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Critiques de Pierre Michon (321)
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Vies Minuscules

Minuscules et précieuses comme des pierres brutes que l’écrin des mots et des phrases cisèle en pierres précieuses. Vies ordinaires de gens ordinaires, magnifiées par la magie de l’écriture. Histoires d’amour, de trahison, d’amitiés et de haine, de celles qui laissent des traces et forgent les destins.

C’est un sublime hommage à ses ancêtres, ces gens de peu, qui ont tracé les sillons de ce que sera son existence.

La langue est originale, unique, proustienne par la longueur et la complexité de ses phrases, mais fleurant bon le terroir par les particularités du lexique. C’est une réconciliation avec la littérature, dans ce qu’elle a de plus artistique. De celle écrite avec les tripes. De celle qui se mérite, loin des fadaises des autofictions pourtant couronnées de lauriers médiatiques.



« Il ne pensait pas vraisemblablement que ce monde fut mauvais, mais au contraire insolemment riche et prodigue, et on ne pouvait répondre à sa richesse quand lui opposant, ou lui ajoutant, une magnificence verbale épuisante et totale, dans un défi toujours recommencer et dont l’orgueil est le seul moteur ».



Tout est là : la magie du verbe, le pouvoir qu’il confère, la couleur qu’il donne à la nature, ici personnage à part entière , aux sentiments, aux histoires même banales.

Très belle expérience de lecture, exigence, mais l’effort est à hauteur de la récompense.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Les deux Beune

La grande écriture de Pierre Michon sublime un texte qui aurait pu se trouver limité à une parade érotique entre un jeune homme et une femme plus mûre, s'il eût été écrit par certains écrivaillons d'aujourd'hui peu capables d'exprimer la quintessence des émotions du désir.



Le jeune instituteur nommé à l'automne de l'année 1961 dans le bourg de Castelnau, en Dordogne, est très vite en proie à un fantasme, né de la vision quotidienne d'une buraliste trentenaire, à la peau blanche, qui va traumatiser ses sens jusqu'à l'accomplissement toujours différé, mais enfin assouvi, de son désir contenu.



Plusieurs centres d'intérêts émanent de cette courte lecture : la saison automnale puis hivernale décrite avec un style magistral par Pierre Michon, l'atmosphère paléolithique avec la caverne aux gravures disparues, la pêche à la truite, la carpe, le brochet, la friture, et, surtout, la toute puissance du désir, la tentation suggérée par la femme, dans cette ambiance saturée de testotérone, le tout avec une certaine lenteur qui emporte paisiblement le lecteur.



La réunion des deux rivières, Grande Beune et Petite Beune, sous le titre Les deux Beunes, présente la première publiée en 1996, la seconde en 2023 que l'auteur parvient à intégrer comme la suite aboutie de la première. Tout est beau dans ce livre, la nature, les femmes -- elle sont trois --, les hommes, pêcheurs, routiers, les écoliers, l'ensemble dans un véritable roman d'atmosphère, de perceptions, d'émotions, de véritable littérature.







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Vie de Joseph Roulin

Peut-être n'avez-vous jamais entendu parler de Joseph Roulin ? Rassurez-vous, ce n'est pas une grande célébrité oubliée ou une grosse lacune dans votre culture générale. C'était, à la vérité, un employé des postes à la fin du XIXème siècle. Si son nom fait encore couler moindrement de l'encre de nos jours et est passé à la postérité, c'est surtout parce qu'il servit de modèle à Vincent van Gogh lors de son bref séjour en Arles.



C'est vrai qu'il a une gueule qu'on n'oublie pas Joseph Roulin. Si d'aventure vous ne voyez pas non plus à quels tableaux l'on fait référence, je vous glisse ce lien où tous les portraits sont évoqués à l'un ou l'autre moment dans ce livre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Portraits_de_la_famille_Roulin



Nous y voilà : Pierre Michon s'est donc mis en tête d'écrire une biographie plus ou moins fictive sur ce brave bonhomme, ce Joseph Roulin, employé des postes, qui ne crachait pas sur l'absinthe et qui, ce faisant, devint un peu copain de beuverie avec cet étrange étranger aux cheveux rouquins venu de sa lointaine Mer du Nord pour peintre les soleils du sud.



Roulin fut parfois pris de pitié pour ce peintre mendiant et lui donna des confitures ou lui paya une tournée en refaisant le monde. C'est probablement lui qui se chargea de l'expédition des toiles de van Gogh à son frère Théo durant la période arlésienne. Il lui fit découvrir certains lieux, certaines personnes ainsi que les gens de sa famille.



Le peintre eut envie de les récompenser à sa façon, en les portraiturant, et, il va sans dire que la plastique tout à fait surprenante du vieux postier a très probablement tapé dans l'oeil de l'artiste tant il l'a couché de fois sur la toile. (Hormis lui-même, c'est probablement la personne qu'il aura peint le plus grand nombre de fois.)



Pierre Michon prend donc le parti, à partir des maigres éléments biographiques dont on dispose, de retracer ce qu'aurait pu être la vie de ce modeste facteur des Bouches-du-Rhône, principalement dans le dernier quart du XIXème siècle.



C'est un exercice toujours très délicat et l'auteur y met tout son talent de plume. Il a parfois des formules très plaisantes et n'hésite pas à faire revivre les très longues phrases à la Proust. Indubitablement il y a du style chez Pierre Michon et c'est suffisamment rare de nos jours dans la littérature française pour être signalé et célébré comme il se doit.



En revanche, de là à dire que j'y ai puisé tout ce que j'attends de la littérature, là, les deux plateaux de la balance ne s'équilibrent peut-être pas. Je n'y ai pas trouvé beaucoup de profondeur ; j'ai le sentiment que l'auteur s'est fait plaisir, — c'est déjà ça, me direz-vous — mais si je m'interroge sincèrement, je ne suis pas certaine qu'il m'ait fait plaisir à moi.



Dans ce style, la biographie d'artistes de la fin du XIXème siècle, j'avais mieux goûté l'oeuvre de Mario Vargas Llosa, le Paradis, Un Peu Plus Loin qui nous emmenait sur les traces de Paul Gauguin. Donc, puisqu'il me faut conclure, un livre de belle facture mais pas forcément d'un très grand intérêt pour moi, lectrice lambda, si ce n'est de me pousser à me documenter moindrement sur Vincent van Gogh.



