Les séances de voyance s' apparentent beaucoup à des passes. Comme Lena, je fais commerce de l'intime. Je m'oublie pour percevoir le passé et l'avenir de l'autre. Il m'arrive même de travestir ma parole dans le sens qui convient au consultant. Nos occupations poursuivent un but commun : faire du bien aux gens. En somme, le voyant et la prostituée sont tous les deux des travailleurs sociaux.
Il est 10 heures et je sors de ma loge.
Alors qui suis-je? Un chanteur? Un acteur? Vous brûlez.
Mon métier consiste, entre autres, à jouer la comédie avec sincérité.
Mais mon théâtre est plus vaste et les personnages de cette pièce sont plus nombreux. Il me revient de veiller sur eux.
Le don de voyance peut vous tomber dessus du jour au lendemain ou tout simplement être inscrit dans vos gènes. Certains prétendent même qu'un voyant peut en faire don à la personne de son choix, selon un rituel très compliqué que je ne connaît pas et auquel je n'ai aucune intention de recourir. Offrir un cadeau pareil à un individu revient à le condamner à une existence pleine de tourments...
Mon père a très vite saisi que la providence m'avait désigne comme son successeur. Sans doute à cause de la vision que j'ai eue à cinq ou six ans, devant la cage de nos perruches. Je les regardais chanter sur leur perchoir quand une image s' est imposée dans mon esprit : elle montrait les deux oiseaux inertes, le bec ouvert. Un présage qui s' est confirmé dès le lendemain. La grande faucheuse m'avait ravi mes deux camarades. (...) Outre les consultations qu'il donnait à titre gracieux dans notre modeste cuisine, il travaillait à la préfecture. Comme moi aujourd'hui, il avait une double vie, secrétaire le jour et voyant les soirs et les week-ends. Seulement, mon père n'a jamais réussi à bien compartimenter les deux. Les visions ne surviennent pas sur commande. Elles peuvent se manifester à des moments incongrus et porter sur des proches comme sur des parfaits inconnus. Je me rappelle la fois où nous étions sortis ensemble faire quelques courses. Je devais avoir un peu plus de dix ans. Dans la rue qui longeait le cimetière, on avait croisé Mme Bono. Elle revenait justement de la tombe de son mari. Ses mains étaient couvertes de terre et ses joues trempées de larmes. En la voyant, mon père s' était arrêté net pour l'interpeller ainsi :
- Bonjour, madame Bono. Mais... vous pleurez? Je ne vois vraiment pas pourquoi. Votre mari est tellement mieux là où il est.
Et la pauvre dame avait détalé en sanglotant de plus belle.
Mon père n'a jamais su se retenir. Dès qu'une image lui passait par là tête, il avait besoin de mettre des mots dessus. À croire qu'elle lui brûlait le cerveau.
Je commence à monter les marches résigné, poussant et tirant en alternance du mieux que je peux, la promesse de cuisses et de fessiers toujours plus fermes.
Je m'endors à côté d'une femme givrée, je me réveille à côté d'une actrice. Ai-je vraiment gagné au change ?
Mais comme je le dis toujours, il y a deux moyens d'accéder aux âmes par la ruse : l'hypnose et l'alcool.
C'est ce qui m'impressionne le plus avec Pascaline. Les rouages de son cerveau sont parfaitement huilés quand il s'agit de médire ou de fantasmer le mal chez les autres. Une vraie usine à scénarios, dans le fond.
Je n'ai jamais trop compris ces femmes qui, à l'heure où il est pourtant établi que l'homme est tout juste utilisable pour son sperme, continuent d'avoir honte d'avouer qu'elles sont célibataires.
- Non seulement il est beau, mais en plus il est sympa et pro.
- Je suis sûr que son maître adorerait que vous disiez exactement la même chose de lui.