L'homme qui avait de la mémoire
-Peut-être les gens sont-ils obligés de prendre le train parce qu'ils veulent aller quelque part, dis-je.
-Cela non plus ne peut pas être vrai, dit-il, car presque tous ils finissent par revenir un jour ou l'autre, et il y a même des gens qui prennent le train ici tous les matins et reviennent tous les soirs, tellement leur mémoire est mauvaise. " (p. 68)
L'homme qui avait de la mémoire
J'ai connu un homme qui savait par coeur tout l'indicateur des chemins de fer; la seule chose qu'il aimait c'étaient les trains, et il passait son temps à la gare, à regarder les trains arriver et partir. Tout l'émerveillait : les wagons, la puissance des locomotives, la grandeur de leurs roues, les mécaniciens sur qui grimpent sur leurs machines, et le chef de gare. (...)Il n'allait jamais au café, il n'allait pas au cinéma, il n'allait pas se promener, il n'avait pas de bicyclette, pas de radio, pas de télévision, ne lisait ni journaux ni livres, et s'il avait reçu des lettres, il ne les aurait pas lues non plus. Il n'avait pas le temps, car il passait ses journées à la gare (...) (p. 66)
Le lit, il l’appelait portrait.
La table, il l’appelait tapis.
La chaise, il l’appelait réveil.
Le journal, il l’appela lit.
Le miroir, il l’appela chaise.
Le réveil, il l’appela album.
L’armoire, il l’appela journal.
Le tapis, il l’appela armoire.
Le portrait, il l’appela table.
Et l’album de photos, il l’appela miroir.
"Je le sais, dit-il, mais je n'y crois pas, il faut que je fasse l'expérience. "
"j'irai droit devant moi", s'écria l'homme qui n'avait rien d'autre à faire, car après tout, lorsqu'on rien d'autre à faire, on peut tout aussi aller droit devant soi. (p. 10)
La terre est ronde. Un homme qui n'avait rien d'autre à faire, qui n'était plus marié, qui n'avait plus d'enfants et plus de travail, employait son temps à repasser tout ce qu'il savait. (p. 7)
Un matin les laquais lui font de profondes révérences, tous les matins aussi profondes, le roi y est habitué et ne les regarde même plus. Quelqu'un lui tend sa fourchette, quelqu'un lui tend son couteau, quelqu'un lui avance sa chaise, et les gens qui lui parlent disent Votre Majesté et lui adressent un tas de belles paroles, mais il n'y a rien derrière.
Jamais personne ne lui dit : "Espèce d'idiot, espèce d'âne", et tout ce qu'ils lui disent aujourd'hui, ils le lui ont déjà dit hier.
C'est ça, la vie d'un roi. (p. 37)
Il n'y a que les gens sans mémoire qui prennent le train, disait-il, car s'ils avaient une bonne mémoire, eh bien, ils n'auraient qu'à retenir les heures de départ et d'arrivée, comme moi, et ils ne seraient pas obligés de prendre le train pour faire l'expérience du temps. (p. 67)
L'inventeur
Pourtant il resta sa vie durant un véritable inventeur, car les choses qui existent déjà sont tout aussi difficiles à inventer que les autres, et il n'y a que les inventeurs qui en soient capables. (p. 60)
L'inventeur
Etre inventeur, c'est un métier qui ne s'apprend pas; c'est pourquoi les inventeurs sont rares; d'ailleurs aujourd'hui il n'y en a plus du tout. Aujourd'hui, ce ne sont plus plus les inventeurs qui inventent les choses, mais les ingénieurs et les techniciens, les mécaniciens, les menuisiers aussi, les architectes et les maçons; en fait, la plupart n'inventent rien du tout.(...)
C'est très important, les inventeurs !
Le dernier est mort en 1931. (p. 54)
L'homme qui ne voulait plus rien savoir (...)
"Ce que je ne veux plus savoir, il faut d'abord que je le sache. " (...)
Mais il faut des mois et même des années pour savoir le chinois, et lorsqu' enfin il le sut, il dit :
"C'est bien, mais je ne sais pas encore assez de choses.
Il faut que je sache tout. Alors seulement je pourrai dire que tout cela, je ne veux plus le savoir. (p. 93)