Ceci dit, ce n'est bien évidemment que l'expression mitigée d'un avis minuscule et hautement discutable, brossé à grands coups nerveux sur la toile de Babelio, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les deux Beune

Des vies minuscules sous le prisme magnifique des lunettes métaphoriques et puissamment érotiques de Pierre Michon, des lunettes au charme désuet, certes, aux reflets cependant un tantinet réactionnaires, archaïquement virils, à la monture donc quelque peu lourde portée trop longtemps…La fin suffisamment ébranlante heureusement pour les faire valser, ces lunettes…



J'aime ces plumes surannées, qui parlent avec une certaine poésie des territoires reculées de la France, de la ruralité. L'auteur qui excelle en la matière est pour moi Pierre Bergounioux que j'ai découvert avec Miette et Catherine. C'est une plume exigeante, ciselée, travaillée. Une plume qui demande de la concentration, un face à face entre le texte et son lecteur quasi amoureux, patient et attentif. Un peu d'inattention et seule une lueur de soupirail luira dans les cerveaux embrumés. Un talent d'orfèvre pour façonner et sertir la bassesse humaine, la dépression, les états de décrépitude, l'hypocrisie, la solitude, le dégout de soi. le phrasé est tout en circonvolutions, en détours, en détails et précisions toutes proustiennes pour tenter de capter le temps, essayer de l'approcher, de saisir sa relativité, fugacité et éternité, ainsi que ses cycles.



Pierre Michon se situe dans la même veine quant à l'écriture ciselée. Les deux Beune est un court livre composé de deux textes écrits à plus de vingt-cinq d'intervalle, et dont la première partie a déjà été publiée en 1996. La couture entre les deux parties, La Grande Beune et sa petite soeur dernière née, La Petite Beune est très discrète, quasiment invisible.

La Beune est une rivière qui coule au coeur d'un village du Périgord, territoire des grottes préhistoriques, dont la célèbre grotte de Lascaux. Dans ce village, le narrateur est un tout jeune instituteur de vingt ans, il vient d'être nommé dans l'école du village et vient d'arriver. Il fait petit à petit la connaissance d'une poignées d'âmes, petites gens tour à tour sublimes et ridicules : il y a Hélène, femme âgée qui tient l'auberge dans laquelle notre instituteur loge et où les hommes se retrouvent pour parler chasse, pêche, pour boire du calvados et manger de la charcuterie ; il y a Mado, la petite copine qui vient avec sa Dauphine certains jours lui rendre visite, cette voiture emblématique leur servant de lieu exiguë pour leurs tristes et rapides ébats ; il y a Jeanjean, exploitant du coin dont la grange abrite l'entrée d'une caverne peut-être préhistorique ; il y a Jean le pêcheur, fils d'Hélène, dont la passion est de traquer sans cesse les poissons dans la Beune ; et surtout la charismatique Yvonne, la buraliste, femme plantureuse et callipyge qui obsède le narrateur, fantasmant de pouvoir la posséder, au point de ne penser qu'à elle, d'aller chaque jour au bureau de tabac et de l'attendre sur les chemins sylvestres. le narrateur est tellement mû par son désir, par ses fantasmes que son regard n'est que sensualité et sculpte un paysage entièrement saturé de signes érotiques, comme un long poème d'amour. Ces descriptions sont sublimes, de véritables moments de grâce, d'une sensualité à couper le souffle qui laissent entrevoir la part animale frémissant sous la part civilisée. Souvent le narrateur « enfile le pont » pour se retrouver sur « l'autre lèvre » de la berge.



« Je revois ce brouillard. Je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l'auberge, l'église. le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m'aguichait de toutes les façons ; le monde est une femme. J'entrai en lui et fus un autre : peut-être est-ce là la cause de tout ce qui suivit ; car les causes, c'est du brouillard'.





Pierre Bergounioux, évoqué précédemment, dresse de beaux portraits de femmes, que ce soit Catherine, femme indépendante et libre auprès de laquelle il a oublié d'être digne, et dont l'abandon laisse le narrateur totalement anéanti, vautré comme une bête, ou que ce soit Miette, qui a réussi à s'élever au-dessus de sa condition précaire de femme à une époque où cela allait de soi, par son silence et son impassibilité qu'elle a préféré aux plaintes et aux larmes. Par sa force aussi lors des quatre années de guerre, tenant son monde à bout de bras. Mais qui restera simple miette de conscience perdue sur les hauteurs de la campagne limousine. Pierre Bergounioux situe son récit dans les années 50/60 pour Catherine et avant même pour Miette.

Pourtant Pierre Michon, lui, fait de la femme l'objet exclusif du désir masculin tout en situant son action à la même période. Certes il situe justement son récit à une époque, celle des années 60, où ce regard sur la femme pourrait se justifier, c'est ce que je me suis dit en début de lecture où la beauté des phrases a compensé cet état de fait. Certes son objectif est précisément de parler du désir, du fantasme viril. C'est vrai. Pourtant, au fur et à mesure de la lecture, les métaphores de possession, de prise, d'emprise, de ventre, de pénétration, qui ont pu me plaire au début du livre, ont fini par me gêner au fur et à mesure de ma lecture. du moins à me lasser. Comme un plat du terroir roboratif plaisant de prime abord, devenant presque indigeste à la fin. Bon, la toute fin m'a renversée, je dois bien l'avouer.



« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, la fente considérable ».



Le pire c'est le pauvre personnage de Mado, cette petite copine qu'il utilise comme exutoire pour ses besoins de mâle, femme maigre et sèche (selon lui), amoureuse de Baudelaire, qui déclame des alexandrins à Hélène, de façon quelque peu ridicule selon lui et fait mal l'amour avec ses petits cris de souris. Très gênée par la représentation de la femme que nous offre Pierre Michon, celle-ci doit être élégante, à talon haut, avec jarretelles, pour susciter le désir. Quant à l'objet du désir, Yvonne, c'est à une véritable réification à laquelle nous assistons. Elle n'est rien d'autre qu'un corps, que des bas de soie, une peau de lait…Même dans le deuxième texte, contemporain, cette femme ne sera qu'une femme passive et apeurée vers laquelle Jeanjean, son amant des bois, qui semble même la fouetter si j'ai bien compris, n'accorde quasiment aucun regard.



L'écriture, heureusement est là et compense, en partie seulement à mes yeux, ces éléments gênants. Les passages sublimes alternent avec d'autres tellement travaillés qu'ils ont tendance à noyer leur propos. Pourtant j'aime les écritures alambiquées, j'aime les aventures de l'écriture davantage que les écritures d'une aventure. Or, j'ai alterné dans cette lecture entre des moments de réelle admiration (et ils sont nombreux heureusement) et quelques moments d'ennui à chercher ce que voulait dire l'auteur.





