Émission « Une vie, une uvre » diffusée sur France Culture le 19 décembre 2004. Avec : Sylvain Goudemare, Jean-Pierre Saïdah, Jean-Luc Steinmetz et Jacques Simonelli.
Monde atroce ! il faut donc qu’une fille tue son fils, sinon elle perd son honneur !… Flava ! tu es une fille d’honneur, tu as massacré le tien !… tu es une vierge, Flava ! Horreur !… Ôte-toi de dessus de cette fosse, que je creuse la terre de mes ongles ; je veux revoir mon fils, je veux le revoir à mon heure dernière !
— Ne troublez pas sa tombe sacrée…
— Sacrée !… Je te dis que je veux revoir mon fils à mon heure dernière ! laisse-moi fouiller cette fosse !
La pluie tombait à flots, le tonnerre mugissait, et quand les éclairs jetaient leurs nappes de flammes sur la plaine, on distinguait Flava, échevelée ; sa robe blanche semblait un linceul, elle était couchée sous les touffes du houx. Champavert, à deux genoux sur terre, de ses ongles et de son poignard fouillait le sable. Tout à coup, il se redressa tenant au poing un squelette chargé de lambeaux : — Flava ! Flava ! criait-il, tiens, tiens, regarde donc ton fils ; tiens, voilà ce qu’est l’éternité !… Regarde !
À Alphonse Brot, poète.
MA CROISÉE
Extrait 2
En extase, enivré, je n’ai plus rien d’humain.
Sur mon corps allégi mon âme se déborde,
Goutte à goutte en rosée ; et, semblable à la corde
D’un théorbe d’argent palpitant sous la main
D’un ange prosterné… sous mes pieds fuit la terre :
Je ne suis plus qu’un son ! un reflet ! un mystère !…
Peut-être vous riez tout bas de ce pouvoir
Si magique et puissant d’une voix sur mon âme ?
Le simple frôlement d’une robe de femme
Qui se hâte à lu nuit, suffit pour m’émouvoir.
Une main à bijoux, une gorge où ruissellent
Des perles, des joyaux, me charment, m’ensorcellent !
Ah ! s’il était un cœur ignorant et naïf
Qui n’ait pas ressenti ces philtres, ces ivresses ?
Qui, n’étant pas blasé par le vin, les maîtresses,
Trouve au soleil couchant, un plaisir assez vif…
Qu’il vienne ; je l’attends demain : à ma croisée
Bientôt il sentira sa jeune âme embrasée.
p.56-57
Le Gniaffe 1841
Le gniaffe arrivé, le gniaffe maître, le gniaffe possédant un établissement est trop généralement répandu, et trop à la portée de tout le monde, pour que nous nous y appesantissions beaucoup. Ce n’est pas de cet enfant du siècle, bon lecteur, que nous avons à t’entretenir ; tu le connais de reste ce débitant vulgaire qui parle à la troisième personne, qui dit : « Monsieur veut-il ses bottes plus carrées ? Que souhaite madame ? Offrirai-je un siége à monsieur ?... » Nature servile et bâtarde, polie par son frottement aux honnêtes gens qu’elle chausse ; épine dorsale flexible et docile ; bouche assouplie, faite au mensonge et professant le mot flatteur !... Non, non, ce n’est pas là l’objet de notre choix ; ce n’est pas là notre héros, ce n’est pas là notre Ulysse… Notre Priam à nous, c’est le gniaffe au cœur noble, à l’âme élevée et ombrageuse, qui, en dépit de toutes les sirènes de la corruption, s’est maintenu dans l’indépendance la plus absolue et la plus primitive !
Celui-ci que désormais nous appellerons, pour le distinguer du gniaffe de commune espèce, gniaffe pur-sang ou angora, a la fierté de l’homme qui a la conscience d’une vie sans peur et d’une intelligence consommée.
L’Incendie du bazar
J’habite la montagne et j’aime à la vallée.
LE VICOMTE D’ARLINCOURT.
Ô toi, dont j’avais fait l’emplette
Pour danse au bois neige-noisette !
L’as-tu toujours, ma Jeanneton,
Ton jupon blanc, ton blanc jupon ?
Pour quelque muscadin, matière à comédie,
Ne va pas m’oublier dans ce coquet bazar,
Où tu trône au comptoir. Colombine hardie !
Perçant l’horizon gris d’un œil au vif regard,
Flamboyant vois mon cœur, d’amour vois l’incendie !
Et si tu l’as encore, écris-moi, Jeanneton,
Ton jupon blanc, ton blanc jupon.
Au feu ! au feu ! au feu ! la Vierge à perdre haleine
Court… le bazar rissole ! au feu ! au feu ! au feu !
N’est-ce pas Margoton, Cathin ou Madeleine ?… -
Non, c’est la demoiselle au gendarme Mathieu.
— Fleur d’un jour, du ciel noir à la lueur soudaine,
Fuis !… et si tu l’emporte, écris-moi, Jeanneton,
Ton jupon blanc, ton blanc jupon ?
Plus que feu, grand mangeur, crains l’ardeur déréglée
Du bourgeois camisard, du rustre porteur d’eau,
Du beau sapeur-pompier, à coiffe ciselée,
Gare au rapt ! une fille est un léger fardeau.
