Accablé comme on finit toujours par l’être devant l’immense ratage forcé d’avoir vécu.
Sauf que l’existence est plutôt pas mal faite et que l’on termine en général à peu près satisfait de son sort, quel que soit celui-ci, faute d’avoir pu réaliser ses désirs, se résolvant lentement à ne plus rien désirer d’autre que la pauvre petite part de réalité qui vous a été attribuée et qui vous reste au bout du compte. Ayant, sans en avoir clairement conscience, adapté ses espérances aux exigences de son existence, les ayant petit à petit réduites pour qu’elles prennent à peu près la forme minuscule de ce que le hasard vous a mis entre les mains. La « peau de chagrin » dont parle le vieux roman se rétractant jusqu’à disparaître enfin dans le rien. Mais selon une morale plus amère : puisque ce n’est pas en accomplissant son désir mais en renonçant à celui-ci que sa vie se rétrécit ainsi. Et plutôt que de devoir affronter une pareille révélation, celle sur laquelle se termine un vieux film mélancolique, citant à sa dernière image quelques vers violents comme le glas qui sonne : « Car la vie est un bien perdu / Quand on n’a pas vécu / Comme on l’aurait voulu », se disant, comme tout le monde en vient à penser pour ne pas désavouer celui que l’on a été, que, si c’était à recommencer, on reprendrait exactement le même chemin car on n’en aurait pas voulu, on n’en voudrait pas d’autres.
Vraiment ?
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