Au final, ce livre est un beau livre dans lequel l'utilisation incessante des métaphores magnifie les paysages et les lieux d'une façon étonnante, totalement singulière, même si cette utilisation est parfois excessive, dégageant une ambiance rurale telle que nous pouvons en sentir les odeurs, notamment les odeurs putrescines, rien qu'en le lisant. Cette utilisation massive des métaphores traduit également les obsessions, l'obsession sexuelle du narrateur, mais aussi l'obsession littéraire de Pierre Michon pour son histoire ce qui revient au même, nous le sentons confusément. Obsession sur la rivalité entre civilisation et animalité, travaillée, retravaillée, au point d'avoir greffé un second texte au premier, laissant une cicatrice certes discrète mais emblématique. Je ressors un peu mitigée de cette lecture avec cependant en tête des images périgourdines magnifiques, et des sens totalement émoustillés par l'érotisme qui se dégage de ce texte, à l'image d'ailleurs de la photo présentée en jaquette, terriblement sensuelle…La toute fin est torridement inoubliable…Oui, Pierre Michon m'a clairement bousculée.



« L'accouplement est un cérémonial. S'il ne l'est pas c'est un travail de chien ».



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Vies Minuscules

Comme il arrive avec les écrivains exceptionnels, je n'ai retenu de Pierre Michon que son écriture. La qualité extraordinaire de celle-ci a agi comme une lumière aveuglante.. Il me faudra lire et relire pour entendre, derrière les mots, ce qu'ils désignent. Heureuse, avec Michon je redécouvre l'éblouissement de la lecture.
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Vies Minuscules

D’une lecture exigeante mais ô combien envoûtante, « Vies minuscules » possède un style ciselé et infiniment poétique.

On se laisse entraîner sur les pas de ces gens ordinaires, ces « vies minuscules » que le talent de Pierre Michon sait rendre vivants et si proches qu’on pourrait les compter parmi nos amis.

On croise, au fil des pages, huit destins, des « gens de peu », oubliés des vivants mais dorénavant immortalisés par l’auteur. Tous les sentiments s’y côtoient, à commencer par l’amour mais aussi la haine, la trahison, la rivalité et la folie. Tous les âges de la vie s’y retrouvent, enfance, adolescence, vie adulte, et vieillesse. C’est un concentré d’humanité, une galerie de portraits émouvants et sincères qui évoluent dans un temps fugitif.



J’ai lu ce roman avec lenteur, pour en apprécier chaque tournure de phrase, chaque particularité de vocabulaire. Le genre de la nouvelle se prête à merveille à la lecture fractionnée.

Ce roman déjà ancien, (Il a reçu le prix France Culture en 1984) est un récit intemporel devenu un grand classique.







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La Grande Beune

J'avais lu dans les années 90 Vies minuscules de Pierre Michon et j'en avais gardé un souvenir un peu mitigé. Cette année, la fête du livre de Bron, dans la région lyonnaise, m'a donné l'occasion de lire ce très court roman : La Grande Beune du même auteur. Et je suis bien embarrassée pour porter sur ce live un jugement équitable, d'où l'absence de notation.

Je n'ai pas été dérangée par l'absence d'intrigue à proprement parler. Le narrateur est l'instituteur d'un petit village de Dordogne, Castelnau près de Lascaux. La Grande Beune, rivière toute proche, la pluie qui tombe une bonne partie de l'année font que les paysages se perdent dans une liquidité qui les noie. De très belles évocations d'ailleurs de cette omniprésence d'une nature personnifiée mais peu hospitalière courent dans tout le roman. C'est un des points forts de l'écriture de l'auteur.

Mais qu'en est-il du héros de cette histoire, ou plutôt devais-je dire de ce conte érotico poétique , car si certaines scènes sont très ancrées dans le quotidien de ce petit village des années 60, celles qui constituent le "noyau dur" du récit relèvent vraiment du conte onirique.

Que penser en effet de cette rencontre, un dimanche après-midi, entre le narrateur et la buraliste, une femme qui suscite en lui de violents fantasmes sexuels mais qui ne lui accorde aucun regard car elle se consume d'amour pour un homme du village. Un amant qu'elle a rencontré de toute évidence ce dimanche après-midi. Sa rencontre avec le narrateur constitue l'acmé du roman et c'est un des passages les plus réussis sur le plan de l'écriture. Par un entrelacs subtil entre une scène de chasse primitive soigneusement décrite et une scène érotique mêlée de violences sexuelles mais évoquée de façon allusive, l'auteur suggère très habilement combien cette cruelle découverte est ambivalente pour le narrateur. Voir dans cette femme "une pauvre femme" et en même temps une victime consentante qui le défie du regard est le dilemme auquel il est confronté.

Et c'est là pour moi où le bât blesse car dans tout le roman et à travers le portrait de la buraliste émerge une vision de la femme qui me dérange, tour à tour vue comme "vénus callipyge", déesse inaccessible mais aussi comme "louve" ou "garce". Il n'y a pas de place pour une femme qui ne soit pas fragmentée, dissociée et autre chose que mère ou proie d'un désir masculin brutal qui fait de celui qui l'éprouve un chasseur impitoyable.

Ceci dit, les qualités de l'écriture de ce court roman sont indéniables : la richesse et la diversité du lexique, la scansion de la phrase, l'art de suggérer sans dire, le sens de la formule, tout cela est très présent et on pourrait presque le lire deux fois rien que pour mieux en savourer le style.
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Vies Minuscules

Il m'est difficile de parler de Vie minuscules sans le mettre en parallèle avec l'oeuvre de deux autres auteurs limousins.

Il s'agit de "Miette", par Pierre Bergounioux, corrèzien lui aussi, comme Bergounioux, et de "Ma vie parmi les ombres" de richard Millet.

Apparemment les trois écrivains se connaissent, mais n'appartiennent pas à une "école" ou à un mouvement littéraire plus ou moins provincial, comme l'école dite "de Brive". En tout cas, leur écriture n'a rien de "provincialiste" au sens péjoratif où ce courant est parfois considéré -à tort - en France. En tout cas, si l'on entend par provincialiste une littérature exhaltant le terroir, une France profonde dans laquelle il faudrait chercher des modèles de comportements vertueux, on est loin de ce tableau idyllique dans les trois livres en question. Non que les personnages d'origine paysanne aient des comportements amoraux ou soient corrompus, bien au contraire parfois. Mais il semblerait que le terroir, enferme plus qu'il ne libère, empêche les êtres de se réaliser, de s'épanouir. Il y a bien chez certains, une noblesse de comportement à l'intérieur de leur communauté, mais il y a aussi une résignation à être enchaîné par le lieu où ils sont nés et ont vécu.

Bergounioux est né à Brive. Comme Millet, il est rapidement monté à Paris. Il est prof de lettres modernes en banlieue et sculpteur... Sa pratique professionnelle et ses prises de position le situent à gauche.

Millet gagne sa vie de ses romans et de son travail chez Gallimard. C'est lui qui a conseillé à l'éditeur de publier les Bienveillantes, après avoir lu les 300 premières pages seulement et alors que le futur Goncourt avait été refusé par plusieurs maisons d'édition. Quelqu'un qui a un tel flair de lecteur ne peut pas être totalement nul...... Il est plutôt conservateur, passéiste, voire carrément réac diront certains. Il énerve en effet beaucoup de gens par sa posture de dandy, de dernier Mohican de la belle langue française.

