jour suffit parfois à nous combler.
Ca y est. Panique. Bordel monstre. Chacun pour soi. Et Dieu pour tous - Si Dieu veut. Dunkerque ..... La guerre est une question de management et de logistique. Côté français on a ni l'un, ni l'autre.
Sur la plage. On fait, littéralement, des châteaux de sable pour se protéger des rafales des aviateurs allemands. On ne peut rien contre leurs scandaleuses sirènes. Une bêche à la main, René se souvient importunément des enfants de Dubrovnik. Il est pris d'un rire nerveux. La défense de la liberté et de la patrie devient troglodytique. Les Britanniques commence à évacuer. Et encore : au compte-gouttes. Les Français, non. Pagaille franchouillarde. Invectives intraduisibles. Shakespeare ignore Molière. Les tommies grands seigneurs laissent sur place leur bel armement qui vient immédiatement remplacer les risibles joujoux français. On descend deux trois Stuka. La nuit, le génie britannique échafaude des jetées de fortune pour des canots de sauvetage venus d'outre-Manche. Une armada de bateaux de plaisance, de rafiots de pêche, pour ainsi dire des barques. L'horizon devient pointilliste. L'armée de Sa Majesté s'en remet au citoyen anglais.
Il n’était jamais sûr du grade des militaires qu’il portraiturait. La Révolution culturelle avait éradiqué les signes extérieurs de hiérarchie. Plus personne ne portait de galons. Et il fallait prêter une attention particulière au nombre de poches des vareuses kaki. Deux poches : un rien-du-tout. Quatre poches : un général.
En garde, petit bonhomme ! Au Cercle des officiers, il croise un type énorme. Crinière abondante et ébouriffée. Arcades sourcilières de boxeur. Lippe pantagruélique. L'ours de la taïga s'est bien acclimaté. Hâbleur, conteur, « en sa tenue d'aviateur buvant sec avant de briser sa coupe », celui qu'on appelle Jeff est impossible à arrêter. René s'en envoie quelques-uns derrière la cravate en sa compagnie. Il s'éclipse alors que Joseph Kessel monte en puissance et propose d'enchaîner au bar du Saint-Georges. Tout sauf une ombre.
Il tient dans ses mains ce qui semble être un volume des écrits de Cicéron. S'imagine-t-il être la victime de quelque conspiration ? Pense-t-il à cette phrase du célèbre orateur : "Admettre une série de causes éternellement enchaînées dépouille l'homme de sa volonté libre et le rend esclave du destin ?" Il a la tête d'un type à qui son destin échappe.
Winston Churchill avait besoin de pouvoir s'écouter penser. Il n'avait rien tant en horreur que le sifflotement trivial qui fait dérailler le raisonnement mieux que les bombes. Il exigeait le silence. D'un bout à l'autre de son bunker, on tapait les comptes rendus, les ordres, les rapports secrets, sur des Remington spécialement conçues dont les cliquetis étaient étouffés.
Dans un réceptacle verni de la taille d'une boîte à chaussures, une main glissa silencieusement un petit écriteau de bois sur lequel se détachaient cinq lettres noires. Windy. On attendait du vent. C'était ainsi qu'on annonçait les bombardements des Allemands. A Londres moins qu'ailleurs on n'oubliait que l'humour est le dernier rempart de la civilisation.
Prise de panique, sans plus personne pour la tenir en bride, la haridelle qui tirait la carriole sur laquelle reposait le catafalque et le cercueil s'emballa. Elle fonça droit devant elle. Le mort eut la frayeur de sa vie.
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