J'ai envie de mourir.
Cette pensée me vient comme lorsqu'on ouvre un œil après avoir trop forcé sur la méth. Quand tu te réveilles et que tu sais que c'est fini, la défonce, la nuit, les jours ou les semaines à consommer sans t'arrêter, parce que tu n'as plus un rond, plus aucun moyen de gagner de l'argent, mais que tu n'as pas payé ton loyer, t'as vendu ta télé, le téléphone a été coupé – tu ouvres les yeux, et tu as aussitôt envie de les refermer, de te rendormir, de retomber dans ton coma.
J'ai envie de mourir.
La porte s'ouvre avant que je frappe et elle est là, Kay, ma Jane, Kay, la femme la plus parfaitement imparfaite que j'ai jamais vue. Elle est debout dans l'encadrement de la porte, un couteau de boucher à la main. Elle porte un débardeur blanc ultramoulant, et ses seins forment deux minuscules bosses. Elle court vers moi. À moins que ce ne soit moi qui me précipite vers elle. On se prend dans les bras, on pleure, on se dit, Dieu merci tu es en vie. Son parfum a changé, mais, quand j'enfouis ma tête dans son cou, je retrouve ma Kay – son haleine, sa peau, sa sueur, le tout enveloppé d'une odeur de terre – et je me demande si je me suis déjà senti aussi heureux.
...si ce n’est plus qu’une pensée, mais tout est calme à présent, mon esprit se détend, la méthamphétamine tient sa promesse et tout va mieux.
Si les choses se sont vraiment passés comme je le crois - les gens sont soit morts, soit transformés en morts-vivants -, où est la panique ? C'est pourtant comme ça que ça se passe dans les films. Un mec se fait mordre dans un pays à la con, il rentre aux Etats-Unis, dévore toute sa famille, et , de là, l'infection s'étend aussi vite qu'une MST dans une équipe de foot.
J’essaie d’analyser mon hallu : la petite fille symbolise l’innocence, et le fait qu’elle soit blonde a sûrement son importance, parce que Kay est blonde, et que notre histoire, du moins au début, avait quelque chose d’innocent. Quant au chien, il représente peut-être le meilleur ami de l’homme, la nature sauvage, la bestialité. Et ce renversement de l’ordre naturel, l’enfant qui tue le chien, c’est plutôt simple – l’innocence l’emporte.
Marquer la peau pour ne jamais oublier d’où on vient. Comme Kay avec la date où elle a arrêté la drogue et les brûlures de cigarette. On essaie tous de garder une trace de nos échecs. Mais c’est aussi synonyme d’espoir. L’espoir qu’une partie de soi-même survive. Un soupçon d’humanité. Ce que j’essaie de sauver à tout prix.
Vivre comme ça. Vivre dans ce monde. Je ne peux plus, c’est tout.
On a l’âge qu’on avait quand on a touché à la drogue pour la première fois. On se drague comme des gamins, en échangeant des insultes.
La seule chose pire que de pénétrer dans une pièce grouillant de prisonniers zombies serait de se retrouver pris entre deux hordes.
Mon père est allongé, seul, éventré, la cage thoracique apparente et bien blanche. (...)
Tout tourne autour de moi – les meubles blancs, la moquette bleue, le sofa vert – et je me dis que c’est mieux comme ça, que mon père soit mort. Mais j’ai conscience que son corps a été dévoré et je me demande où se trouve ma mère, peut-être qu’elle a réussi à s’échapper, peut-être qu’elle va bien.
Soudain, j’entends un ricanement, je me frotte les yeux et le rire se fait de plus en plus fort, et merde, c’est pas possible. Je lève la tête, elle est là, debout devant la porte de la salle de bains, ma mère, la femme qui m’a mis au monde, (...). Son visage n’a pas changé, à part un truc : l’os de sa joue droite ressort par un trou dans la peau. Je regarde ses mains. Elles sont couvertes de sang. Je ne peux alors que me rendre à l’évidence : c’est elle qui a mangé mon père.
-Maman ?