Michon est originaire de la Creuse. Il fut Mao en 68. Il a fait des études à Clermont, a appartenu à une communauté qui rêvait de changer le monde en inventant un théâtre révolutionnaire, avant de sombrer dans l'alcoolisme, puis de se quasi clochardiser, selon ses propres dires. L'une de mes amies l'a connu lorsqu'elle était étudiante à Clermont......... Elle s'en souvient comme d'un garçon torturé, complexé, conscient du manque d'attraction qu'il exerçait sur les femmes......

En tout cas, les trois compères nous parlent d'une d'une époque pas si lointaine et pourtant à jamais révolue, d'un monde paysan ayant subi une rupture qualitative dans ses modes de vie , comme s'il s'agissait d'une "civilisation" disparue en moins de trente ans, englouti par les vagues modernistes des trente glorieuses.. Bergounioux fait remonter ce début de la fin à plus tôt, et le dit admirablement à propos des bouleversements sociaux et économiques qui allaient causer la première guerre mondiale: "C'est 1910. Le temps monte des plaines. Il s'insinue dans les vallons, gravit les pentes comme un ruisseau remontant à la source, l'éveillant. Il infiltre l'arène pâle, esquisse les lointains. La guerre précipite son cours...."

Ce qui m'interpelle à la lecture des ces trois écrivains, c'est :

- La proximité du style. La phrase se fait (se veut diront ceux qui n'apprécient pas..) Proustienne. Par ces détours et circonvolutions, cette syntaxe tente de rendre, je crois, l'immobilité ou plutôt le caractère cyclique du temps dans lequel évoluent les personnages, avant que leur société rurale ne soit emportée par le maelstrom linéaire de l'Histoire.

- Le fait que les trois auteurs s'intéressent à la vie des petites gens des hauteurs de la Marche et du plateau de Millevaches, scandée par des événements, gestes et attitudes immémoriaux, se dupliquant à l'identique, depuis toujours. Chez bergounioux, pourtant non soupçonnable de sympathie pour des thèses neo-racistes, ls types humains et les faciès semblent être façonnés par le paysage et le climat, dans le granit qui brise le soc des charrues et condamne les êtres à un sort de serf sur leur propre sol.

- Le fait que les trois écrivains tentent, à leur manière, de rendre compte de la difficulté qu'ont les êtres nés dans ces "hauts" inhospitaliers, mêmes ceux qui ont fait des études, à s'arracher à la tourbe, au milieu confiné de leur naissance, qui condamne les hommes (et surtout les femmes...) à inscrire leur vie dans le rayon limité du hameau qui les a vus naître, ou à y retourner inexorablement, après leurs aventures, leurs études ou à la fin de leur vie, comme la plupart des personnages principaux, qui ne peuvent s'arracher à leur terre, ne serait-ce que par la pensée. On peut avoir l'impression, en lisant ces oeuvres parallèles, que ces contrées austères, influencent le style de ceux qui les décrivent. Pas d'envolées lyriques à la Pourrat sur les monts du Forez ou la chaîne des Puy ici. Ces sommets lumineux et majestueux , que les protagonistes aperçoivent parfois au loin, sont porteurs, eux, d'un espoir d'échapper au cercle étroit dans lequel s'inscrit leur petite vie. Les plateaux limousins ou creusois, plantés d'alignements sombres et réguliers de résineux destinés à la coupe, semblent induire une vision pessimiste du monde chez les êtres peuplant leurs écrits. (il faudrait dire les ombres, à l'instar de Millet) C'est un peu comme si le même regret nostalgique de huis-clos culturel, de cloaque familial et social étouffant, qui a pourtant opprimé les enfants et adolescents, les jeunes hommes et femmes qu'ils furent, hantait leurs souvenirs, suintait dans les détours méandreux de l'écriture..

Certains personnages arrivent bien à fuir définitvement, mais cette extraction est toujours douloureuse, jamais vraiment bénéfique, ni pour eux, ni pour leur entourage. C'est le caspour la mère du narrateur de Millet, qui fait le malheur de son fils en allant vivre à la ville, en quittant le père et en abandonnant son petit à ses tantes, le lais sant pour toujours ressasser, sa rancoeur d'enfant mal aimé. C'est aussi le cas d' Adrien dans "Miette", qui va travailler à la RATP à Paris pendant quarante ans, mais qui revient finir ses jours au village, abandonné de sa femme, sans enfants. C'est enfin le sort du personnage de la première des nouvelles du recueil de Michon (André Dufourneau), qui part en Afrique, pour devenir quelqu'un, ne plus être un paysan, une ombre parmi d'autres ombres, ou faire fortune (comme Rimbaud, le modèle inaccessible de Michon. Pour l'auteur de Vies minuscules, l'exil n'et pas géographique. Il réside dans l'écriture. De Dufourneau, qui est une sorte de Rimbaud presque illettré, on dit au village qu'il a pu être tué par les noirs dont il exploitait la sueur pour devenir un monsieur. On dirait que les autochtones, en en faisant un bouc émissaire sacrifié symboliquement par la rumeur, est coupable d'avoir déserté le village, d'avoir trahi la communauté en s'éloignant. Il en va de même parfois, pour les écrivains, qui osent partir pour mieux parler ensuite de leur terre natale, pour la peindre sans concession. Comme Rimbaud de sa ville et de son square et de ses bourgeois. On pense aussi à Pierre Jourde qui fut agressé, physiquement lui, et pas seulement symboliquement, caillassé par les gens du village du Puy de Dôme dont il est question dans son livre pays perdu, pour avoir eu la plume trop cruelle à l'égard des habitants du plateau du Cézalier..

- On retrouve la même vision tragique de la destinée chez ces trois romanciers, la même que chez un Duneton, lui aussi corrézien (tiens tiens, un autre !!). Dans ses romans (Le monument par exemple, sur la grande guerre..) et dans des écrits plus biographiques ou pédagogiques, il parle aussi très bien de sa condition d'enfant de paysan qui ne peut, malgré ses succès scolaires, se sentir en harmonie avec les citadins et les bourgeois, tous ceux qui parlaient le français à la maison, qu'il coitoiera ensuite dans sa vie d'adulte, de prof, d'écrivain...

Je me dis d'ailleurs qu'il serait peut-être intéressant d'aller voir du côté de Giraudoux (autre limousin...) pour vérifier si ces thèmes apparaissent chez lui.

