«Je m’appelle Saba», as-tu dit, et ce prénom m’a semblé un cadeau merveilleux.
C’est toujours le cas aujourd’hui. Je l’ai porté en moi longtemps comme mon bien le plus précieux. Je le prononçais rarement tout haut afin qu’il ne soit pas souillé par mon environnement. Je le gardais enfoui au fond de moi et, quand je n’avais rien d’autre à quoi m’accrocher, par un simple murmure dans le noir je te nommais, en prenant soin de ne pas être entendu, et en faisant cela quelque chose de toi m’était rendu et quelque chose de moi était sauvé.»
J'ai vu combien la colère peut déborder quand on l'empêche de s'attaquer à ce qui l'emprisonne.
Tous les espaces clos n'étaient pas des prisons, et certains procuraient même une forme de sécurité : certains sont des sanctuaires.
Ton père dirait que nous n'avions rien à faire ensemble, que nous appartenions à deux mondes différents. Mais nous venons de la même terre, toi et moi, du même peuple. Nous parlons la même langue, buvons la même eau. Nous connaissons le même soleil, le même ciel. Alors si même nous devions être séparés l'un de l'autre, quel espoir y a t-il pour le reste du monde?
Jour après jour, je désire quelque chose que je n’aurai jamais, et j’apprends peu à peu à vivre avec ce désir. N’est-ce pas mieux que d’oublier : regarder nos regrets en face, en connaître la mesure, savoir la valeur de ce que nous avons perdu ?
Le temps s'étire pendant l'enfance, et les choses sont simplement ce qu'elles sont. Nos parents et nos grands-parents sont toujours présents et ne semblent pas vieillir. Une maison est un endroit fixe, immuable, dans lequel on peut toujours revenir, et les enfants restent des enfants, avec des plaisirs et des besoins simples et constants. Le monde est ce qu'il est.
Mais à présent tout change si vite. La guerre, qui a contourné ces vallées sans y pénétrer, se fait désormais menaçante. Les frontières sont franchies par les armées, mais aussi par les idées.
J’étais épuisé et désorienté. Je ne savais pas où j’étais, ni que faire. L’immensité nue qui s’ouvrait devant moi était terrifiante. Mon cœur s’est gonflé de panique et j’ai failli retourner aux grilles de la prison pour demander qu’on me laisse y rentrer. Seule la peur de la violence m’en a dissuadé.
Les hommes qui ont fait ça sont pour moi des étrangers ; ils ont lu un livre différent de celui que j'ai étudié il y a des années. Mais je crois que je les comprends. J'ai vu combien la colère peut déborder quand on l'empêche de s'attaquer à ce qui l'emprisonne. Elle a besoin de frapper quelque part, alors elle frappe ceux qui sont sans défense. Ces hommes agissent ainsi pour se sentir puissants, pour nous imposer leur monde. Ils pensent qu'ils doivent régner sinon tout sera perdu. Et ils ne craignent pas de semer la destruction parce qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils détruisent.
Au cours de mes premières semaines ici, j'ai donc appris que tous les espaces clos n'étaient pas des prisons, et que certains procuraient même une forme de sécurité : certains sont des sanctuaires.
Ton père dirait que nous n’avions rien à faire ensemble, que nous appartenions à deux mondes différents. Mais nous venons de la même terre, toi et moi, du même peuple. Nous parlons la même langue, buvons la même eau. Nous connaissons le même soleil, le même ciel. Alors si même nous devons être séparés l’un de l’autre, quel espoir y a-t-il pour le reste du monde ?