À Blois, vers ton Titi, clerc à l’âme isolée,
Vole !… et si tu l’emporte, écris-moi, Jeanneton,
Ton jupon blanc, ton blanc jupon.
Ô toi, dont j’avais fait l’emplette
Pour danse au bois neige-noisette !
L’as-tu sauvé, ma jeanneton,
Ton jupon blanc, ton blanc jupon !
ADROIT REFUS
Extrait 2
J’aime à bouleverser une bibliothèque,
Fouiller un chroniqueur qu’on a laissé moisir,
Déchiffrer un latin, quelque vieille ode grecque,
Essayer un rondeau, poindre un ange à loisir ;
Puis surtout, d’un festin l’enivrante magie,
L’impudeur effrontée assise en une orgie,
Où s’affaisse mon corps sous le poids du plaisir.
J’aime enfin chevaucher dans les bois, les campagnes,
Sur mon prompt alezan par une nuit d’été.
J’aime des cris de guerre éveillant les montagnes ;
J’aime enfin l’incendie, horrible volupté !
Écraser un tyran sous sa lourde oriflamme !
Au sang de l’étranger retremper une lame,
La lui briser au cœur, en criant liberté !
Ah ! ne m’accusez pas d’être froid, insensible,
D’avoir l’œil dédaigneux, le rire d’un méchant ;
D’avoir un cœur de bronze à tout inaccessible,
D’avoir l’âme fermée au plus tendre penchant.
Vous me devinez peu malgré votre science :
Croyez moins désormais à cette insouciance,
J’aime, et d’un amour vif ; j’en fais l’aveu touchant.
p.12/13
Odelette
Oh ! que n’ai-je vécu dans le beau moyen âge,
Age heureux du poète, âge du troubadour !
Quand tout ployait sous l’esclavage,
Lui seul n’avait que le servage
De sa lyre et de son amour.
Donc, sous son mantelet emportait sa richesse,
Sa lyre qui vibrait pour l’hospitalité ;
Et son estramaçon sans cesse
Demi-tiré pour sa maîtresse,
Brandissant pour sa liberté !
Je ne crois pas qu'on puisse devenir riche à moins d'être féroce, un homme sensible n'amassera jamais.
Pour s'enrichir, il faut avoir une seule idée, une pensée fixe, dure, immuable, le désir de faire un gros tas d'or; et pour arriver à grossir ce tas d'or, il faut être usurier, escroc, inexorable extorqueur et meurtrier! maltraiter surtout les faibles et les petits ! Et, quand cette montagne d'or est faite, on peut monter dessus, et du haut du sommet, le sourire à la bouche, contempler la vallée de misérables qu'on a faits.
RÊVERIES
Extrait 3
Autour de moi voyez la foule sourcilleuse
S’ameuter, du néant son haut cœur est marri. —
Dites de ce vieux chêne où va le tronc pourri ? —
Poudre grossir la glèbe. — Et vous, souche orgueilleuse !
Un ogre appelé Dieu vous garde un autre sort !
Moins de prétentions, allons, race servile,
Peut-être avant longtemps, votre tête de mort
Servira de jouet aux enfants par la ville !…
Peu vous importe, au fait, votre vil ossement ;
Qu’on le traîne au bourbier, qu’on le frappe et l’écorne…
Il renaîtra tout neuf, quand sonnera la corne
Du jugement !
La Soif des Amours
Hélène ; je vous suis tout vendu.
AUGUSTUS MAC KEAT.
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin ;
Qu’un autre envieux de la gloire
Dans le tracas coule ses jours ;
Moi, toujours,
Riant de ce mot illusoire,
Je n’ai que la soif des amours !
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin.
Qu’un buveur, la tasse remplie,
Aux coteaux consacre ses jours ;
Moi, toujours,
Sans goût savourant l’ambroisie,
Je n’ai que la soif des amours !
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin.
Qu’un ladre accumulant sans cesse,
Sur ses trésors traîne ses jours ;
Moi, toujours,
Méprisant honneurs et richesse,
Je n’ai que la soif des amours !
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin.
Qu’un Anglais trace sur la tombe
Des vers sombres comme ses jours ;
Moi, toujours,
Sur des fleurs ma lyre retombe,
Je n’ai que la soif des amours !
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin.
Le temps éteindra sous ses ailes
Les feux ardents de mes beaux jours ;
Moi, toujours,
Je serai galant près des belles,
Je n’ai que la soif des amours !
Viens, accours, fille jolie !
Viens, que j’oublie en ton sein
Le chagrin,
Qui, partout, dans cette vie,
Suit le pauvre pèlerin.
À ANDRE BOREL.
HYMNE AU SOLEIL
Pauvre bougre !
Jules Janin.
Là dans ce sentier creux, promenoir solitaire
De mon clandestin mal,
Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
Comme un brute animal.
Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre,
Appeler le sommeil.
Pour étancher un peu ma brûlante paupière ;
Je viens user mon écot de soleil !
Là-bas dans la cité, l’avarice sordide
Des chefs sur tout champart :
Au mouton-peuple on vend le soleil et le vide ;
J’ai payé, j’ai ma part !
Mais sur tous, tous égaux devant toi, soleil juste,
Tu verses tes rayons,
Qui ne sont pas plus doux au front d’un sire auguste,
Qu’au sale front d’une gueuse en haillons.
p.49-50