Je ne me souviens pas avoir rencontré de telles problématiques chez l'auteur de Siegfried et le limousin, mais il y a si longtemps, et à l'époque, j'étais bête et peu préoccupé de la disparition des modes de vie ruraux.............et de la nostalgie qui pouvait étreindre les "croûlants" à l'idée que leur monde disparaissait........

Enfin et surtout, ces trois auteurs m'émeuvent car j'ai des aïeux creusois, j'ai vécu ces atmosphères d'après-guerre dans la campagne du centre de la France, je connais ces paysages pour les avoir parcouru avec ma famille en allant rendre visite à des parents proches ou éloignés. Quand on a passé ses vacances de toussaint dans la Creuse, dans un hameau perdu du côté d'auzances, dans une ferme glaciale habitée par un oncle veuf et sa soeur aveugle, bigote et radoteuse, on s'identifie facilement aux narrateurs des trois romans qui décrivent ce monde déclinant, en train de disparaître.




Lien : http://jcfvc.over-blog.com
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Vies Minuscules

Vies minuscules,



Vies paysannes,



Vie de labeurs, de douleurs,



Enfances solitaires loin de chez soi.



Vies adultes, vies de vicissitudes.



L’auteur nous livre ici le portrait intimiste de huit destins sous forme de nouvelles dans un français peu utilisé avec des mots anciens qui rendent ardue la lecture des différents récits.



Des tranches de vie marquées par l’âpreté des mœurs et des modes de vie d’un autre temps.



Se conjugent passé, présent, futur, enfance, adolescence, vie adulte, vieillesse, amour, mort, abandon, folie, alcoolisme, rivalité, mélancolie, délires futiles.



Même si la narration est poétique et fait appel à la mémoire des anciens, l’auteur use et abuse de longues phrases, de métaphores qui alourdissent le ton.



Les récits de vie sont fortement emprunts de superstition, d’esprit et de rituels religieux.



Les reliques sont vénérées pour faire face aux coups du destin.



Je pense que ce livre nécessite une lecture fractionnée, lente, méditée pour apprécier l’écriture singulière de cet écrivain qui de près ou de loin a cotoyé ces vies.



Pierre Michon a une conscience aigüe de la fragilité des choses et de leur caractère éphémère.



L’auteur a du talent c’est indéniable, même si cette lecture m’a fortement troublée à la fois par sa difficulté, sa beauté, sa lucidité, son grain de folie.

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Vies Minuscules

Une rencontre magnifique avec les Belles Lettres.

Pierre Michon fait partie de ces auteurs qui ne font pas de bruit mais qui ont un immense talent contrairement à beaucoup de ses confrères et consœurs qui ont réussi à passer les mailles du filet des maisons d’éditions on se demande comment, pour nous assommer de leur médiocre prose.

Il remporte plusieurs prix, Prix France Culture en 1984, il a 39 ans, Prix de la Ville de Paris pour l’ensemble de l’œuvre, 1996, Prix Décembre 2002 pour « Abbés et Corps du roi », Grand prix de littérature de la SGDL pour l’ensemble de l’œuvre, 2004, Petrarca-Preis (en) pour l’ensemble de l’œuvre, 2010, Grand prix Ardua (universités d’Aquitaine) pour l’ensemble de l’œuvre, 2013, Prix Marguerite-Yourcenar pour l’ensemble de l’œuvre, 2015, Premio Internazionale Nonino 2017 pour « Vite minuscole », traduction en italien de « Vies minuscules » parue en 2016, Prix Franz-Kafka, 2019, Prix de la BnF, 2022.

Il est un auteur qui est à la littérature française, ce que Bach est à la musique classique, un remarquable assembleur de mots dont la musique raisonne longtemps en nous. Il est ce que l’on pourrait appeler un compagnon du devoir de la langue française tant il la manie avec précision, art et érudition.

Son roman « Vies minuscules » est la parfaite illustration de ce savoir, de cette maîtrise. Œuvre biographique, l’auteur choisit de raconter l’existence de personnages périphériques et la part qu’ils ont occupée dans sa vie plutôt que de se raconter lui-même. C’est un hommage qu’il leur rend avec cette poésie qui lui est chère.

Son style fait parfois penser à Faulkner, de longs paragraphes, des parenthèses, à la différence qu’il n’a pas la lourdeur alcoolisée de son homologue américain. Son texte coule, limpide comme une eau de source.

Aussi petites soient ces vies, Pierre Michon sait les magnifier, les rendre importantes.

« Vies minuscules » est un moment rare, une rencontre avec la grande Littérature, avec un auteur majeur.

Editions Gallimard, Folio, 249 pages.

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Vies Minuscules

Pour nous faire le récit de ces huit "vies minuscules" (et "minuscules", en effet, elles le sont ces vies à jamais anonymes, sans traces ni écho), Pierre Michon nous régale d'une écriture magnifique qui mêle avec bonheur le classicisme le plus strict à une poésie pleine de fraîcheur et de finesse.



Je me suis laissée envoûter par la virtuosité de cette langue, par ces phrases à la longueur impeccablement ciselée, par ce style unique et cette exigence rare dans la littérature contemporaine. Mais je sais déjà que de ces huit portraits je ne vais probablement rien retenir, non pas à cause d'un accès d'amnésie aussi soudain qu'incompréhensible mais en raison de l'effet quasi hypnotique produit sur moi par la langue employée.



Et peut-être est-ce là que se situe à mes yeux la limite de ce livre dont le discours se construit finalement au détriment de son contenu...

"Vies minuscules" restera cependant pour moi un bon moment de lecture, et un livre qui devrait séduire les amoureux de la belle langue et de la Littérature avec un L majuscule.
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La Grande Beune

Il y a des textes dont la beauté enivrante exonère de toute intrigue construite sur une suite millimétrée d’évènements, des textes dont le style absorbe de manière voluptueuse l’histoire. La Grande Beune de P. Michon en fait assurément partie.



La Grande Beune n’est pas un roman, c’est une fable. Une fable qui déploie tous les rêves charnels d’un jeune instituteur muté pour son premier poste à Castelnau, village isolé, figé dans le temps, coincé entre les grottes de Lascaux et la Grande Beune qui crache des pêches miraculeuses. Dans cette campagne vivotant au rythme de ses habitants, le jeune instituteur se consume de désir pour Yvonne, la buraliste.

C’est ce désir que P. Michon déploie tout au long de l’œuvre ; un désir fou, brutal, animal qui obsède le narrateur. « Au milieu des galops de pluie » et de l’épais brouillard, l’auteur nous plonge dans un désir envahissant qui pare la rivière, la forêt et même les grottes préhistoriques d’une sensualité rare : c’est ainsi que, sur « les lèvres de la falaise », le narrateur s’égare dans ses rêveries en regardant « en bas la Grande Beune couler dans son trou ».

Tout est bestial, à l’image des peintures rupestres recouvrant les parois des grottes.



