Pol Gaillard

Le prud'homme est bien vieux. Il n'a plus de forces. Il marche en s'appuyant sur un bâton. Son fils le regarde et songe qu'il est devenu pour autrui un véritable fardeau. Pourquoi tarde-t-il tant à entrer dans la tombe ? Sa belle-fille, qui est dure et orgueilleuse, n'a pour lui qu'aversion et mépris. Un beau jour, elle ne peut plus se contenir :
"Sire, dit-elle à son mari, de grâce, renvoyez votre père. Je ne mangerai plus tant qu'il restera ici. Vous m'entendez ? Renvoyez-le.
-Dame, à votre volonté", répond-il.
Il a peur de sa femme. Aussitôt, il va retrouver le vieillard.
"Père, père, allez-vous-en. On n'a nul besoin de vous ici. Pendant douze ans et plus, dans cet hôtel, on vous ai hébergé et nourri. Il est temps pour vous de chercher votre vie ailleurs. Allez ! Sus ! Debout ! Pas moyen de faire autrement."

“Non ; on est aisément dupé par ce qu'on aime. Et l'amour-propre engage à se tromper soi-même.”

[…] il a fallu des guerres, des oppressions, des persécutions, des injustices sans nombre, et la lutte continue des peuples sous l'influence de grandes personnalités rayonnantes (morale ouverte) pour que soit proclamée officiellement, comme un principe fondamental, l'égalité des hommes en droit. Encore cette valeur essentielle, conquise par le sang, est-elle demeurée et demeure-t-elle encore bien théorique dans les nations mêmes qui l'avait proclamée. L'esclavage subsiste aux États-Unis longtemps après 1776, et Stendhal, en 1817, doit encore mettre au conditionnel, tellement la réalisation lui paraît lointaine, sa phrase si claire : « L'admission des femmes à l'égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ; elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses possibilités de bonheur. »

(p. 51)

L'interrogation sur le mal accompagne nécessairement le mal, et rend souvent la peine plus vive encore, comme plus vaine, plus cruellement dérisoire. Il faut essayer de répondre.
Chaque époque l'a fait, chaque littérature et particulièrement la nôtre, chaque écrivain. Ce livre n'a d'autre but que de fournir aux élèves et aux étudiants quelques-uns des textes parmi les plus nets, plus proches de nous, les plus beaux, - de leur indiquer les grandes voies de recherche. À eux, ensuite, de vivre pleinement la solution qu'ils auront choisie, de dominer et de créer, dans la plus grande mesure humaine possible, leur destin.

(pp.14-15)

Camarade, n'accepte pas la vie telle que te la proposent les hommes. Ne cesse point de te persuader qu'elle pourrait être plus belle, la vie ; la tienne et celle des autres ; non point une autre, future, qui nous consolerait de celle-ci et qui nous aiderait à accepter sa misère. N'accepte pas. Du jour où tu commenceras à comprendre que le responsable de presque tous les maux de la vie, ce n'est pas Dieu, ce sont les hommes, tu ne prendras plus ton parti de ces maux.
Ne sacrifie pas aux idoles.

(André Gide, Les nouvelles nourritures)
[p. 187]

L'imprévisibilité est-elle la marque de la liberté ?
[...]
En sciences physiques et humaines, les prévisions statistiques (sur le mouvement des électrons par exemple, ou sur le nombre des suicides dans tel milieu l'année suivante) impliquent-elles que les électrons, ou ceux qui se tuent, soit entièrement « déterminés » ?
En morale, quel homme considérez-vous comme le plus libre, celui dont vous prévoyez qu'il va obéir à sa passion, à un trait dominant de son caractère, à la raison, – ou bien celui dont vous êtes absolument incapable de prévoir ce qu'il va faire parce que c'est une girouette, qui agit toujours selon son humeur du moment, au gré des circonstances ou en suivant l'avis du dernier qui a parlé ?

(pp. 73-74)

Quiconque a de l'argent assez, et un peu de jugeote, se tire toujours d'affaire en ce monde.

« Entre 18 et 20 ans, la vie est comme un marché où l'on achète des valeurs non avec de l'argent, mais avec des actes… La plupart des hommes n'achètent rien. »
La boutade de Malraux pose fort bien pour nous, à sa manière, le problème qui fait l'objet de ce livre, le problème des valeurs.

(p. 5)