Pierre le Tan : Carnet des années pop
Olivier BARROT présente le livre de Pierre le Tan
Avenue Percier
(...) Cet appartement me faisait penser aux vastes appartements de certains amis vietnamiens de mon père, sortes de campements de luxe pour exilés, toujours prêts à partir. (p. 86)
C'est sans doute pour cela que ce petit livre ressemble à quelques pièces éparses d'un puzzle incomplet.
Un mélange de désenchantement et de sagesse, acquis avec l'âge, m'a appris que rien ne nous appartient. Les pauvres souverains qui se faisaient enterrer avec des trésors ont tous été pillés. Je continuerai encore longtemps, pour m'amuser, à céder aux tentations de la découverte et de l'acquisition. De nouveaux domaines m'intrigueront toujours, tout du moins c'est ce que je souhaite. Je sais cependant que je peux me séparer de tout.
La maison de Pedro était confortable et plutôt luxueuse, mais ce n'était pas le mobilier bourgeois et anonyme que l'on remarquait. C'était surtout les rayonnages qui couvraient une grande partie des murs. Ils étaient remplis de formes que j'eus d'abord du mal à distinguer, car l'éclairage était faible. C'est ainsi que je découvris que cet homme courtois et effacé collectionnait méthodiquement les papiers froissés.
Je n'eus jamais vraiment d'explication sur les raisons de cet engouement. "La lumière et les ombres", m'avait-il dit, c'était cela qui l'obsédait. Ce qui était inscrit sur ces papiers ne l'intéressait pas, d'ailleurs beaucoup étaient vierges, des papiers d'emballage, par exemple, ou des mouchoirs jetables.
Avenue Paul Doumer
Il n'est pas étonnant que l'avenue Paul Doumer commence par un cimetière. Je n'irai pas jusqu'à dire que c'est déjà l'enfer, mais c'est en tout cas un avant-goût du purgatoire. (p. 39)
Place Breteuil
Est-ce sa largeur excessive, ou ses arbres trop bien alignés qui donnent à l'avenue de Breteuil des allures de cimetière ? Ou est-ce, au bout, la belle mais funèbre église des Invalides ?
Je crois que les longues promenades que m'infligeait ma nounou sous ces platanes ne firent rien pour améliorer mon caractère déjà mélancolique. (p. 17)
Les quais de la Seine
Quand je lus beaucoup plus tard le roman- Epaves- de Julien Green, je fus surpris de retrouver dans ses descriptions lugubres des berges de la Seine les impressions que j'avais ressenties autrefois au bord de ce fleuve glauque, du côté de Grenelle. (p. 23)
Je vois Umberto deux ou trois fois par an, plutôt à Paris, car j'ai ce défaut de trouver les déplacements de plus en plus fastidieux. Nous sillonnons alors les antiquaires, inlassablement, avec la même excitation, comme si c'était la première fois. Nous finissons en général notre périple dans une librairie sans âge près des jardins du Luxembourg : la librairie orientale Samuelian, tenue par deux vieux Arméniens, le frère et la soeur. Nous avons un point commun : ils ne possèdent pas d'ordinateur, comme moi, et conservent des fiches jaunies tenues par des élastiques. Umberto et moi nous demandons ce qu'il adviendra de nous quand ce magnifique lieu de savoir disparaîtra.
Il rassembla des oeuvres sur papier très variées mais qui constituaient un ensemble d'une cohérence exceptionnelle. Une puissante esquisse de Rubens, un Liotard de la période turque, des dessins d'Ingres, deux esquisses de Degas, quelques gravures, aussi, de Hollar à Hockney en passant par Meryon. Tout avait été choisi par un même oeil, infaillible, et composait une symphonie parfaite.
Je regarde souvent, sans jamais m'en lasser, le petit catalogue d'Eliot Hodgkin. C'est pour moi un modèle. Tant de collections sont juste des accumulations constituées par le hasard ou la richesse.
En pensant à ce restaurant de poissons et au collectionneur que je suis, je me dis que, finalement, je suis comme ces pêcheurs qui rejettent leur prise à l'eau après avoir attendu des heures avant de l'attraper.