C’est une œuvre qui n’a rien de conventionnel.

Avec une écriture complexe mais mélodieuse, P. Michon fait de cette œuvre, certes une exaltation de la sensualité, mais qui n’obéit à aucun code du romanesque. On se laisse embarquer dans les divagations du narrateur en abandonnant tout repère. Les émotions primaires du narrateur bousculent la trame du récit et rendent même toute intrigue superflue.

Avec des phrases qui s’étirent toute en longueur jusqu’à épuiser le souffle, le rythme se décline en un style tout en représentation, visuel : une écriture faite d’entrelacs qui ne cessent de se croiser et s’enchevêtrer. Une écriture qui aurait pu faire écho aux peintures rupestres recouvrant les parois des grottes préhistoriques, mais la poésie de Michon est autrement plus lumineuse.

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Les onze

J'ai publié une chronique en 5 parties - feuilleton littéraire pour décrire mon admiration devant l'écriture de "Les Onze" de Pierre Michon.

En voici le premier épisode :



Pierre Michon est d’abord et avant tout un styliste et un conteur.

Un conteur ? Oui, celui-là même qui vous enchante avec ses mots, qui vous embarque avec ses phrases, qui vous emporte avec son rythme.



Dans "La grande Beune" déjà il nous entraînait à sa suite dans un lointain pays entre Brive et Périgueux, où une buraliste faisait tourner la tête d’un jeune instituteur – et nous avec. Dans Les Onze maintenant, il nous transporte dans le temps en une époque qui scella le destin de notre Démocratie, la Républicaine. Nous sommes en 1794.



François-Elie Corentin est un jeune homme élevé sur les bords de Loire – dans ce pays magnifiquement décrit par Michèle Desbordes dans La Demande - et il aime la peinture.



Mais Pierre Michon prend son temps. Il lance une grande Adresse à un Monsieur qui peut tout aussi bien tenir du Lecteur que de qui vous voulez. Peu importe : le style est là pour dire le reste. Et le livre est si dense qu’on pourrait le dissoudre dans onze romans sans en faire trop.



Un premier chapitre s’ouvre sur Tiepolo. Tiepolo, « un jeune homme tout de lumière aliéné que la vieillesse casse et avilit, un tendre visage aliéné par le temps au point qu’on puisse le confondre avec celui de Simon, un des êtres les plus vils de ces époques riches en monstres. » Et voilà que Michon rêve que dans la grande fresque que Tiepolo a peinte, Béatrice de Bourgogne va se lever et « de tout son poids de chair blonde de brocards bleu marcher vers lui et renversant la couronne, l’étreindre ». « J’ai ce désir, cette idée » et tout Michon est là dans ces quelques mots : dans le style, à l’état pur, et dans l’imagination qui lui fait convertir son désir ou son idée en récit.



Pierre Michon imagine l’origine du Tableau des Onze chez Tiepolo.

« Non, pas de Venise, pas de jeunes filles, pas de romance ; car tout cela, jeunesse, blondeur, vin de magie, manteau mozartien, Giambattista Tiepolo le père avec ses quatre continents sous le manteau, toutes ces formes mouvantes et vivantes n’ont d’autre sens que de s’être jetées pour finir dans un tableau qui les nie, les exalte, les cogne à coups de massue, pleure de ce saccage et immodérément en jouit, onze fois, à travers onze stations de chair, onze stations de drap, de soie, de feutre, onze formes d’hommes tout cela ne prend sens et n’est écrit en clair que dans la page de ténèbres, les Onze. »



Pourquoi pas ?

Mais effectivement, comme il le dit à la fin du premier chapitre, il va falloir « raconter à grands traits cette histoire si souvent racontée – puisque c’est bien du même homme que je parle ». Alors allons-y.



Le chapitre deux raconte l’enfance du petit François-Elie, né à Combleux près d’Orléans en 1730. Il la raconte par sa lignée : le grand père qui fit fortune, comme de nombreux bataillons de Limousins, « dans les grands travaux de fleuves et de canaux, sous Colbert et Louvois ». Et puis de son union avec une fillette de vieille noblesse et de petite fortune, d’où naquit vers 1710 Suzanne, la mère du peintre. Une enfant élevée par sa mère devenue veuve, mais une enfant élevée comme une « princesse sage, frileuse, rêveuse » mais qui sait voir « les digues, les levées avec leurs nœuds de fer, le tout bien cimenté de ciment limousin, sang et boue, l’œuvre magique du père. » Vient donc Suzanne, qui va par delà les levées dans quelque petit salon littéraire.



Et c’est là, dans ces salons mondains que Suzanne va rencontrer « le fils d’un Limousin qui avait miraculeusement bondi hors des dix mois de négritude sur douze » : Corentin, son futur époux est en effet l’un des premiers à vouloir devenir « Homme de Lettres »


Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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Vies Minuscules



C'est Jean-Baptiste Harang qui avait attiré mon attention sur ce livre, Vies Minuscules de Pierre Michon. Ce livre qui ne fut salué par aucun prix littéraire, est devenu mythique depuis, et il fait école, Joseph de Marie-Hélène Lafon ou le premier roman de Marien Defalvard semblent bien imprégnés du style ou d'une certaine alchimie propre à Pierre Michon, où des presque riens prennent corps au contact de la nature et de la pesanteur des souvenirs.



J'ai retrouvé les chroniques de Jean-Baptiste Harang dans son ouvrage l'Art est Difficile, que tout chroniqueur devrait lire pour le plaisir, trente rencontres d'écrivains majeurs et parmi eux, Pierre Michon.



Les vies sont-elles minuscules, quand le plus humble devient par la magie des mots un grand texte, quand une grâce passe entre les lignes, et fait miroiter une posture, un visage, qui vous imbibe de son âme, alors ce texte comme une relique, vous l'observez puis avec vos tripes vous le comprenez comme celui d'un visage connu, aimé, c'est la vie de la Petite Morte, le dernier chapitre consacré à sa sœur disparue avant ses deux ans, sa vie qui vous assaille et vous fait trembler. Pour un texte comme celui là je donnerai "de l'or et du miel".



Ces récits auront mijotés 37 ans, son parcours, son bateau ivre aura bourlingué sur des eaux troubles et des rencontres qui un jour vont le ramener aux Cards sans avoir retrouvé le père parti quand il avait 2 ans, cette errance comme une pause, un blanc avant le déclic qui va le déchirer et le ramener à l'écriture.



Les premiers chapitres se nourrissent de son enfance et de sa parentelle, de ses destins de peu, qui sous sa plume, vous hachent le cœur, de ces vies brisées, des espoirs qui se fracassent "ce lopin de terre qui le tenait debout, lui né dans ce combat mortel".



