Chansons pour la fille du boucher
Fais de ta langue ta patrie, Itsik. Fais en aussi ta maîtresse. Je te le promets, si tu agis de la sorte, tu ne seras jamais loin de ton foyer, tu n’auras jamais le cœur brisé. Tu te lèveras tous les matins en sachant que le monde t’appartient, peu importe le coin de la planète où tu te réveilles.
Tu sais qu'à Jérusalem, on insère des prières dans un grand mur pour attirer l'attention de Dieu ? A New York, tu ouvres un mur et tu en retires un sandwich.
Chaque conversation que nous autres Juifs tenons en yiddish ou en russe repousse le jour où nous parlerons tous la langue sacrée en Terre Promise.
Les langues qui baignent nos vies sont constamment mouvantes et leurs mouvements se conjuguent à notre propre identité. En ce sens, la traduction ne se réduit pas à un pur acte intime comme le dit Malpesh [personnage du roman Chanson pour la fille du boucher], c'est aussi un acte créatif duquel nous naissons tous.
La botte d'un Cosaque lui écrasant la nuque, un péquenaud moldave se débattrait encore pour demander quel est le Juif qui l'a assommé.
Le marché du yiddish n'était pas lancé à toute vapeur vers un brillant avenir, c'était un navire en perdition.
Comment les Juifs résolvent-ils la moindre difficulté ? En poussant des cris comme on n'en a pas entendu depuis Babel.
La route est longue de Kichinev à Baltimore. Séparant le lieu où débuta ma vie de celui où elle s'achèvera sans doute, l'océan de l'histoire a fait rouler des vagues qui ont toujours menacé de m'entraîner par le fond. Comment ai-je survécu ? J'ai flotté sur un radeau de mots.
Pas même à Odessa, logée tout au bas de l'Europe et de la Russie comme un filtre à graisse dans un tuyau d'écoulement, je n'avais vu une telle diversité de Juifs.
La vie maritale fait de tous les hommes des ratés, Malesh.