Cette longue fugue, est réveillée par les yeux du père Foucault, vieillard attaché à son mal, et refusant les soins de la médecine, ultime bras d'honneur, de celui qui veut avec opiniâtreté rester à observer le monde.

Pierre Michon admire ce rebelle, lui qui est encore imprégné de ces   "sueurs échangées" où "des grisettes prenaient des poses d'Ottomane", car " moi je n'écrivais guerre je n'osais davantage mourir ; je vivais dans la lettre imparfaite, la perfection de la mort me terrifiait".



Dans la « vie de George Bondy » et la « vie de Claudette », poudres et pages blanches, alcools multicolores, festins d'amphétamines, femmes aimantes et lascives, dérivent sur son bateau devenu fou. 

Pierre Michon se fige dans la posture de l'écrivain qui n'écrit pas " mais je rêvais que j'écrivais ". De cette époque chancelante Pierre Michon va garder le plaisir de boire, dit-il gentiment "je bois parce que mes contemporains m'ennuie, je préfère les livres quand j'ai bu ils valent les livres et je préférerai toujours un livre ennuyeux un contemporain brillant".



Livre brillantissime, porté par la grâce, par sa rage d'écrire, "changeant mon corps en mots comme l'ivresse".

Écriture charnelle frottée de terre, de pluies et de rencontres, l'enfant est là dans sa naïveté et ses égarements, écrire est vital et seuls les mots pourront le sauver.



Il faut lire ce livre incontournable récit qui vous donnera les clés pour ces quelques autres pépites qu'il nous a donné à lire.

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La Grande Beune

Quel ennui! A ce point, ça m'arrive rarement mais que 78 pages peuvent être longues!



Je n'ai absolument pas adhéré à cette histoire. Et encore moins au narrateur, instituteur de vingt ans en 1961, affecté pour son premier poste dans le petit village de Castelnau, dans le Sud-Ouest. Ses délires érotomanes et vains à propos de la belle buraliste - nommée Yvonne ou "le beau morceau" (ça ne fait pas du tout quartier de viande...) - deviennent très vite lourds et fastidieux. Certes ses vingt ans pourraient l'excuser. Mais ne pouvant avoir la mère, mortifier son enfant, élève de sa classe, est d'une mesquinerie inique absolue.



Le style n'a pas racheté le fond; j'y suis restée insensible. Je découvrais Pierre Michon avec ce (heureusement) très court roman. A mon goût, vraiment pas un bon souvenir de lecture. Ça arrive; on ne peut tout apprécier.
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Abbés



Trois courts textes, reposant sur d'anciennes chroniques vendéennes, probablement fictives, composent Abbés.

Nous sommes en l'an 976, à deux décennies de l'an 1000, en Vendée, sur les terres marécageuses et insalubres du marais poitevin. La France n'est pas solidement constituée, les territoires sont disputés, les luttes entre rivaux sanglantes.

Sous l'autorité de l'Abbaye de Cluny, quelques moines et abbés touchés par la grâce et le prosélytisme, décodent des signes qui les enjoignent à bâtir, à partir de ruines ou dans des lieux symboliques, des monastères bénédictins.

Le premier texte nous narre l'histoire d'Eble, l'un des abbés, qui, accompagné de moines, se lance dans des travaux démesurés pour construire sur des terrains gagnés progressivement sur la mer, l'abbaye de Saint Michel en L'Herm. Les hommes se battent contre les éléments, l'eau de la mer et des rivières et la terre étant totalement intriquées. Pierre Michon évoque le chaos du Tohu-Bohu de la Genèse, un chaos qui touche également Eble, confronté à ses deux passions, la gloire et la chair. "La gloire, qui est le don de propager le feu dans la mémoire des hommes, et la chair, qui a le don de consumer à volonté le corps dans une flamme aiguë, une foudre". De cette dernière passion naîtra la possibilité d'une filiation.

Dans le deuxième texte, c'est une femme, Emma, qui à l'occasion d'une lutte à mort avec un sanglier, y verra un signe de l'au-delà et endossera la responsabilité d'engager la construction d'un monastère.

Enfin, le dernier texte, plus sarcastique, nous relate le vol par un abbé d'une fausse relique.

Dans ces trois contes cruels, Pierre Michon, fait coexister au sein de communautés religieuses, avec une plume majestueuse et concise, dans des temps immémoriaux où les croyances chrétiennes croisaient celles du paganisme, les élans mystiques, les plaisirs physiques, les jalousies, les rivalités et les vengeances.

Son moyen-âge est barbare et irrationnel. Les hommes et les femmes s'y débattent, en proie à de violentes exaltations spirituelles et charnelles, écartelés entre religiosité et sensualité.



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Vies Minuscules

Ça y est, c'est fait, me voilà baptisé ! Alleluia !

Expérience unique, étourdissante, mémorable : mon premier Pierre Michon. Depuis le temps que j'entendais mes amis lecteurs chanter ses louanges, il fallait bien que j'y passe, ne serait-ce que par acquit de conscience !



Verdict ? A n'en pas douter, voilà l'oeuvre d'un véritable écrivain, voilà de la Littérature (avec un grand L).

Ai-je pour autant complètement succombé à l'écriture Majuscule de ces Vies Minuscules ? Ne vais-je plus jurer que par Michon, ai-je déjà prévu de me faire tatouer son nom sur le coeur, de placarder son image sur les murs de ma chambre ou de dresser un autel à sa gloire au milieu du salon ? Hum, ce serait aller un peu vite en besogne...

Si je reconnais volontiers la finesse sans pareille de sa plume et les impressionnants efforts stylistiques déployés pour brosser les portraits de ces huit personnages aux existences modestes, pour sauver de l'oubli - le temps de huit courts chapitres - ces petits gens que rien ne prédestinait aux honneurs d'un tel florilège, je ne peux pas dire pour autant que cette lecture fut une réelle partie de plaisir.



Du début à la fin il m'a en effet fallu livrer bataille, ferrailler sans relâche, slalomer entre adjectifs obscurs (au hasard : pantocrator, pétrogène, histrionique) et substantifs barbares (coryphée, argousin, brimborion, ergastule, j'en passe et des plus rigolos !).

Armé de ma seule persévérance et d'un vieux dictionnaire, j'ai ainsi dû mobiliser l'intégralité des quelques neurones qu'il me reste pour tenter de m'acclimater au vocabulaire suranné et à la syntaxe aussi subtile que déconcertante dont l'auteur se régale, obsédé qu'il semble être par le rythme et la forme au point peut-être de perdre de vue le fond de ses récits.

Je sais bien, comme le scandait Flaubert, que "ce que l'on dit n'est rien, la façon dont on dit est tout" ... m'enfin quand même !

Quel dommage que Pierre Michon ait forcé le trait de la sorte, et quel dommage que sa prose érudite (qui séduira à n'en pas douter nombre de latinistes/hellénistes autrement plus cultivés que moi !) confine parfois à l'inaccessible, pour le commun des mortels !

Combien de fois me suis-je empêtré dans ses phrases à rallonge, certes sublimes, mais qui ne cessent de se déplier en fractales hypnotiques, ou au contraire de s'enrouler sur elles mêmes, jusqu'à en devenir presque indémêlables, inextricables, nébuleuses ?

Combien de fois me suis-je retrouvé, à l'instar de l'un des personnages, dans la peau d'un "analphabète esseulé au pied d'un Olympe d'inégalables pages", forcé d'avouer que "la langue divine était interdite à [s]on sabir" ?

Combien de fois me suis-je identifié au jeune Roland, lui qui "ne perçait pas le secret des auteurs, la belle robe qu'ils ont mise à l'écriture était trop agrafée pour que Roland Bakroot, de Saint-Priest-Palus, non seulement pût la trousser, mais sût même s'il y avait dessous une chair ou du vent" ?

En me plongeant dans ces Vies Minuscules, c'est finalement moi qui me suis reconnu lecteur minuscule.

Dont acte.



Une lecture forte et exigeante, une très belle prouesse littéraire, un livre pour progresser au scrabble ? Oui.

Une sinécure, une révélation, un indispensable ? C'est moins sûr...
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La Grande Beune



J'ai relu La grande Beune que j'avais initialement lue lors de sa parution il y a plus de vingt-cinq ans, et la magie a de nouveau opéré. Ce livre m'avait laissé un souvenir tenace et sa puissance m'a encore une fois été révélée. Ce fut mon entrée dans l'oeuvre de Pierre Michon.

La grande Beune est un long poème en prose qui relate l'arrivée d'un jeune instituteur dans un village de Dordogne, les quelques habitants rencontrés, les enfants de l'école, et avant tout une histoire de passion érotique fantasmée qui suscite chez lui de sombres émois et désirs de possession. Mais Yvonne la buraliste n'est pas libre car elle entretient une liaison orageuse, dont son corps garde les traces, avec un pêcheur du coin.

L'ambiance est poisseuse, aqueuse. L'eau, qui tombe infiniment, s'infiltre partout, imbibant les intérieurs et les paysages et les nimbant de brouillard. Le cours de la rivière, la Beune, dessine les vallons et les côteaux. Son débit rythme la vie des villageois qui consacrent du temps à la pêche et à la préparation de grands poissons sauvages.

Sur ce fil narratif ténu, Pierre Michon dresse, à partir de scènes visuelles, une composition comme un peintre le ferait devant sa toile, avec de magnifiques coups de pinceaux combinés à un art du détail.

Il nous fait pénétrer dans les mondes ancestraux enfouis, dans le dédale des grottes abritant les peintures pariétales, dans les demeures troglodytes construites au bord du cours d'eau. Il évoque les traditions de ces contrées, au travers notamment de la procession des enfants qui porte la dépouille d'un renard.

Le violent désir pour la buraliste ne dépare pas dans le tableau, relevant du même primitivisme et de la même mythologie.

Grâce à un style unique, Pierre Michon parvient à décrire des scènes saturées de sensations, perceptions, impressions. La langue est saccadée, heurtée, impétueuse, sinueuse, à l'image de la rivière qui donne son titre au roman.

J'ai hâte de lire La petite Beune.





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Vie de Joseph Roulin

Quatrième de couverture : « Pierre Michon nous a donné ce qu’il a de plus précieux, seulement des phrases dont il est sûr qu’aucune ne manque et que toutes sont indispensables. »

Jean-Baptiste Harang. « Libération ».



Voilà ; c’est ça, le prodige Pierre Michon : chaque phrase est une œuvre d’art à elle seule.

On la lit et la relit comme, je suppose, les amateurs de peinture s'éternisent, subjugués, devant un tableau qui les touche. Quand je lis Michon, je maudis ma mémoire qui ne sait pas retenir un texte, même quelques mots seulement, par cœur.



Pierre Michon, lui, est fasciné par la peinture. Ce petit ouvrage-ci est né des portraits faits par Vincent Van Gogh, de Joseph Roulin, facteur à Arles. Cinq portraits que je découvre (merci Google) au fur et à mesure de ma lecture, qui enchantent Pierre Michon, et suscitent sa curiosité : qui était Joseph Roulin, sous sa casquette des Postes ? Comment Van Gogh et lui se sont-ils rencontrés ? Quelles relations ont-ils conservées quand Van Gogh a quitté Arles en 1889 ?

Van Gogh a peint aussi la femme et les enfants de Joseph. Pierre Michon tente de suivre leurs traces, et retrouve celles, d’une triste existence, d’Armand, l’aîné, mort en Tunisie le 24 novembre 1945 « sans que son portrait qui est accroché à Rotterdam en marquât le coup d’aucune façon, s’écaillât d’un poil ni à plus forte raison tombât. » Et je me demande si Armand savait seulement que son visage figurait à la cimaise d’un musée néerlandais ?



Joseph Roulin a fini sa vie en 1903, à Marseille où il avait appris que les toiles de Van Gogh trouvaient enfin preneurs ; enfin, puisque trop tard pour leur créateur.



Sur quelques faits avérés qu’il connaît de Joseph Roulin, Pierre Michon invente une psychologie, des façons d’être, des pensées, des états d’âme, à la fois plausibles et absolument attachants. Joseph Roulin, en son for intérieur : un prince plein d’idéal.



Mais l’écriture de Pierre Michon met de la magie sur tout ce qu’elle touche...

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Je veux me divertir

« Je veux me divertir » c’est éditée, seule, une des quatre histoires de « Maîtres et serviteurs ». C’est Watteau dans ses dernières années, raconté par Charles Carreau, curé de Nogent où Watteau séjourna à deux reprises, où il mourut.



A leur première rencontre, Watteau aurait demandé au curé de poser pour lui, peignant son visage en deux jours, et le curé aurait découvert sa figure tout en haut du corps immense et nigaud du Gilles, du Pierrot blanc.

« Je veux me divertir, » ce serait la face cachée de Watteau imaginée par Pierre Michon, que le curé de Nogent révèlerait. Ce serait donc les œuvres que Watteau refuserait de laisser à la postérité. Ce serait le côté sombre, très tôt malade, toujours insatisfait, du peintre qui aurait donné le change avec ses toiles inspirées de la commedia dell’arte et des fêtes galantes, mais que le curé aurait percé à jour :

« L’ombre rose du pommier se penchait sur lui ; et d’autres doucement l’entouraient, pommés, vastes et frissonnants comme des robes peintes ; le temps bleu régnait autour, fumait sur des feuillages neufs ; tout, cette fois, était ce qu’il peignait, sauf lui. »



Ecriture incomparable de Pierre Michon.

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